L'Adn de…

Aude ELOY
Flûtiste

Propos recueillis par Virginie CHANTRY • virginie.chantry@gmail.com

L. ELOY, P. CARLOT

Flûtiste, c’est une  vocation que vous  avez depuis toute  petite ?

J’ai commencé la musique à l’académie à 7 ans. Vers 12 ans, j’ai rejoint la fanfare du village et découvert le monde des concerts. Après une période difficile, j’ai failli arrêter la flûte. Mais une nouvelle professeure m’a redonné l’envie de jouer et je l’ai suivie dans une autre académie pour approfondir mes compétences. En rhéto, elle m’a proposé de la remplacer à l’école de musique, estimant que j’avais le niveau. Je me suis retrouvée à enseigner tout en étant encore élève… Une révélation ! J’ai découvert le plaisir de transmettre, d’aider à se dépasser et j’ai su que je voulais en faire mon métier. La musique est alors devenue mon quotidien. 

Plusieurs voies existent pour devenir musicien: écoles de musique de fanfare, structures privées, académies ou conservatoires. Pour en faire son métier, il faut apprendre le solfège – pour mettre des mots sur ce que l’on entend – et réussir le concours d’admission dans une école supérieure de musique. Il y en a 4 en Fédération Wallonie-Bruxelles: les Conservatoires royaux de Bruxelles, Liège, Mons et l’IMEP à Namur. Le parcours dure de 3 à 5 ans. J’ai choisi l’IMEP pour la solidité de son enseignement et parce que je souhaitais apprendre auprès de Denis-Pierre Gustin, flûte solo de l’Orchestre National de Belgique. Plus tard, confrontée aux petits soucis mécaniques des instruments de mes élèves, j’ai voulu me former à la réparation. En Belgique, il n’existe aucun diplôme officiel. En Europe, seules 3 écoles proposent ce type de formation: une en Allemagne, une en Angleterre et une en France. J’ai choisi l’ITEMM au Mans, d’abord pour la langue, mais surtout parce que c’est la seule école qui forme à la fois aux cuivres et aux bois.

Comment devient-on  flûtiste et réparatrice  d’instruments à vent ?

Vous exercez  actuellement en tant  que gérante d’un  atelier de réparation d’instruments à vent, quelle est  votre journée-type ?

Ma journée de travail débute par le relevé des contacts clients – ce qui prend du temps avec tous les canaux de communication actuels. J’enchaîne ensuite avec les réponses aux messages et le suivi des commandes chez les fournisseurs. Puis vient le travail en atelier à proprement parler, avec les entretiens, réparations ou dépannages des instruments.

Je m’intéresse à l’acoustique des instruments de musique. Je suis fascinée par la manière dont se forme le son d’une trompette, d’une clarinette, d’une flûte… Cela dépend de la perce (la forme intérieure de l’instrument) et du mode de production du son: vibration des lèvres pour une trompette, anche (languette fine et souple placée dans l’embouchure de certains instruments à vent) simple pour une clarinette, double pour un hautbois, ou biseau pour une flûte. Ce qui m’épate encore plus, c’est que ces seuls paramètres suffisent à créer la signature sonore d’un instrument, peu importe le matériau utilisé. Le fonctionnement du corps humain dans la pratique musicale me passionne aussi. Sans un certain confort, une posture adaptée et une oreille sensible, il est difficile de jouer avec plaisir. Pour moi, il est d’ailleurs essentiel d’expliquer pourquoi une position peut être améliorée. 

Quels sont vos  rapports avec la  science ? 

Quelle est la plus  grande difficulté  rencontrée dans  l’exercice de votre  métier ?

Je dirais la nécessité d’être à la fois flexible et excellente dans les différentes tâches allant de pair avec le statut d’indépendante: gérer l’administratif, la communication, le stock, les réparations… Tout cela sur une seule et même journée, ce n’est pas toujours simple.

Réussir à gérer une entreprise seule depuis 10 ans et satisfaire de grands professionnels de la flûte lors de l’entretien ou du dépannage de leur outil de travail. Ce sont des instruments de pointe, et leurs propriétaires – rarement des amateurs – ont des exigences très élevées, justifiées par le nombre d’heures de pratique quotidienne.

Quelle est votre plus  grande réussite  professionnelle  jusqu’à ce jour ?

Quels conseils  donneriez-vous à un  jeune qui aurait envie  de suivre vos traces ?

Pour apprendre la flûte, je recommande de suivre un professeur à la fois bienveillant et exigeant. Le monde de la musique n’est pas toujours tendre, souvent traversé de jugements subjectifs qu’il faut apprendre à comprendre pour pouvoir les accepter. La musique est indissociable des émotions, qui doivent être en harmonie pour que la magie opère. Pour la réparation, je conseillerais, comme je l’ai fait, d’aller à l’ITEMM au Mans. C’est selon moi la meilleure façon de se former sérieusement au métier de réparateur·rice d’instruments à vent, avec un diplôme à la clé. En Belgique, il existe peut‑être une possibilité via l’IFAPME avec un patron reconnu comme «artisan certifié», mais ce parcours ne comprend pas de cours théoriques spécifiques à la facture instrumentale.
 

CARTE D’IDENTITÉ

Aude ELOY

ÂGE : 38 ans

LIEU DE NAISSANCE : Namur

LIEU DE RÉSIDENCE : Mettet

PROFESSION : Professeure de  musique, de flûte traversière et  réparatrice d’instruments de  musique à vent

FORMATION : Double master en  musique finalités spécialisée et  didactique à l’IMEP (Institut  Royal Supérieur de  Musique et de Pédagogie, Namur),  CAP d’assistant technicien en instruments à vent, brevet des  métiers d’art de technicien en  instruments à vent à l’ITEMM  (Institut Technologique Européen  des Métiers de la Musique, Le Mans)

    ateliermusicae.be

Je vous offre une  seconde vie pour un  second métier…

Merci, mais… j’en ai déjà 3 que j’adore et que je pratique chaque semaine ! (rires)

Celui de me multiplier: une Aude pour l’administratif, une pour le service clientèle et une dernière derrière l’établi. Vous me vendez du rêve, là !

Je vous offre un  super pouvoir… 

Je vous offre un  auditoire…

J’y explique la conception et l’utilisation de la flûte aux futurs professionnels. Comprendre comment fonctionne un instrument permet d’en accepter les contraintes et aide à anticiper les problèmes dans sa propre pratique et dans celle de ses élèves. Mettre un instrument mal réglé entre les mains d’un musicien, c’est lui ouvrir la porte aux frustrations ou aux mauvaises habitudes… le chemin le plus court vers l’abandon.

J’y analyserais les métaux utilisés pour la fabrication des flûtes. Cela me permettrait de comprendre pourquoi certaines vis s’altèrent plus vite, ou pourquoi certaines flûtes s’oxydent dans des conditions où d’autres résistent. Je chercherais aussi à comprendre pourquoi un nombre croissant de musiciens rencontre des problèmes d’oxydation excessive sur leurs instruments. Depuis mon installation en 2015, j’ai constaté une nette hausse de ces cas, toutes marques confondues – surtout pour ceux contenant de l’argent. Pourquoi certains matériaux s’altèrent-ils plus vite que d’autres dans certaines conditions ? Est-ce hormonal, environnemental ? Il me manque encore des données pour comprendre ce phénomène, et cela me frustre !

Je vous offre un  laboratoire… 

Je vous transforme  en un objet du  21e siècle…

Un étui à instruments de la marque normande BAM: un objet qu’on choisit pour son design et la protection qu’il offre à l’instrument. BAM allie matériaux nobles et sécurité: fermoir à serrure, calage antichoc, régulation de l’humidité… Cerise sur le gâteau: l’étui est réparable via un revendeur agréé.

Aux États-Unis, dans le Massachusetts, pour visiter 3 usines de flûtes renommées: Brannen Brothers, Haynes et Verne Q. Powell. Ces manufactures sont réputées pour leurs flûtes traversières haut de gamme, alliant matériaux précieux et mécanismes de pointe.

Je vous offre un  voyage…

Je vous offre un face  à face avec une  grande personnalité  du monde…

Je me rendrais dans l’Allemagne du 19e siècle pour rencontrer Theobald Boehm, l’inventeur de la mécanique moderne de la flûte traversière.

Sans réelle formation, bon nombre de réparateurs sont effectivement des bricoleurs. Ils règlent un problème sur le moment, mais sans anticiper les défaillances liées à l’usure naturelle de l’instrument. Quand je suis confrontée à une difficulté, je dois souvent chercher la meilleure solution et faire preuve de créativité face à des situations inédites. Enfin, mon dernier diplôme est un Brevet des Métiers d’Art, et je suis reconnue comme artisan par le SPF Économie depuis 2018… La boucle est bouclée ! 

La question «a  priori»: réparer des  instruments à vent,  c’est juste du  bricolage, non ?

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