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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

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La détresse des koalas

Le koala est un animal soyeux qui attire d’emblée la sympathie, quel que soit l’attrait que l’on ait pour le monde animal. Le problème pour les Européens que nous sommes est qu’il n’est pas de chez nous où il ne fréquente, contre son gré, que les parcs zoologiques. Nous ne pouvons donc rien faire de concret pour en assurer la conservation alors qu’il se trouve aujourd’hui en grand danger. Les causes ? Le morcellement de son territoire naturel par le réseau routier et la privatisation des terres pour la production agricole et sylvicole. Entre 2003 et 2020, 760 500 hectares ont été retirés de la zone historique d’habitat de ce marsupial un peu paresseux rien qu’en Nouvelles Galles du Sud. Du coup, la problématique du risque de disparition de cet emblème national a subitement pris des proportions telles, qu’elle s’est invitée dans les campagnes électorales. Il était temps. Et bien entendu, comme on pouvait s’y attendre, c’est le fourre-tout devenu classique du réchauffement climatique qui a été évoqué comme cause première. Facile: cela arrange tout le monde; c’est la faute à personne. Mais juste une petite réflexion au passage à ce propos: une température de 45 ou 50° Celsius assèche la végétation qui devient plus facile à embraser. C’est une évidence en l’absence de toute pluie intercurrente. Mais une flamme, un tison, une allumette ou un barbecue mal géré restent dans tous les cas nécessaires. Pas de flamme ou de braise, pas d’incendie. Ceux qui en doutent n’ont qu’à pratiquer l’expérience: soumettre des herbes très sèches aux températures évoquées. Résultat: elle ne les fera jamais brûler. Et face à un brasier, le marsupial a peu de chance de s’échapper; il en a déjà été question dans cette même chronique.

C’est donc aussi (voire surtout) du côté du comportement humain qu’il faudrait d’abord jeter un regard. Évoquer – comme cela a été le cas il y a quelques années – que certains jours on dénombrait jusque 70 départs de feu, devrait mettre la puce à l’oreille à tous ceux qui connaissent au moins un peu les lois élémentaires de la physique. L’intention n’est pas toujours volontaire. Mais combien de mégots non éteints ne passent-ils pas chaque jour par la fenêtre entrouverte d’un véhicule ?

   Science, 2023, 379: 1197

Chaleur = cohésion ?

En Islande, il y a des eaux froides et des eaux plus chaudes, alimentées par les geysers. Il y a donc des poissons qui ont la «chance» d’échapper aux rigueurs glaciales. Les choses pourraient en rester à cette cruelle inégalité, sauf que des éthologistes ont constaté que les poissons qui vivent dans de l’eau plutôt froide ont un comportement significativement plus social que leurs équivalents en eaux chaudes. Ils ont pu en paramétrer les différences et les ont reproduites en laboratoire, ce qui a permis de valider les observations faites en conditions externes. De 2 choses l’une: ou la chaleur réduit la cohésion sociale, ou le froid l’augmente. Mais ce n’est pas tout: on sait aussi que ce comportement a une dimension «acquise», innée. Chez les poissons ectothermes (à température corporelle non constante), il faut savoir que la température a des répercussions sur le niveau métabolique et sur les performances locomotrices. Les chercheurs ont donc prélevé des épinoches dans des bassins externes chauds et froids et les ont placées en laboratoire dans des aquariums de température équivalente ou clairement inversée. Ce qu’ils ont pu évaluer, c’est l’inversion – ou non – du comportement lorsque l’environnement était modifié. Et il apparaît que les petits poissons très sociaux en eaux froides le restent en eaux chaudes, au moins sur 2 générations. Le comportement est donc bien inné et probablement induit par des modifications d’ordre épigénétique: certains gènes dont l’action influe sur le comportement ont une «sensibilité» à la température qui en module l’expression. Et c’est au cours des premiers temps de la vie que l’imprégnation se marque. Il reste maintenant à identifier quels gènes sont influencés. Je m’interdirai de faire un parallèle avec notre espèce qui connait des environnements bien plus diversifiés et changeants que ceux de l’épinoche islandaise. Mais les acquis évolutifs étant ce qu’ils sont, il semble qu’une lointaine parenté reste néanmoins décelable. Un exemple: les revendications sociales ne dérapent‑elles pas davantage par temps chaud qu’en hiver ? Simple observation. Mais je n’irai pas plus loin. À chacun de voir si nous n’avons quand même pas un peu de l’épinoche en nous… 

   Science 2022, 378: 742-743
   Glob. Change. Biol. 2023; 29: 206–214

Des bactéries à l’œil

L’évolution est un long processus d’adaptation et d’acquisition de fonctions nouvelles qui font parfois d’étonnants détours. On sait par exemple que des plantes acquièrent des caractères nouveaux par leurs racines, sous le sceau de la discrétion offerte par le sol. Les vecteurs sont souvent des virus qui, pénétrant le racines, finissent par instiller aux plantes envahies l’un ou l’autre de leurs gènes et par conséquent aussi les caractères associés.

Rien n’interdit que le même processus se soit inscrit dans la lignée animale et soit arrivé jusqu’à nous. C’est même franchement avéré puisque dans notre ADN, on retrouve des séquences de génome viral et bactérien. Ont-ils pour autant apporté des caractéristiques dont nous pouvons nous prévaloir aujourd’hui ? Lorsque le génome humain a été entièrement décodé en 2001, on y a identifié environ 200 gènes qui pourraient être d’origine bactérienne, issus de contaminations. Si l’on s’en tient à ceux qui sont présents chez les vertébrés et qui n’apparaissent pas dans les groupes inférieurs – et en particulier chez les invertébrés dont ils sont issus – on peut objectivement suspecter qu’ils ont été apportés par des contaminations bactériennes. La meilleure façon de le savoir est de comparer le génome humain à celui de bactéries et de mettre en évidence d’éventuelles séquences communes. C’est ce qui a été fait et un gène, sans doute parmi d’autres, a été identifié comme étant susceptible d’être passé directement de la bactérie aux vertébrés… et donc ensuite à l’homme. Il s’appelle IRBP et code pour une protéine importante au niveau de la vision, qui trouve sa place au niveau de la rétine. Or ce gène ressemble comme un frère à une classe de gènes bactériens qui codent pour des peptidases, des enzymes dont la fonction est d’intervenir dans le recyclage des protéines. Entré par effraction dans le génome animal il y a plus de 500 millions d’années, ce gène se serait d’abord dupliqué puis aurait perdu sa fonction première avant d’en gagner une autre, d’une tout autre nature, celle qui préside à la formation de la protéine qui intervient dans la vision. Le processus n’aurait pas été immédiat mais aurait profité de plusieurs mutations aussi aléatoires que finalement bien utiles, à en juger à sa fonction actuelle.

Cette «découverte», qui repose encore beaucoup sur la spéculation, ne fait pas l’unanimité parmi les généticiens; notamment parce que nombre d’invertébrés disposent du sens de la vision mais pas de la protéine IRBP. Cela suffit-il à rendre caduque la théorie proposée ? Seul un complément de recherche permettra d’apporter la preuve attendue… ou à réfuter la proposition. En cas de validation, on aura au moins pu identifier une voie détournée qu’a pu prendre une information génomique, partant d’un organisme primitif aveugle pour faire accéder d’autres, plus complexes, à une vision plus intense. Les voies de l’évolution sont parfois bien compliquées !

   Science, 2023,380: 119

Satanés moustiques !

Chez le moustique, c’est la femelle qui pique pour sucer le sang chaud, et l’humain fait partie des généreux donateurs comme chacun peut en faire l’expérience à l’occasion. C’est cet apport qui permet la maturation des ovaires en préalable à la ponte. Le problème est que les moustiques – et en particulier ceux qui sont vulnérants pour les humains – ont dû apparaître avant ces derniers dans la filière évolutive. Conséquence: ceux qui vivaient avant l’apparition de l’Homo Sapiens avaient un approvisionnement sanguin d’une autre nature et se sont adaptés à cette espèce devenue omniprésente absolument partout sur le globe; en tout cas là où le moustique peut également vivre et se reproduire.

Une étude récemment menée sur l’espèce Aedes aegypti a permis d’en savoir un peu plus en la matière. Ce moustique (ou son ancêtre) a dû apparaître sur le sol africain et vivait dans la savane ou la forêt où il trouvait des animaux à sang chaud à profusion. Puis, il y a 5 000 ans environ, une variation significative de l’écorce terrestre (on pense à un passage maritime apparu du côté de l’actuelle Malaisie) a drastiquement modifié le climat de la moitié supérieure du continent africain, avec les conséquences que l’on connaît: la désertification massive et l’apparition du Sahara. Les humains ont donc dû s’adapter et se sont alors regroupés autour des indispensables points d’eau. Les moustiques, dont la larve vit dans l’eau, ont fait de même et ont vu dans les humains une belle source d’approvisionnement en sang chaud. Ce dont ils ne se sont pas privés depuis ces 5 millénaires à leur plus entière satisfaction. Mais pas à la nôtre !

Et ce n’est pas tout. Comme les hommes, les moustiques ont voyagé d’un continent à l’autre, profitant en particulier des convois d’esclaves partis «de leur plein gré» couper les cannes à sucre en Amérique; cela faisait tout de même bon an mal an 80 000 vecteurs potentiels de fièvre jaune à destination du Nouveau monde. Ensuite, les moyens de communication se sont à la fois diversifiés et multipliés: une aubaine pour tous les moustiques et leurs germes embarqués, qu’il s’agisse de ceux de la fièvre jaune, du Zika, du chikungunya ou de la dengue. Est-ce la fin ? Que nenni ! Aedes aegypti a trouvé utile de se croiser avec d’autres espèces jusque-là moins agressives qui y ont trouvé leur compte. Avec près de 8 milliards d’humains, il n’y a pas de quoi se plaindre ! Et rien ne semble leur résister: dans certains pays africains, on a même vu des larves se développer dans les stations de lavage des mains installées pendant la Covid ! La guerre contre ces piqueurs impénitents est loin d’être gagnée… 

   Science, 2023, 379: 1281-1282

Espèces en danger

L’espèce humaine n’est pas en danger: je suppose que cela n’informe personne. Les espèces qui sont produites pour leur chair ne le sont pas davantage, sauf épiphénomènes occasionnels qui dépassent la capacité de contrôle des antibiotiques donnés à titre préventif. Mais on oublie trop souvent que quelques-unes qui participent à la faune sauvage sont génétiquement proches des espèces d’élevage et en raison de leurs contingents plus réduits, risquent, après avoir contracté un pathogène venu des élevages, d’être mises en danger de façon dramatique. C’est ce qui est observé en maints endroits et notamment en Asie du Sud-Est. On se souvient aussi qu’il y a quelques années à peine, la peste porcine a jeté quelques troubles dans nos régions et a mené à l’élévation de clôtures pour contraindre les animaux malades (les sangliers) à rester dans des zones limitées.

Cette transmission accidentelle de pathogènes arrivés des élevages à la faune sauvage commence à inquiéter sérieusement les spécialistes des espèces menacées, et un doigt accusateur est de plus en plus intensément dirigé vers les élevages intensifs. Les valeurs chiffrées parlent d’elles‑mêmes: en l’espace de 50 ans, on estime que le nombre de volailles a été multiplié par 6,1, passant de 5,51 à 35,07 milliards de têtes. Pour les porcs, la majoration est de 1,7 avec des valeurs qui sont passées de 547,17 à 952,63 millions d’animaux. Pour les bovins enfin (et principalement le bœuf), l’accroissement est de 1,4, ce qui se traduit par une majoration du cheptel, passé de 1,08 à 1,53 milliard de têtes. On lit par ailleurs – dans le contexte additionnel de l’émission de CO2 – que l’élevage de bovins occasionnerait une production de CO2 équivalente à celle que l’on doit à notre espèce, voire même légèrement plus.

Tant pour la transmission de pathogènes que pour le paramètre climatique, l’option à tenir ne fait pas de doute: il faut réduire la production de viande et principalement de viande bovine. L’animal en soi n’est pas le seul en cause: la déforestation est souvent menée pour fournir des surfaces agricoles dont l’objectif serait en large partie orientée vers la production de la nourriture nécessaire aux gros bovins. C’est un changement de paradigme qui est à apporter à l’échelle mondiale; réduire la consommation de viande bovine, porcine et ovine et l’orienter dans un premier temps vers la volaille. Il faut ensuite laisser le temps aux éleveurs d’assurer une transition progressive, éventuellement assistée d’aides financières, qui ne les mette pas en péril.

La solution est donc surtout dans l’assiette des consommateurs et dans une prise de conscience de leur part. Le reste devrait normalement suivre, aussi progressivement que possible. Sauf si une pandémie animale vient subitement hâter les choses…

   Science, 2022; 278: 5
   Hannah Ritchie interviewée dans l’Écho du 10 février 2024, p. 17

BIOZOOM

Digne d’un film fantastique à la Avatar, la grotte Hang Son Doong, située au Vietnam, est actuellement considérée comme la plus vaste galerie souterraine au monde. On estime sa longueur à 5 km pour 150 m de largeur et 200 m de hauteur (un building de 70 étages) ! Une rivière souterraine d’environ 8 km l’a creusée voilà 2 à 5 millions d’années, donnant naissance à des piscines et chutes d’eau. Grâce à 2 fenêtres qui laissent entrer la lumière du jour, elle a permis à de nombreuses espèces de se développer. Elle abrite aussi d’étonnantes structures comme les perles de cavernes…   

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