Technologie

Marquage routier: anodin ?

Virginie CHANTRY • virginie.chantry@gmail.com

© illustrez-vous – stock.adobe.com, © SPW-MI, © 2025 – LuminoKrom®, © David Plas Photography, © Vélo Pi-POP/Stéphane HUSSEIN

Les marquages au sol, on en voit tous les jours… En ville comme à la campagne, dès qu’on sort de chez soi – en baskets, en talons, en deux-roues ou derrière un volant – ils font partie du paysage. Cela nous paraît tellement naturel et anodin qu’ils en deviennent presqu’invisibles. Et pourtant, ces lignes, triangles, flèches, symboles sont bien loin de l’être ! Preuves à l’appui dans cet article qui met en lumière le marquage au sol… version wallonne

 
Chaque jour, des milliers d’automobilistes, cyclistes, piétons, transporteurs, conducteurs de bus… ou même de trams (eh oui !) empruntent des routes jalonnées de lignes, de flèches, de zébrures, de pictogrammes. Le marquage au sol est omniprésent, et pourtant, il reste l’un des éléments les plus sous-estimés de notre mobilité quotidienne.

En réalité, ces lignes – la plupart du temps blanches ou jaunes – jouent un rôle bien plus stratégique qu’il n’y paraît. Contrairement aux panneaux de signalisation, parfois masqués, manqués ou ignorés, le marquage au sol constitue le seul équipement routier à se trouver constamment dans le champ de vision du conducteur. Véritable outil de sécurité, de fluidité et de compréhension, il sécurise les déplacements en délimitant clairement les voies, les zones de danger ou les priorités, et régule la circulation en ville, à la campagne et sur les grands axes. Il guide le comportement des usagers: ralentir à l’approche d’une école, respecter un couloir de bus, anticiper un rond-point, appréhender un chantier, rester sur sa voie dans un virage… autant d’actions devenues des réflexes avec l’expérience.

Dans les coulisses

En Wallonie, le SPW Mobilité & Infrastructures, ou SPW MI, orchestre l’entretien et le renouvellement de plus de 7 000 km de voiries régionales. En 2022, quelque 2 000 km de lignes blanches ont été rafraîchis sur le réseau – un travail concentré entre avril et octobre, lorsque les conditions météo sont (censées être) les plus clémentes – et près de 730 km de lignes jaunes ont été posés pour des chantiers temporaires.

Et ce n’est pas une mince affaire: marquer une route demande rigueur et précision. Les équipes interviennent souvent de nuit ou très tôt le matin pour éviter les pics de circulation. Chaque geste compte et la marge d’erreur tolérée se mesure en centimètres. Le tout, dans un environnement parfois risqué, en bordure de routes encore ouvertes à la circulation.

Une vigilance particulière est portée aux zones sensibles: hôpitaux, chantiers temporaires, écoles… autant d’endroits où la lisibilité du marquage peut faire toute la différence pour prévenir les dangers et faciliter la cohabitation. En 2023, la Région wallonne a investi 7 millions d’euros pour renforcer la lisibilité du marquage dans les «zones 30» autour de plus de 750 écoles fondamentales, grâce au déploiement d’un dispositif inédit découpant leurs abords en 3 zones distinctes:

  • · une zone d’entrée, qui marque l’arrivée dans l’environnement scolaire à l’aide d’un pictogramme «école» encadré par une double ligne blanche;
  • · une zone de rappel, jalonnée de carrés colorés espacés et positionnés de manière aléatoire, pour maintenir l’attention des conducteurs;
  • · et une zone d’éveil, plus dense en carrés, située à proximité immédiate des passages pour piétons ou des accès à l’école.

1. Abords d’école standard

2. Dans une zone 30 «classique» ou dans une zone 30 abords d’école variable

3. Illustrations du principe de calepinage «aléatoire»

Cette division a pour but de maintenir l’attention des usagers, de les inciter à ralentir et de renforcer la perception de danger dans ces lieux hautement fréquentés.

Côté méthodes, le marquage routier se décline en 4 grands types de produits, chacun adapté à un usage spécifique, avec des avantages et des contraintes que les équipes doivent soigneusement prendre en compte lors des interventions:

  • · Les peintures, appliquées principalement sur le réseau régional secondaire, pour des raisons de coût et de rapidité d’intervention. Elles nécessitent cependant un rafraîchissement annuel.
  • · Les enduits à chaud, sans solvant et très résistants, privilégiés sur les autoroutes et les voies à fort trafic.
  • · Les enduits à froid, issus d’une réaction chimique entre une base et un durcisseur, qui sont utilisés dans des contextes où l’adhérence visuelle et/ou la différenciation est primordiale: pistes cyclables suggérées (ocre ou rouge), carrefours à risque…
  • · Les marquages préformés, produits en usine sous forme de rouleaux ou de feuilles à coller à froid, qui sont souvent utilisés pour les pictogrammes, logos ou symboles.

Ces techniques, bien que rodées, doivent aujourd’hui s’adapter aux enjeux environnementaux et aux nouvelles mobilités.

Application d’un thermoplastique structuré à  Baillonville, près de Dinant, dans le Namurois.

Des technologies en constante évolution

En matière de transition écologique, la Wallonie a fait figure de pionnière. Dès 2019, et dans une optique à la fois environnementale et sanitaire, le SPW MI a généralisé l’usage de peintures à l’eau pour les marquages sur les routes régionales, devenant ainsi la première région d’Europe à imposer cette règle après les pays scandinaves – une initiative saluée jusqu’en France dans la Revue Générale des Routes et de l’Aménagement. Contrairement aux peintures à solvant, les peintures à l’eau ne libèrent pas de composés organiques volatils nuisibles pour la santé des ouvriers et l’environnement. Elles n’émettent que de la vapeur d’eau lors de leur séchage. Depuis le 1er janvier 2023, la mesure a été élargie et s’applique désormais aussi aux marquages à rafraîchir, ce qui représente environ 80% des interventions sur le réseau régional. Et cette règle s’applique aussi aux communes pour tout chantier subsidié par la Région. 

Invisible pour beaucoup, essentiel pour tous: le marquage routier façonne nos déplacements, entre rigueur, innovation, sécurité et enjeux environnementaux.

Bien sûr, cette évolution ne va pas sans contraintes. Les machines de marquage doivent être adaptées et les conditions d’application sont plus strictes: une température extérieure d’au moins 10 °C et un taux d’humidité inférieur à 80%. Résultat: les équipes doivent jongler avec les fenêtres météo favorables, en début et fin de saison notamment. Un effort logistique conséquent… mais un vrai pas en avant pour des routes plus saines, durables et responsables. Et ce souci environnemental ne se limite pas à la peinture. Dans notre contrée, certaines industries produisent des microbilles de verre, utilisées pour assurer la rétroréflexion des marquages, à partir de verre recyclé provenant par exemple de bouteilles d’eau bien de chez nous et d’une marque emblématique de soda. Ces sphères minuscules d’à peine quelques dixièmes de millimètre sont généralement saupoudrées sur le produit de marquage au moment de son application (voir photo de titre). Grâce à l’effet combiné des billes qui concentrent la lumière et du pigment blanc contenu dans la peinture de marquage, la lumière des phares est efficacement renvoyée vers le conducteur, garantissant une visibilité accrue de nuit ou par faible luminosité.

Innovation dans le noir

Poussant plus loin l’idée de sécurité nocturne, la Wallonie a accueilli, à l’été 2020, le test grandeur nature d’un revêtement inédit, financé par son fabricant. Une peinture photoluminescente, baptisée LuminoKrom®, a été appliquée sur une portion non éclairée de la ligne 142 du RAVeL (Réseau Autonome des Voies Lentes qui regroupe les voies vertes aménagées sur d’anciennes lignes ferroviaires ou le long de canaux, réservées aux mobilités douces comme les piétons et cyclistes) entre Frizet et Saint-Marc, sur l’axe reliant Namur à Jodoigne (voir photo ci-dessous). Développée en 2018 par l’entreprise bordelaise OliKrom, spécialisée en matériaux intelligents, cette peinture offre jusqu’à 10 h de visibilité autonome dans l’obscurité pour sa version vert amande, contre 6 h pour les versions jaune ou blanche. Résistante et simple à appliquer, elle contribue aussi à réduire la pollution lumineuse. Le secret ? Des pigments qui absorbent les UV, qu’ils proviennent de lumière naturelle ou artificielle, les stockent puis les restituent constamment dans le spectre visible – y compris dans l’obscurité la plus complète. C’est ce phénomène physique, la photoluminescence, qui permet au marquage de rester visible même de nuit de manière durable et plus éco-responsable. À noter que 10 min suffisent pour recharger les pigments, ce qui permet au système de fonctionner même en sous-bois ou sous la grisaille. Et plus il fait noir, plus le marquage est performant – au point que la pleine lune en atténue parfois l’éclat.

Une Analyse du Cycle de Vie (ACV) (1) a montré qu’1 km d’éclairage classique par poteaux électriques équivaut à 54 km de balisage par plots solaires et à… 184 km de balisage en LuminoKrom®, pour un impact environnemental nettement moindre. Bien que jusqu’à 20 fois plus chère que la peinture classique pour marquage au sol, cette solution reste au moins 10 fois moins coûteuse que l’éclairage public. Cependant, même un très bon marquage photoluminescent ne remplacera jamais un éclairage public ni un éclairage intégré au véhicule. C’est d’ailleurs pour cette raison que le test initié en Wallonie ne sera pas prolongé: il a été décidé de privilégier l’éclairage classique. Depuis l’essai belge, les applications de LuminoKrom® se sont largement internationalisées: du Québec à la Colombie, en passant par le Burundi, la Suisse, la Malaisie ou encore l’Australie.

Marquage LuminoKrom® de la bande centrale en pointillés pour renforcer la visibilité d’un aménagement cyclable  non éclairé, à Saint-Servais (Namur).

Enjeux futurs

Bien sûr, cet article est loin de couvrir toutes les solutions existantes, qu’elles soient déjà déployées ou encore en phase de test. Demain, le marquage routier devra répondre à des défis toujours plus complexes: durabilité renforcée, meilleure lisibilité de nuit ou par mauvais temps, adaptation à la mobilité autonome et cohabitation accrue entre modes de transport. Les matériaux évoluent, et déjà se dessinent les marquages dits «connectés», intégrant capteurs ou encres intelligentes, capables d’interagir avec les véhicules autonomes. Comme quoi, même une ligne blanche peut tracer la route du futur.

(1) Une ACV permet de déterminer les impacts environnementaux (utilisation des ressources naturelles, production de déchets, émissions de CO2, consommation d’énergie…) d’un matériau ou d’un dispositif, depuis l’extraction de ses matières premières jusqu’à la fin de sa vie.

 

FOCUS TECHNIQUE EN 3 QUESTIONS

Pour en savoir plus, nous avons posé quelques questions à Gauthier Michaux, ingénieur des ponts et chaussées au SPW MI.

En quoi consiste votre travail au sein du SPW MI ?

Je suis ingénieur à la Direction des Techniques routières et notamment chargé de l’élaboration des exigences techniques relatives aux produits de signalisation: marquages routiers (signalisation horizontale), panneaux (signalisation verticale) et signalisation de chantier. À ce titre, je coordonne le groupe de travail chargé du chapitre «Signalisation routière» du Cahier des Charges Type (CCT) Qualiroutes (référentiel technique utilisé en Wallonie pour encadrer les travaux de voirie). Nous nous réunissons plusieurs fois par an afin de faire évoluer les textes techniques.

Je réalise également des visites d’inspection chez les fabricants de marquages et de panneaux, en Wallonie et dans le nord de la France. Par ailleurs, je suis chef de projet du site d’homologation des marquages à Baillonville, où nous effectuons des contrôles de performance (rétroréflexion, luminosité de jour, couleur et rugosité) sur les marquages. Nous procédons aussi à des mesures (rétroréflexion et couleur) sur les panneaux routiers – que ce soit sur route, sur chantier, en usine ou dans les stocks. Enfin, j’assure aussi la gestion du site «Qualité & Construction» du SPW MI, qui centralise les documents de référence liés à Qualiroutes et à ses rubriques connexes.


Comment se déroule concrètement votre travail au quotidien ?

Comme tous les membres du Département, j’interviens en tant qu’expert technique pour appuyer les Directions territoriales du SPW MI (Liège, Verviers, Namur, Arlon, Ottignies, Charleroi et Mons). Cet accompagnement est particulièrement important dans des domaines sensibles comme les ponts, les barrages ou les portes d’écluse. Concrètement, j’analyse les fiches techniques qui me sont transmises: je vérifie que les produits sont certifiés, homologués, associés au bon matériau de saupoudrage, ou encore que la résistance du support d’un panneau est adaptée à la surface du signal. Je réponds également à des demandes ponctuelles venues du terrain: comment retirer un marquage mal appliqué ? Un marquage semble glissant, comment le vérifier ? Le film rétroréfléchissant d’un panneau paraît non conforme, que faire ? Un travail à la fois technique, réactif et ancré dans les réalités du terrain.

Quelles conditions doivent être réunies pour qu’une innovation puisse être testée et, éventuellement, adoptée à grande échelle sur les routes wallonnes ?

Dans un premier temps, un chantier expérimental peut être réalisé sans exigences trop strictes, afin d’évaluer le produit en conditions réelles. Mais si une généralisation est envisagée, il doit répondre aux mêmes critères techniques que les produits traditionnels de sa catégorie comme repris dans le CCT Qualiroutes. En ce qui concerne le marquage routier, le produit doit être préalablement homologué sur le site dédié de Baillonville, disposer de fiches techniques validées par un organisme de certification, et faire l’objet d’inspections régulières en usine (au minimum 2 fois par an). Lorsqu’il s’agit d’un produit ne figurant pas encore dans le CCT Qualiroutes, un cahier spécial des charges peut être établi pour autoriser son test en conditions réelles sur un chantier spécifique. S’il s’avère concluant, il pourra ensuite intégrer le CCT. Et de manière générale, tous les travaux routiers sur le réseau régional ou communal doivent faire l’objet d’un marché public, conformément à une législation stricte.

 

Techno-Zoom

La société orléanaise Pi-Pop a mis au point un vélo à assistance électrique reposant sur des supercondensateurs. Contrairement aux systèmes classiques de stockage d’énergie, ceux-ci sont fabriqués à partir de matériaux recyclables et ne contiennent pas de lithium. Pas besoin de prise de courant ni de batterie amovible: l’énergie mécanique du cycliste est stockée puis restituée pour lisser l’effort, notamment au démarrage ou en montée. Résultat: une assistance immédiate, sans surchauffe, une autonomie illimitée et une durée de vie d’environ 15 ans – supérieure à celle des batteries classiques. Cette technologie ouvre la voie à une électromobilité plus durable, sans dépendance aux matériaux critiques comme le lithium. Collectivités et entreprises y voient une alternative plus verte, plus pratique et plus économique.

    https://pi-pop.fr/


Références

    https://infrastructures.wallonie.be/home/nos-thematiques/routes/securite-routiere/amenagements/marquage.html

 

Dans les coulisses

    https://infrastructures.wallonie.be/files/PDF/ACTUS/article%20peinture%20marquage-final.pdf

    https://construirelawallonie.be/nouvelles/un-nouveau-marquage-au-sol-pour-ameliorer-la-securite-des-enfants

    https://mobilite.wallonie.be/files/Rapport_activites_MI_2022_web.pdf

    https://www.monsieurpeinture.com/enduit-froid-quand-comment-appliquer

    https://qc.spw.wallonie.be/fr/qualiroutes/doc/ESHP-Marquages.pdf

 

Des technologies en constante évolution

    https://infrastructures.wallonie.be/news/la-wallonie-un-exemple-en-france

    https://infrastructures.wallonie.be/files/PDF/ACTUS/article%20peinture%20marquage-final.pdf

    https://infrastructures.wallonie.be/pouvoirs-locaux/nos-thematiques/routes/qualite–construction.html

    https://www.copro.eu/fr/info-produit/produits-pour-marquage-routier-microbilles-de-verre-et-granulats-antiderapants?utm_source=chatgpt.com

    https://www.equipements-routiers-et-urbains.com/content/de-lutilite-des-billes-de-verre?utm_source=chatgpt.com

 

Innovation dans le noir

    https://infrastructures.wallonie.be/news/un-marquage-luminescent-teste-par-la-wallonie-pour-les-portions-non-ec

    https://ravel.wallonie.be/home/itineraires/local/ligne-142.html

    https://www.luminokrom.com/fr/

    https://www.luminokrom.com/fr/blog/namur-un-marquage-luminescent-pour-guider-les-cyclistes-sur-un-ravel/

    https://www.luminokrom.com/fr/blog/deuxieme-voie-verte-securisee-en-belgique-avec-le-marquage-luminokrom/

    https://www.rtbf.be/article/la-peinture-intelligente-va-t-elle-securiser-nos-routes-demain-11210775

    https://road-safety-charter.ec.europa.eu/sites/default/files/good_practice/supporting_files/5124.pdf?utm_source=chatgpt.com

 

Homologation des marquages à Baillonville

    https://www.facebook.com/watch/?ref=saved&v=9467464263295187

    https://www.sudinfo.be/id671690/article/2023-06-01/un-laboratoire-grandeur-nature-pour-les-marquages-routiers-baillonville

    https://www.rtbf.be/article/la-peinture-a-leau-gagne-du-terrain-sur-les-routes-wallonnes-11205869

    https://www.lavenir.net/actu/belgique/2023/05/31/marquages-routiers-du-futur-un-grand-test-est-organise-par-le-spw-a-baillonville-WLHTDK22IRETPOEIM34P6WLB64/

    https://www.lavenir.net/videos/2023/05/31/baillonville-le-grand-test-des-marquages-routiers-qkx8533/

    https://auvio.rtbf.be/media/liege-matin-liege-matin-3042546  (A partir de 56 min et 50 sec)

 

Marquages luminescents

    https://fb.watch/liFWwIYjxh/

    https://www.rtbf.be/article/la-peinture-intelligente-va-t-elle-securiser-nos-routes-demain-11210775

    https://www.facebook.com/PhilippeHenryEcolo/posts/pfbid0SDbeeDSQ5Vwn1UXKhVWhcDHrVCsKDtTxrFQz2YDbW6jiy7AZdbvQGgRan2CQZA6wl

    https://www.linkedin.com/posts/philippe-henry-531402b5_le-service-public-de-wallonie-mobilit%C3%A9-et-activity-7072950684341440514-C25e?utm_source=share&utm_medium=member_desktop

 

Techno-zoom

    https://pi-pop.fr/

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