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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

© Grant Webster • © NOAA/Flickr • © Bernard DUPONT/Flickr • © Brian Gratwicke/Flickr • © Jurgen Otto/Flickr • © Mark Hope/Flickr • © 2011 David Cook Wildlife Photography

Signal coloré

Ce n’est pas aux terrariophiles qu’il faut ­l’apprendre: nombre de grenouilles, ­surtout tropicales, arborent des ­couleurs parfois étonnamment fluo. Ce qui amène à se demander quel avantage l’animal peut en ­retirer dans un environnement où, par rapport aux prédateurs en particulier, il est plus prudent de se montrer discret. L’avantage, pour certaines des espèces, est connu: il tient à des glandes ­cutanées qui secrètent un mucus toxique et la couleur particulièrement voyante est un signal d’info ou ­d’intox pour les mêmes prédateurs. 

Un autre avantage a déjà été mis en évidence chez une douzaine d’espèces au moins et porte un nom: le dichromatisme sexuel. Il concerne essentiellement les mâles et le nom seul permet de suspecter de quoi il s’agit: lorsqu’il sont prêts à assurer la reproduction, ces mâles changent de couleur, passant parfois d’un registre à un autre tout à fait différent, comme du bleu au jaune le plus vif par exemple. Le signal est fort, mais ­clairement affiché à l’attention des femelles !

Une étude récente a élargi l’éventail taxonomique puisque ce sont cette fois 178 espèces de ­grenouilles arboricoles qui ont fait l’objet de cette évaluation dichromatique. Et ce qui apparaît, c’est que cette modification radicale du phénotype (l’aspect extérieur) n’est en général que ­transitoire, passant d’une heure minimum à quelques semaines au plus. Cela signifie en clair que la reproduction se trouve concentrée sur une période très courte, renforçant sans doute son efficacité. Il n’empêche que c’est aussi un moment potentiellement délicat pour certaines espèces qui ont des prédateurs que ce moment très réduit intéresse. Sans oublier que les mâles en chasse peuvent aussi se livrer entre eux une guerre sans merci. Si on a taxé cette période de «reproduction explosive», ce n’est évidemment pas pour rien. Par bonheur, notre espèce se trouve aux ­antipodes de cette réalité, elle qui est qualifiée de «continuous breeder» (à reproduction continue).

J. Evol.Biol. http://doi.org/sddn (2017)

Un crustacé si… attachant !

Le Belge et quelques autres de ses voisins ont pour la moule (de Zélande en particulier) les yeux de Chimène, si ce n’est, plus prosaïquement, l’estomac de Gargantua. L’animal à la chair tendre se marie si bien avec la frite que la seule évocation de ce célèbre menu fait ­saliver nombre de contemporains. C’est un peu vite oublier que le même animal (Mytilus edulis), ainsi que toutes ses consœurs Mytilidées, sont des animaux marins qui peuvent aussi ne pas faire que des heureux. Pour vivre, ces mollusques doivent dès leur plus jeune âge se fixer à un support afin de profiter des mouvements de la mer littorale et surtout du plancton qu’elle véhicule. C’est du reste en maximisant cet accrochage sur des supports de bois plantés tout exprès que la mytiliculture est exploitée. Mais une moule peut indifféremment se fixer à n’importe quelle surface pourvu qu’elle ait les mêmes propriétés. Et celle des coques de bateaux, par exemple, n’y échappe pas. Quelques esthètes pourraient trouver cela décoratif, mais ce n’est pas l’avis de marins qui voient dans cette forme d’attachement abusif un frein au déplacement ainsi qu’une source de détérioration des coques. 

La solution ? Mettre le bateau en cale sèche et gratter tout ce qui s’est accroché à la surface, dont les moules ne constituent sans doute que l’élément le plus visible. Il faut ensuite apporter au support une nouvelle peinture protectrice… jusqu’à la fois suivante. L’opération n’est sans doute pas à renouveler très souvent mais représente tout de même une débauche d’énergie dont les gens de mer se passeraient bien. Le concept est connu depuis longtemps mais n’avait jusqu’ici pas abouti de façon suffisamment efficace. C’est peut-être désormais acquis. Des chercheurs se sont penchés sur le problème et ont mis au point un revêtement imprégné de lubrifiant. Il s’agit d’une huile de silicone simplement identifiée pour le moment par le code i-PDMS, qui dissimule sans doute un brevet à exploiter. 

Le travail des scientifiques a surtout consisté à vérifier à tous les niveaux, y compris à celui des protéines de surface du pied de la moule, que le produit en question était suffisamment répulsif. Et cela semble être le cas, comme l’ont prouvé les tests en laboratoire et en milieu ouvert. Voilà donc un problème millénaire peut-être en voie de résolution si toutefois le prix du produit final est compatible avec le budget des utilisateurs et si ledit produit ne se révèle pas toxique à l’usage. 

Tiens, à propos: sait-on comment s’appelle la matière fibreuse qui permet à la moule de s’accrocher à un support ? Il s’agit du byssus (un cadeau pour les amateurs de scrabble !). Certaines espèces en produisent tellement que les fibres peuvent être tissées, ce que les Grecs de l’Antiquité faisaient déjà pour en tirer des accessoires de luxe. Notre moule à nous reste quant à elle à un niveau de production modeste. Mais elle a d’autres charmes, comme on l’a rappelé !

Science, 2017; 357: 668-672



Bio zoom

Ce joli passereau orangé d’une trentaine de centimètres est un coq‑de‑roche guyanais (Rupicola rupicola) mâle (la femelle est de ­couleur plus terne). Comme son nom l’indique, il vit essentiellement dans les forêts tropicales de Guyane et d’Amérique du Sud. 

Sa principale caractéristique est qu’il marque son territoire au sol en éliminant tout ce qui s’y trouve: feuilles, brindilles, écorces… Saviez-vous que cette zone s’appelait le «tribunal» ? C’est sa qualité qui attirera les femelles… ou pas ! 

Insolite

Comment font les grenouilles toxiques pour ne pas s’intoxiquer elles-mêmes ?

Elles ont modifié leurs propres récepteurs à cette toxine. Entendons-nous bien: ce n’est bien sûr pas un choix volontaire, c’est le hasard des mutations qui a apporté cette dispo­sition hautement salutaire pour l’animal. 

Une des toxines produites en particulier par des grenouilles tropicales hautes en couleurs est l’épibatidine. Ce poison du système nerveux a pour fonction prioritaire de dissuader les prédateurs. Dans le processus métabolique où il s’inscrit normalement, cet alcaloïde dont l’effet analgésique est considérablement plus important que celui de la morphine, se fixe sur un récepteur de l’acétylcholine, un neurotransmetteur libéré par les connexions (ou synapses) des neurones dits cholinergiques. Le toxique trouve de cette façon une voie d’entrée dans le système nerveux. Et c’est là que réside le «truc»: chez les grenouilles qui produisent l’épibatidine, le récepteur spécifique a été modifié d’un seul composant (un acide aminé), ce qui rend son efficacité nettement moins grande. Il suffisait d’y ­penser ! Et ce que l’on a également noté, c’est que l’acide aminé substitué n’est pas forcément le même chez toutes les espèces de grenouilles, ce qui les met également à l’abri l’une de l’autre. C’est bien connu, on n’est jamais trop prudent !

Science, 2017; 357: 1261-1264

Rusé le coucou

Si le coucou (Cuculus canorus) est un oiseau commun reconnu par beaucoup, c’est à son cri en 2 tons qu’il le doit et qui lui vaut son nom. Mais il est aussi tristement réputé pour son comportement de parasitisme de couvée. En bref, la femelle, qui ne fabrique pas de nid, se sert de celui des autres pour aller y pondre. Comment ? En profitant d’un moment de distraction d’une autre femelle plus petite qu’elle (peu importe l’espèce), elle éjecte un des œufs à peine pondus par la femelle bernée et dépose un des siens à la place. Ni vu ni connu puisque le compte reste bon. Qui en fait les frais ? La rous­serolle (l’effarvatte notamment, Acrocephalus scirpaceus), qui construit son nid parmi les roseaux, mais aussi d’autres surtout insectivores, de taille équivalente. Comme il éclot 1 à 2 jours avant les autres, le jeune coucou, qui ne supporte de présence que la sienne, jette tout simplement les autres œufs par-dessus bord. Il reste donc le seul bec à nourrir et ses parents adoptifs, dupes du stratagème, s’y emploient tant qu’ils peuvent. Cet unique rejeton a un tel appétit qu’à peine âgé de 3 semaines et déjà plus gros que ses nourriciers, il quitte le nid en quête d’une nourriture plus abondante (voir photo ci-contre: Un passereau Strepera – à droite –  nourrissant un jeune coucou présageur  – à gauche). Et c’est là que les conditions environnementales se retournent contre lui; puisqu’il pépie fort et beaucoup au ras du sol ou presque, il devient à son tour la proie de plus gros: belettes, rapaces, renards…

Ce qui jusqu’ici posait question est la manière dont la femelle ­coucou s’y prend pour profiter d’un moment d’inattention du couple d’hôtes, pourtant réputés attentifs au sort des œufs à peine pondus, pour visiter leur nid. La réponse vient d’être apportée par une équipe de chercheurs britanniques: elle a mis au point une ruse ! Le coucou, en plus de son «cou-cou» un peu terne et répétitif, est aussi capable d’imiter le cri du faucon, un prédateur de la rousserolle entre autres. Le résultat, on le devine: pris de panique lorsque le cri redouté du rapace parvient à lui, le passereau quitte son nid en urgence le laissant accessible, le temps d’une ponte, à la profiteuse qui vient y satisfaire sa coupable substitution. Et quand il rentre, le nombre d’œufs étant inchangé, l’hôte ne perçoit rien d’anormal. Il est tout de même doublement berné puisqu’en plus d’avoir à nourrir un imposteur, il n’aura aucun autre jeune. L’imposteur en question a-t-il pour sa part un avenir assuré ? Rien n’est moins sûr: on estime à 10% seulement la part des coucous qui, enfin arrivés à l’âge adulte, peuvent migrer quand la mauvaise saison arrive…

Nature Ecol. Evol. http://doi.org/ccr7 (2017)

Un coucou adulte

Femelle Séricorne fléché (Chthonicola sagittata) nourrissant un jeune coucou oreillard (Chrysococcyx osculans)  


Une avalanche de mâles 

Le réchauffement des mers et océans devrait, dans ­certaines régions tropicales du globe, avoir un effet très immédiat sur les populations de crocodiles et espèces apparentées: augmenter la proportion des femelles. En effet, s’il n’y a pas de chromosomes sexuels pour déterminer le genre chez ces espèces, leur sex ratio dépend de la température d’incubation des œufs. Sauf qu’au Costa Rica, 80% des populations contrôlées (au Parc National de Palo Verde, par exemple) sont de sexe masculin ! 

Il n’en fallait pas davantage pour mettre des scientifiques en émoi, lesquels ont cherché la cause d’une «anomalie» aussi importante. Ils l’ont identifiée: elle tient à la présence, dans l’eau, de 17-methyltestostérone, une hormone clairement androgène. Son origine ? C’est ça qui pose question. Plusieurs pistes sont ouvertes. La première est celle des hommes qui utilisent cette hormone, peu dégradable en milieu naturel, pour différents usages, le plus commun étant le bodybuilding. Une autre piste est celle du traitement de femmes atteintes d’un cancer hormono-dépendant. Dans l’un et l’autre cas, ce sont les urines qui seraient les vectrices, via les eaux des effluents domestiques, de la présence de l’hormone dans les estuaires. Mais la plus vraisemblable tient au nourrissage des tilapias dans des élevages de la région. Afin d’accroître le rendement – sachant que les mâles grandissent plus vite et plus massivement que les femelles – les poissons reçoivent un ­aliment enrichi en cette substance. Comme elle est ­souvent donnée en excès, le surplus se dépose sur le fond de l’eau d’où des flux l’emportent, parfois à plus d’une ­centaine de kilomètres de distance. 

Ces hypothèses sont bien entendu débattues, même si le fond du problème est, lui, incontestable. Si, par exemple, on incube des œufs dans cette eau-là à une température qui ne peut donner que des femelles, on obtient tout de même 60% de mâles. Sont-ils fertiles, aptes à se reproduire ? Le vrai problème est là; parce que la situation observée pourrait mener à une réduction des effectifs des espèces concernées avec un risque réel de mise en danger.  

On peut évidemment mettre l’observation en doute et il suffit aux sceptiques d’aller la vérifier sur place. Pour connaître le sexe des crocodiles et autres caïmans, il «n’y a qu’à» introduire un doigt dans le cloaque, un orifice situé à la base de la queue; c’est là que se trouve l’organe qui fait la différence. Une remarque toutefois: l’opération n’est pas sans risques !

Science, 2017; 357: 859-861

En parlant de mâles…

Tous les hommes naissent avec une prostate, même s’ils n’en prennent en général conscience qu’au-delà de 50 ans quand l’organe, qui tend à prendre trop de place, mène à ce que l’on appelle l’adénome prostatique. Rien de grave (et dès lors souvent banalisée) sinon que chez 4 hommes sur 5, cela contrarie progressivement la miction. La suite tient à une simple «gestion» de cette contrainte, à un traitement médicamenteux, voire à une chirurgie. Dans certains cas aussi, cet adénome peut évoluer en cancer, souvent d’évolution lente, ce qui fait que nombre d’hommes meurent avec un cancer de la prostate, mais pas forcément de celui-ci. 

Les progrès de la génétique ont permis d’associer des mutations de quelques gènes à cette évolution pathologique en assortissant celles-ci d’un facteur de risque. Il ne s’agit que de «prédispositions» qui ne signifient donc pas que la maladie va se déclarer. Mais ils peuvent aussi servir de facteur d’évaluation de l’agressivité du cancer si celui-ci survient. Tout cela est connu depuis quelques années, mais c’était encore sans tenir compte des mitochondries, ces organites qui fournissent à la cellule l’énergie dont elle a besoin pour fonctionner. Or, ces inclusions présentes en nombre ont leur propre génome qui guide leurs fonctions. Et rien n’interdit qu’une mutation survienne aussi à leur niveau. C’est ce qu’ont voulu vérifier des généticiens canadiens en étudiant le génome mitochondrial de 384 patients atteints d’un cancer prostatique. Résultat: les sujets évalués comptaient en moyenne une anomalie, un nucléotide (l’élément constitutif de l’ADN) étant substitué à un autre. «Une en moyenne», signifie tout de même que près de la moitié n’en portaient pas (principalement les plus jeunes). En revanche, chez une soixantaine des cas étudiés, on observait une fréquence élevée de substitutions pour 21 nucléotides en particulier, ce qui laisse à penser que ceux-ci pourraient être considérés comme des marqueurs. On a aussi noté l’association, dans le cas des cancers les plus agressifs, d’une mutation au niveau de l’ADN des mitochondries et d’une autre, dans l’ADN du noyau, qui affectait en particulier le gène Myc, un oncogène bien connu. 

On peut rappeler que toutes les mitochondries que nos cellules hébergent ont une seule et même ­origine: l’ovule maternel. Cela n’interdit en aucun cas que des anomalies surviennent à ce niveau, y ­compris et de façon exclusive chez les hommes.

Nature communication, 2017; 8: 656

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