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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

© Jeff Leach  • © richardoyork/Flickr • © Alex Proimos/Flickr

De l’intérêt de vivre avec les saisons

Il est aujourd’hui devenu «tendance» d’évoquer le microbiote, cette colonie bactérienne abondante qui peuple notre tube digestif. Ce sont ces germes qui, bien que profitant en première intention de tout ce que nous avalons, le dégrade ensuite en éléments que nous sommes à même de résorber. C’est donnant-donnant. Mais cette belle harmonie apparente est aussi tributaire de ce qui constitue notre base alimentaire, richesse en sucres et graisses comprise.

Nous avons la possibilité aujourd’hui de bénéficier des mêmes aliments tout au long de l’année, quitte à les faire venir de loin. Mais on peut tout aussi bien se sustenter à partir d’aliments bien de chez nous (pain, fruits secs, etc.) sans chercher à les diversifier pour autant…

Ce qui est le cas de populations qui n’ont pas de supermarchés à leur disposition et qui doivent se contenter de ce qu’ils trouvent, au gré des saisons. C’est précisément sur une de ces populations qu’a porté une étude récente dont l’objet était d’en ­évaluer le microbiote, tout au long de l’année. ­L’ethnie retenue par les chercheurs de l’Université de Stanford (Californie) est celle des Hadza, des ­chasseurs-cueilleurs de Tanzanie. Leur alimentation, assez tranchée, est essentiellement faite de viande lors de la saison sèche, de baies et de miel à la saison des pluies. Chacun des groupes de bactéries digestives a été identifié d’abord, quantifié ensuite. Et ce qui apparaît, c’est une fluctuation ­saisonnière qui, pour certains des groupes de germes, peut varier en densité de 70% d’une ­saison à l’autre. Puisqu’il existe un lien étroit – bien ­qu’imparfaitement compris encore – entre la compo­sition du microbiote, le métabolisme et le système immunitaire, on peut imaginer que les Hadza pourraient être plus ou moins aptes à se «défendre» contre les agressions diverses à caractère pathologique, sauf qu’il apparaît que la diversité spécifique de leurs germes intestinaux est bien supérieure à ce qu’elle est dans le tube digestif des occidentaux. Une compensation spontanée et «naturelle» contre les aléas métaboliques de la vie ? C’est possible. C’est en tout cas une différence qu’il semble intéressant de creuser; pour le bien des Hadza peut-être, mais pour le nôtre aussi, sans doute !

Science, http://dx.doi.org/10.1126/science.aan4834 (2017)

Abeilles: le pire n’est-il pas à venir ?

La réalité est connue: des colonies d’abeilles disparaissent à un rythme soutenu depuis de
nombreuses années et un peu partout dans le monde. Responsables désignés: les néonicotinoïdes, ces pesticides neurotoxiques prévus pour combattre les
insectes nuisibles aux cultures. Ils sont efficaces, mais ils le sont indistinctement puisque les pollinisateurs, plutôt favorables aux mêmes cultures (notamment horticoles), sont eux aussi atteints. On pressent également
un effet «rebond» sur le moyen, voire le long terme. En effet, comme ces composés chlorés ou soufrés sont rémanents, ils persistent dans l’environnement où ils s’accumulent. Ils peuvent également être entraînés dans les nappes phréatiques, affecter des invertébrés au passage ou être captés par les racines
de plantes sauvages à fleurs, qui sont butinées ensuite par les hyménoptères en général et les abeilles en particulier. Celles-ci en reprennent donc, d’une certaine façon, une seconde ose !

Il va également de soi que, dans la chaîne alimentaire, les prédateurs naturels des
insectes et invertébrés puis ceux qui les consomment ensuite, concentrent les
toxiques qui peuvent atteindre un seuil dommageable à leur niveau.

Une étude récemment publiée, menée entre 2012 et 2016 précise à ce propos que quelle que soit la région du monde où ils ont été produits, 57 à 86% des miels – destinés aux humains – contiennent des traces au moins de ces neurotoxiques. Et il y a peu de risques que les choses changent, sauf évidemment
si les concentrations du poison ont raison de toutes les abeilles. Du coup, il n’y aura plus de miel non plus; une façon radicale de régler le problème qui n’est tout de même pas celle qui est attendue.

On sait que des dispositions relatives à l’utilisation des biocides en général ont été
prises dans l’Union européenne et aux États-Unis en particulier. Mais ces produits efficaces sont, au même titre que les néonicotinoïdes, peu biodégradables et risquent donc de s’accumuler ou d’être présents au moins
pendant longtemps encore. Ils peuvent aussi, dans de nombreux organismes, se
trouver une synergie toxique avec d’autres produits dont notre environnement
n’est pas avare.

Bien au-delà du réchauffement climatique dont on fait une lutte écologique prioritaire, il serait, dans nos régions «industrielles» au moins, plus sage ou urgent de s’inquiéter d’abord de cette pollution-là, parfois massive, toxique et souvent cachée, dont on a peu de chances de pouvoir se libérer facilement.
Question de choix politique: dans un cas, on peut se contenter de taxer les automobilistes qui émettent du CO2; dans l’autre, on risque d’hypothéquer quelques productions agricoles à forte dimension économique. Le
choix n’est-il donc pas posé d’avance ?

Science, 2017; 356: 38-39

Bio zoom

Physarum polycephalum, alias le «blob» en référence à son manque de forme, est une espèce de myxomycètes de la famille des Physaraceae. Il vit dans des zones fraîches et humides telles que les tapis de feuilles des forêts ou le bois mort. Le plus souvent de couleur jaune, il se ­nourrit des spores de champignons ou de bactéries. Mais le plus étonnant reste que non seulement il aurait des capacités d’apprentissage, mais qu’il pourrait transmettre ses «connaissances» à ses congénères en fusionnant temporairement avec eux… 

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Insolite

Que doit-on au professeur Barry J. Marshall depuis 1984 ? 

Le fait d’avoir découvert que l’ulcère à l’estomac ou du duodénum n’est pas dû au stress ou à un excès d’acidité, mais simplement (!) et le plus souvent  (60 à 85% des cas) à un germe: Helicobacter pilori. Comme souvent et à plus de 30 ans de distance, l’information paraît banale; pourtant, pendant des années, de très nombreuses ­personnes sont mortes d’une ­perforation de l’estomac (stade avancé de l’ulcération) alors qu’un traitement antibiotique aurait suffi à les guérir. Marshall, persuadé du bien-fondé de sa théorie, a eu le courage d’en faire la démonstration sur lui-même: il a publiquement avalé une suspension du germe qu’il mettait en cause et moins d’une semaine plus tard, un ulcère était diagnostiqué chez lui. Comme le scientifique le postulait, le mal a pu simplement être traité ensuite par un traitement antibiotique. Non seulement ce médecin offrait-il la démonstration que son hypothèse était fondée, mais aussi que des germes pouvaient vivre, et même très bien, dans l’environnement très acide de l’estomac. Encore fallait-il oser mettre sa propre santé au service de sa cause ! Cette audace, mais ­surtout l’ensemble de ses travaux, lui a fait obtenir le Prix Nobel de physiologie et médecine en 2005, en partage avec son collègue Robin ­Warren.

Le même germe est pourtant présent dans le tube digestif d’une fraction importante d’être humains; probablement 50% d’entre eux. Ce n’est que dans des circonstances particulières pas ­toujours identifiées (la prise de certains anti-inflammatoires en est une) que ce germe pourrait devenir pathogène pour l’organe qui l’héberge. Autant le savoir !

Pingouins vs exploitants miniers: 1 – 0 ?

Même s’il reste énormément à faire en matière environnementale, il est incontestable que les mentalités changent. L’impératif économique, si souvent avancé (création annoncée d’emplois à la clé) n’est plus toujours une priorité fondamentale. Enfin, peut-être. Pour preuve cette décision du Chili de refuser l’exploitation d’un nouveau site d’extraction de minerai de fer. Un filon apparemment, puisqu’il était question d’en retirer des millions de tonnes du métal, dans le cadre d’un projet à hauteur de 2,5 milliards de dollars. La raison de ce refus: la présence à cet endroit d’une colonie de milliers de pingouins, à proximité d’une réserve naturelle de 888 ha; la Réserve nationale de pingouins de Humboldt (Sphéniscus humboldti) qui, trop proche, se trouverait menacée.

Est-ce définitivement gagné ? Ce n’est pas sûr puisque la société déboutée fait appel. On ne sait par ailleurs que trop que la seule évocation de ­milliards fait fleurir quelques idées d’adaptation de lois et de règlements. S’il existe une solution finale qui permet à chacun (pingouins et industriels) d’y ­trouver son compte, pourquoi pas ? Mais on a malheureusement un peu l’impression que la balance décisionnelle risque de pencher d’un côté de façon préférentielle, la densité du dollar étant plus élevée que celle des animaux littoraux. Est-ce finalement ce qui va se passer ? Mystère. L’espèce ­concernée – l’oiseau, pas la monnaie – serait considérée vulnérable. À surveiller et à maintenir à un niveau suffisant, par conséquent. Cela sera-t-il pris en compte dans la décision définitive ? C’est ce qu’on attend de voir.

Nature, 2017; 548: 505

L’eau, source de vie ? 

L’eau est indispensable à la vie; la nôtre en particulier. On la prélève généralement là où on la croit la plus propre, la plus pure, la plus saine. Sauf que dans certaines régions du monde, en particulier en Asie, même puisée dans la profondeur du sol, elle n’est pas sans risque. Le problème est malheureusement connu, mais faute de moyens ou de réelle volonté, il ne va pas en s’amenuisant. Dans des pays comme le Pakistan et ses voisins, l’accroissement de la population fait que la demande en eau augmente dans une même proportion. Or, dans certaines régions et notamment dans la vallée de l’Indus, les roches profondes où le fluide vital est puisé contiennent de l’arsenic dont on connaît les redoutables propriétés à fortes doses (problèmes cutanés, cancer pulmonaire, affections cardiovasculaires, etc.). Un pompage accru tend en outre à accroître aussi la dissolution rocheuse à la faveur d’un pH (acidité) favorable au relargage minéral. Résultat: la concentration en arsenic de l’eau pompée augmente. Jusqu’ici, on n’a pas encore enregistré de problème aigu, même si la concentration autorisée au Pakistan est 5 fois plus élevée que celle prônée par l’OMS (Organisation mondiale pour la santé), établie à 10 microgrammes par litre. Cela n’exclut évidemment pas quelques épiphénomènes, la concentration de l’élément pouvant fluctuer dans une large mesure d’un site à l’autre. Il faut aussi parfois compter avec des pollutions locales, elles aussi à haut risque. On pense à ce propos aux hydrocarbures et aux germes divers.

Des mesures sont régulièrement effectuées, mais il est difficile de contrôler en permanence la qualité de l’eau consommée. Or, on évalue à 50-60 millions le nombre d’individus concernés par la présence trop massive d’arsenic dans cette ressource indispensable.

Pour une fois, il s’agit d’un problème sanitaire qui n’est pas lié à une pollution au sens où on l’entend d’habitude, mais bien à une surexploitation des nappes aquifères. Il reste toutefois à tenter de faire comprendre aux populations concernées qu’il faut pomper moins à défaut de trouver une solution alternative. Au-delà du réchauffement climatique qui sature la vue de beaucoup de défenseurs de la planète, existent bien d’autres périls dont on ne risque de prendre la mesure de l’ampleur que trop tard. Les pollutions diverses en font partie. Espérons que ce ne sera tout de même pas le  cas.  

http://advances.sciencemag.org/content/3/8/e1700935.ful

Notre cousin le singe…

Entretenir un lien de parenté n’a pas que des avantages. Pour preuve cette réalité, sinon mise en évidence, au moins suspectée depuis peu: des Brésiliens auraient contracté la malaria via des singes. Le vecteur est un pathogène qui n’était jusque-là connu que chez le singe: Plasmodium simium, qui n’est pas le P. virax des humains. La suspicion vient surtout du fait que les cas d’infection se multiplient principalement au pourtour des forêts proches de Rio de Janeiro et que les identifications apportées par les tests de biologie moléculaire semblent accréditer l’information.

Pour les médecins, le doute subsiste néanmoins, puisque les tests sanguins les plus ­communément pratiqués ne permettraient pas de distinguer une espèce de Plasmodium de l’autre. S’agit-il d’une contamination «sporadique» qui a peut-être déjà existé auparavant, mais que, faute d’examen génomique, on a attribuée au pathogène humain ? La question reste momentanément en suspens. Cela ne change évidemment pas grand-chose pour les personnes infectées. Mais on peut tout de même se demander comment le protozoaire pathogène est passé du singe à l’homme, l’hôte simien principal étant le singe hurleur (du genre Alouatta), herbivore et frugivore. Le moustique est-il à mettre en cause aussi ? C’est possible et même vraisemblable car nos cousins, bien que densément velus, ne sont pas à l’abri d’une piqûre. Si la transmission du Plasmodium est un phénomène récent, cela veut dire qu’il existe un risque nouveau et peut-être accru de contracter la maladie. Il appartient désormais aux spécialistes locaux de la santé d’en tirer les conclusions les plus opportunes.  

Science, 2017; 357: 953

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