Espace

Quoi de neuf dans l’espace ?

Relever le défi des initiatives privées, de plus en plus présentes dans le business de l’accès à l’espace: l’avenir d’Arianespace est à ce prix. La société européenne de lancements spatiaux, qui fait partie d’ArianeGroup (Airbus et Safran), a réussi à devenir une référence auprès des opérateurs de satellites de télécommunications dans le monde entier. Il lui faut rivaliser avec de nouveaux venus en développant des outils de lancements moins coûteux dans le cadre d’un partenariat public-privé entre l’ESA et ArianeGroup: le duo Ariane 6 et le Vega-C (avec la société italienne Avio) doivent permettre à Arianespace de préserver un rôle de leader sur un marché fort convoité. Cette réaction n’arrive-t-elle pas trop tard ? 

Théo PIRARD  •  theopirard@yahoo.fr

© ARIANEGROUP

Avec le lanceur français Ariane, dont la première version fut conçue et mise au point dans les années 70, l’Europe a dû faire le pari du transport spatial à des fins commerciales. Elle n’avait pas assez de missions institutionnelles – pour l’ESA et les gouvernements – pour justifier un planning rentable de lancements depuis le Centre spatial guyanais de Kourou. Elle a su tirer parti de la décision de la NASA de renoncer à l’emploi du Space Shuttle pour la clientèle privée des opérateurs de satellites commerciaux. Ce qui a permis la belle percée de la famille modulaire des lanceurs Ariane 4 jusque fin des années 90. La mise en œuvre actuelle du lanceur lourd Ariane 5 s’est révélée plus risquée et coûteuse. Sa fiabilité et ses performances ont néanmoins sauvegardé la réputation de sérieux d’Arianespace. La prochaine décennie sera cruciale pour l’avenir des lancements européens.

Avec Ariane 6.4 (1er vol en 2021), Arianespace sera-t-elle en mesure de tenir tête à SpaceX et ses Falcon 9 en partie réutilisables ?

L’Europe a-t-elle pris assez au sérieux le phénomène du NewSpace – montée en puissance d’acteurs privés – pour des services compétitifs de mise en orbite ?

C’est un fait évident qu’il faut déplorer: l’ESA a trop tardé à convaincre ses États membres de l’impérieuse nécessité ­d’investir dans des lanceurs plus économiques. Il a fallu attendre le Conseil ministériel de l’ESA du 2 décembre 2014, réuni à Luxembourg, pour que soit engagé, avec l’entreprise ArianeGroup, le programme des Ariane 6.2 (jusqu’à 5 t en Gto/Geostationary Transfer Orbit, de 200 à 36 000 km) et 6.4 (jusqu’à 12 t). Ces lanceurs doivent remplacer Ariane 5 dès 2023. Alors que la Russie semble perdre pied pour des services compétitifs et fiables et que la Chine n’est pas admise à lancer des satellites avec des composants américains (soumis aux normes ITAR/International Traffic in Arms Regulations), on voit proliférer des lanceurs de nouvelle génération qui doivent prendre leur envol en 2020-2021:

•  SpaceX, l’entreprise d’Elon Musk, continue d’améliorer ses Falcon 9 (6 t en Gto) et Falcon Heavy (26 t) pour la propulsion et la réutilisation. Son objectif est de les rentabiliser pour financer son projet de lanceur lourd BFR (Big Falcon Rocket) devant entrer en scène dès 2023.

•  Blue Origin, la société de Jeff Bezos, prépare le lanceur New Glenn (13 t) pour des vols dès 2020 depuis une nouvelle infrastructure au Cape Canaveral.

•  ULA (United Launch Alliance), filiale de Boeing et de Lockheed Martin, annonce le remplacement de ses fusées Delta 4 et Atlas 5 avec le lanceur Vulcan moins coûteux (jusqu’à 13 t).

•  Orbital ATK projette de tester en 2021 son nouveau lanceur OmegA, combinant 2 étages à poudre et un étage supérieur cryogénique (5,5 t).

•  Mitsubishi Heavy Industries entend réussir une percée commerciale avec son lanceur modulaire H3 (jusqu’à 6,5 t); développé avec le soutien de la Jaxa (Japan Aerospace Exploration Agency), il doit effectuer un vol de démonstration en 2020. 

Face à une telle concurrence, comment pourront se positionner les lanceurs Ariane 6 ?

Le système européen de transport spatial, avec Arianespace, a démontré une qualité des services, associée à la fiabilité des performances. Il demeure que le critère du prix est le facteur décisif pour séduire un client commercial. Il s’agit dès lors de réduire les coûts, en rationalisant les processus de production au sein d’ArianeGroup. Surtout Ariane 6, dont le premier lancement est prévu durant l’été 2020, a besoin d’un engagement politique au niveau européen à privilégier son emploi  et ce, de préférence à ses compétiteurs principalement américains largement subsidiés par les commandes gouvernementales (de la NASA et du Département de la Défense). Les États d’Europe, suivant l’exemple de l’Union, ont à donner la priorité à l’utilisation des moyens d’Arianespace.

La réutilisation d’étages de lanceur semble s’imposer… Où en est-on du côté européen ?

L’ESA a décidé d’aller de l’avant avec un programme Ariane 6 Next d’activités technologiques pour le lanceur européen du futur. Le défi de la réutilisation d’étage est l’objet d’une coopération avec les agences spatiales de France (Cnes), d’Allemagne (Dlr) et du Japon (Jaxa) avec le démonstrateur Callisto (Concept A Launcher Leading to Innovation Space Transportation into Orbit). Il sera testé durant 2020 lors de bonds à partir du site «fusées‑sondes» au Centre spatial guyanais.

Mais encore… 

Constellation pour observer en direct 

Airbus Defence & Space s’est lancé dans la réalisation d’une ambitieuse constellation pour un Internet instantané à la portée de tous sur l’ensemble du globe: OneWeb doit déployer jusqu’à 900 mini­satellites à 1 200 km. Ces relais de données d’environ 200 kg doivent être produits à la chaîne par OneWeb Satellites à Toulouse et dans une nouvelle usine au Cape Canaveral. Basé sur la plateforme compacte et modulaire Arrow, ce modèle de satellite est proposé pour la constellation EarthNow: une centaine d’yeux répartis autour de la Terre suivront, en continu, faits et gestes partout sur la planète. Derrière ce projet de surveillance globale, il y a les principaux actionnaires de Oneweb, ainsi que le milliardaire Bill Gates, le «père» de Microsoft. L’exploitation ultra-rapide des observations d’EarthNow passera par la maîtrise des algorithmes de l’intelligence artificielle pour un tri approprié des données. Décidément, les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) n’ont pas fini de mieux nous contrôler.

Satellite espion grand-ducal.

Misant sur son avance pour la gestion de systèmes spatiaux – avec l’opérateur global SES -, le Luxembourg propose de mettre à disposition de l’OTAN et de ses États membres des satellites militaires de télécommunications et même de télédétection. Le 31 janvier dernier, une délégation luxembourgeoise assistait au lancement du GovSat-1 au moyen d’un Falcon 9 de SpaceX. Ce satellite, réalisé par le constructeur américain Orbital ATK grâce à un partenariat entre le Gouvernement grand-ducal et SES, offre la particularité d’être conçu pour accueillir une charge supplémentaire au cours de sa durée de vie de 15 ans. Le Grand-Duché entend poursuivre cet effort pour doter l’Europe d’une capacité autonome de surveillance globale depuis l’espace. Il vient d’approuver le projet Naos (National Advanced Optical System) de quelque 175 millions d’euros. C’est ni plus ni moins un satellite d’observation à très haute résolution mis à disposition de l’Union Européenne et de l’OTAN. Il sera intéressant de voir dans quelle mesure le Gouvernement grand-ducal va, pour Naos, jouer la carte d’un satellite de fabrication américaine ou européenne… La Belgique sera-t-elle partie prenante dans sa mise en œuvre ? 

Galileo aux prises avec le Brexit.

Le système européen de navigation globale par satellites est un programme de l’Union Européenne (UE) réalisé par l’ESA (European Space Agency). Le Royaume-Uni a contribué à son développement et son industrie avec Sstl (Surrey Satellite Technology Ltd) réalise la charge utile de chaque satellite pour le maître d’œuvre allemand Ohb. Son implication dans Galileo pèse dans la balance des négociations Brexit de la sortie des Anglais de l’Union. Il est question que Londres n’ait plus accès aux services cryptés gouvernementaux qui sont réservés aux seuls membres de l’UE. Le Gouvernement britannique fait valoir qu’il a déjà beaucoup investi dans Galileo et qu’il fait partie de l’ESA. Dans le passé, il a toujours marqué une certaine préférence pour le système américain Gps (Global Positioning System). 

La constellation Earthnow.


Les Indiens se sont dotés de leur propre constellation de satellites Irnss de navigation. Voici l’un de ces satellites durant ses tests à Bengaluru dans un simulateur spatial qui a vu le jour le jour à Liège chez Amos

L’Inde spatiale: une fierté nationale

Plus de 1,32 milliard d’euros (environ 107 milliards de roupies): c’est le budget 2018-2019 de l’Inde pour ses activités dans l’espace. Ce que le DOS (Department of Space) a demandé au Parlement indien pour son fonctionnement et son programme de l’année budgétaire en cours (du 1er avril au 31 mars). Pour un État qui compte 1 358 millions d’habitants, cet effort spatial représente un peu moins d’1 euro par citoyen. Il se traduit par une présence réussie dans un secteur high-tech

ISRO

Dans une nation multi-culturelle qui représente une économie dynamique – en passe de devenir la 5e au monde -, mais dont le niveau élevé de pauvreté est mis en évidence, l’accès aux technologies nouvelles, notamment celles de l’aérospatial et de l’informatique, doit être garanti pour les milliers de jeunes ingénieurs et chercheurs qui sont issus de brillantes universités et écoles polytechniques indiennes. La dimension spatiale fournit des solutions pour organiser un important pays aux ressources limitées et aux nombreux problèmes, ainsi que des occasions d’exalter le sentiment de fierté nationale.

L’Isro (Indian Space Research Organisation), l’agence spatiale indienne qui emploie environ 17 000 personnes, est chargée par le DOS de mener à bien le programme de l’Inde dans l’espace. En ce début d’année, elle a publié son rapport 2017-2018 qui décrit les missions et projets en cours, avec leurs retombées en matière d’applications et d’éducation. Celui-ci reste ambitieux, restant fort axé sur l’emploi des systèmes spatiaux comme outils de gestion avec des satellites nationaux de télécommunications, de télédétection, de navigation, si possible placés sur orbite par les lanceurs indiens Pslv et Gslv. Il y a un volet scientifique, avec des sondes et observatoires, qui valorise le potentiel de recherche et qui stimule ­l’innovation des laboratoires. Pour la grande diversité des technologies à mettre en œuvre, Delhi compte sur une multitude de centres et instituts répartis dans plusieurs États régionaux. 

Priorité à l’autonomie

La principale part du budget spatial indien – 824  millions d’euros – couvre les grands axes de technologie spatiale indienne. À commencer par la maîtrise de l’accès à l’orbite avec des systèmes autonomes de lancements. Plusieurs centres d’excellence au sein de l’Isro ont démontré leur expertise pour leurs activités en propulsion, le développement et les essais de satellites et le contrôle de missions dans l’espace. On trouve à Thiruvananthapuram, le Vikram Sarabhai Space Centre (Vssc), l’Isro Inertial Systems Unit (Iisu), l’Isro Propulsion Complex (Iprc); à Bengaluru (près du siège de l’Isro), l’Isro Satellite Centre (Isac),
le Laboratory for Electro-Optics Systems (Leos), le Liquid Propulsion Systems Centre (Lpsc); sur l’île de Sriharikota près de Chennai, le complexe de lancements Satish Dhawan Space Centre (Sdsc); le réseau des stations de l’Isro Telemetry, Tracking & Command Network (Istrack) contrôlé depuis Bengaluru; le Master Control Facility (Mcf) à ­Hassan (avec son back-up à Bhopal).

Aujourd’hui, l’Isro met en œuvre 3 lanceurs qui ont fait la démonstration de services fiables en combinant des moteurs à poudre et des propulseurs à liquides:

•  Le Pslv (Polar Satellite Launch Vehicle), capable de placer 1,9 t en Heo (orbite héliosynchrone) ou 1,4 t en Gto (orbite de transfert géostationnaire), va fêter ses 25 ans. 43 exemplaires ont volé, dont 41 avec succès. Vu le prix peu élevé de ses services, le Pslv est devenu le lanceur de référence pour les micro- et nano-satellites du monde entier.

Le 15 février 2017, le Pslv C37 établissait un record en déployant sur orbite Cartosat-2D et 2 microsats indiens en même temps qu’une centaine de Cubesats. Chaque année, jusqu’à 5 Pslv peuvent être lancés de Sriharikota.

•  Le Gslv MkII (Geoynchronous Satellite Launch Vehicle) lance avec succès les satellites géostationnaires de l’Isro depuis janvier 2014. S’il peut satelliser jusqu’à 2,5 t en Gto, il n’est pas encore proposé à une commercialisation. Employé au rythme de 2 par an, il sera remplacé par le modèle suivant, plus performant.

•  Le Gslv MkIII est le lanceur le plus puissant de l’Inde: offrant une capacité de 4 t en Gto, il est destiné à lancer les satellites géostationnaires pour lesquels l’Isro recourt aux services d’Arianespace. Le 5 juin 2017, il réussissait son vol de démonstration avec l’étage à propulsion cryogénique C25. Son exploitation demeure limitée à un exemplaire par an.

Pour la décennie à venir, l’Isro travaille sur une version dite Ulv (Unified Launch Vehicle), dont le premier étage sera propulsé par un moteur-fusée kérolox SCE-200 (2 000 kN de poussée) en dévelop­pement. Ce propulseur à oxygène liquide et au kérozène amélioré remplacera la technologie du moteur Vikas à ergols toxiques (dérivé du Viking des premières versions d’Ariane). 

Le Gslv MkIII est le plus puissant des lanceurs indiens. 

Gslv MkIII 


Intérêt primordial pour les applications

L’Inde mise sur le développement de systèmes spatiaux qui répondent avant tout aux besoins de sa société, son économie, sa défense. Les applications dans l’espace, qui font appel à des satellites de fabrication nationale, sont mises en œuvre dans des entités spécialisées de l’Isro: près d’Ahmedabad, le Space Applications Centre (Sac) et le Development & Educational Communication Unit (Decu); à Hyderabad, le National Remote Sensing Centre (Nrsc); à Dehradun, l’Indian Institute of Remote Sensing (Iirs); à Bengaluru, le National Natural Resources Management System (Nnrms)…

Pour les 3 prochaines années, l’Isro a planifié la réalisation et les lancements d’une vingtaine de satellites d’applications:

•  6 Gsat à positionner sur l’orbite géostationnaire pour le système national Insat de télécommunications et de télévision; ils seront lancés au moyen d’une Ariane 5, par des Gslv MkII et MkIII. La panne survenue au récent Gsat-6A, lancé le 29 mars dernier – sans doute suite à un problème d’alimentation électrique – vient perturber le calendrier des lancements prévus.

•  au moins 12 satellites de télédétection à mettre sur orbite avec des Pslv: 3 Cartosat à très haute résolution optique (0,25 m), 2 Resourcesat pour des observations multispectrales, 2 Oceansat à large fauchée, 2 Risat avec Sar (Synthetic Aperture Radar), la constellation HRsat (High Resolution Satellite) de 3 satellites. En plus des satellites météorologiques en service, il y a le GISat (Geo Imaging Satellite), observatoire géostationnaire lancé par un Gslv MkII pour des prises de vues qui auront une résolution de 50 m depuis 35 800 km !

•  des satellites supplémentaires de navigation Irnss (Indian Regional Navigation Satellite System), évoluant à 35 800 km, pour garantir les services opérationnels du système désormais appelé NavIC (Navigation with Indian Constellation). 

Autour et sur la Lune

La part dévolue aux sciences spatiales, bien que modeste, fait la fierté de la nation indienne. Depuis septembre 2014, l’Isro exploite sa sonde Mom (Mars Orbiter Mission) autour de la Planète Rouge, qui en photographie et analyse la surface; elle prévoit de lui donner un successeur. À la fin de cette année, l’Inde devrait être présente à nouveau autour de la Lune avec l’ambitieuse mission Chandrayaan-2: lancée par un Gslv MkII, cette sonde fera arriver à la surface lunaire un atterrisseur avec un micro-rover pour des expériences in situ. En 2020, il y aura l’observatoire Aditiya-L1 pour l’étude du Soleil à partir de la position L1 (à 1,5 million de km de la Terre). Les études se poursuivent pour le satellite d’astrophysique XPoSat (X-ray Polarimeter Satellite). Assurément, la suite de ­l’odyssée spatiale s’écrira à Delhi grâce à la créativité des Indiens.

Derniers tests du simulateur spatial Amos avant sa fourniture à l’Isro.

Amos sur orbite indienne

La Pme liégeoise Amos (Advanced Mechanical & Optical Systems) est depuis 2000 partie prenante dans les efforts de l’Inde dans l’espace et en astronomie. Sa spécialité, ce sont les simulateurs de l’environnement spatial, avec des équipements d’essais. Amos a participé à la fourniture de trois cuves de simulation à l’Isro.  Elle a par ailleurs réalisé trois télescopes pour la communauté scientifique de l’Inde. Elle est présente à bord de la sonde lunaire indienne Chandrayaan-2 pour les optiques du spectromètre imageur dans l’infrarouge.

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