Physique

Les messagers de l’espace

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net

Icecube/NSF, Nasa, IceCube, Ringeval/UCL

L’espace le plus lointain, donc le plus reculé dans le temps, est une mine d’informations pour les cosmologistes et les astrophysiciens. Ces derniers
mois, les résultats de deux grandes «expériences», IceCube et Planck, viennent encore de le démontrer

Avant de remonter, grâce au satellite Planck, au moment où notre univers est devenu visible, intéressons-nous à un événement plus «récent» puisqu’il s’est produit voici environ 4 milliards d’années, alors que la Terre en était encore à ses débuts: un trou noir un milliard de fois plus massif que le Soleil pointait alors son axe vers un endroit… qu’occuperait notre planète bien plus tard, le 22 septembre 2017 ! À cette date en effet, l’observatoire de neutrinos IceCube, situé sous les glaces du pôle sud a détecté une de ces particules étranges.

Rappelons qu’IceCube, auquel participe la ­Belgique, notamment via des chercheurs de l’IIHE (Interuniversity Institute for High Energies) de l’ULB et la VUB, est pour l’essentiel composé de 5 000 photomultiplicateurs enterrés sous plus d’1 km de glace et capables de repérer des flashs bleutés très ténus produits par les muons issus de la collision des neutrinos avec les atomes de la glace. Le 12 juillet dernier, 2 études publiées dans Science (1) apportent un début de solution à une vieille énigme, celle des rayons cosmiques. Ceux-ci sont des particules chargées (protons, électrons…) souvent issues du Soleil tandis que les plus énergétiques d’entre elles proviennent des confins de l’univers. Mais comme elles sont chargées, elles ont évidemment eu tout le temps d’être déviées avant de parvenir jusqu’à nous. Comment dès lors en connaître l’origine ? En retraçant le parcours des neutrinos associés à ces rayons. Dénués de charge, n’interagissant pratiquement pas avec la matière – sur le temps que vous aurez lu cette phrase, des centaines de milliards d’entre eux auront traversé votre corps ! -, ces neutrinos voyagent en ligne droite depuis leur origine. En retracer le trajet permet donc de remonter jusqu’à celle-ci. Mais comme ils interagissent très peu, il faut d’énormes détecteurs pour espérer en piéger un seul de temps à autre. C’est ce qui s’est passé le 22 septembre 2017 sous les glaces du pôle sud: un neutrino de haute énergie a interagi avec la glace et y a laissé sa trace. Les chercheurs sont parvenus à en déterminer l’origine: un endroit de la constellation d’Orion et plus particulièrement d’un blazar répondant au matricule TXS 0506 + 056, le blazar étant une galaxie dont le cœur est occupé par un gigantesque trou noir en train d’avaler des quantités colossales de matière tout en crachant des jets de particules chargées perpendiculairement au noyau de la galaxie. Et notre planète se trouve pile dans l’axe d’un de ces jets.

Vue d’artiste de l’émission de jets de
particules chargées (rayonnement cosmique) en direction de la Terre.

Une source de rayons cosmiques vient donc d’être découverte pour la première fois et l’astronomie devient encore un peu moins une question de lumière: après les ondes gravitationnelles en 2015, les neutrinos deviennent à leur tour un moyen de voir ce qui se passe dans l’univers. 

(1) “Multimessenger observations of a flaring blazar coincident with high-energy neutrino IceCube-170922A,” The IceCube, Science 361, eaat1378 (2018).

“Neutrino emission from the direction of the blazar TXS 0506+056 prior to the IceCube-170922A alert,” IceCube Collaboration: M.G. Aartsen et al. Science 361, 147-151 (2018). 

Planck

Autre messager, mais lumineux cette fois, de l’espace, le fonds diffus cosmologique, cette lueur primordiale étudiée par le satellite européen Planck. Et le hasard a bien fait les choses: les résultats définitifs de la mission Planck ont été publiés (2) le 17 juillet dernier, jour anniversaire de la naissance du chanoine Georges Lemaître, père avec Alexandre Friedmann du modèle cosmologique standard, description effective la plus complète à ce jour de l’univers observable.

Les cartes livrées par le satellite sont des cartes de l’univers entier depuis aujourd’hui jusqu’à une époque très reculée, environ 300 000 ans après le Big Bang, soit il y a près de 13,7 milliards d’années. Un moment charnière dans l’histoire de l’univers puisque celui-ci était auparavant opaque: pas d’étoiles ni de galaxies distinctes mais une soupe très chaude (un plasma) dont la densité empêchait la lumière de s’échapper. Vers 300 000 ans, l’univers s’est trouvé suffisamment refroidi et dilaté, donc moins dense, pour que la lumière se propage enfin hors de la soupe ­primitive. C’est ce rayonnement fossile, à l’origine chaud, aujourd’hui très froid (2,73 K), souvent appelé CMB (Cosmic Microwave Background), qu’a enregistré le satellite Planck. Les cartes ainsi dressées montrent donc la lumière émise par l’univers quand il avait 300 000 ans, lorsqu’il est devenu transparent, mais aussi l’interaction de la lumière avec tout ce qui s’est passé dans la suite, c’est-à-dire l’univers en train de se faire jusqu’à aujourd’hui ! «Le modèle de Friedmann-Lemaître fonctionne incroyablement bien, conclut Christophe Ringeval, Professeur à l’IRMP de l’UCL (Institut de Recherche en Mathématiques et ­Physique, groupe de cosmologie) et cosignataire de plusieurs articles présentant les résultats de la mission Planck. Il permet d’expliquer l’univers de 300000 ans à aujourd’hui. On cherche à le mettre en défaut mais rien de significatif n’a été trouvé !» Cela n’empêche pas d’ouvrir la voie vers des avancées futures sur lesquelles travaillent notamment Christophe Ringeval et son équipe. «Une part de nos recherches porte sur l’univers primordial, bien avant qu’il ne devienne ­transparent, explique Christophe Ringeval. Donc, a priori, nous ne devrions rien voir avec Planck puisque celui-ci a capté la lumière de l’univers au moment où il cesse d’être un plasma et devient transparent. Sauf que tout nouveau phénomène dans l’univers primordial peut changer le comportement du plasma et ainsi laisser des traces dans le rayonnement cosmo­logique; celui-ci devient donc un outil qui pourrait nous permettre d’en apprendre davantage sur cet univers primordial.»

Simulation effectuée par Christophe Ringeval
représentant des cordes cosmiques, traces éventuelles de l’unification des
forces dans l’univers primordial. Planck n’a pas repéré de telles traces
dans le fonds diffus cosmologique. 

On peut citer 2 exemples sur lesquels travaille le Professeur louvaniste. Et tout d’abord celui de l’unification des forces fondamentales, prévue au tout début de l’univers. Leur séparation aurait pu avoir laissé des défauts, appelés cordes cosmiques (rien à voir avec la théorie des cordes), qui se présentent sous forme d’objets filiformes dans la structure de l’espace-temps et qui doivent avoir laissé des signatures, des traces additionnelles dans le rayonnement fossile. «Mais Planck ne les a pas décelées, confirme Christophe Ringeval qui a mis au point des cartes théoriques pour savoir à quoi ressembleraient les cartes du fonds diffus si ces objets filiformes étaient présents. Mais Planck nous a permis de restreindre les plages d’énergie où il faut chercher».

Deuxième exemple: les cosmologistes pensent aussi que peu après le Big Bang, l’univers a connu une expansion brutale, quasi exponentielle. Planck n’a pas permis de prouver cette théorie, mais a fourni des indices concordants sur l’existence de cette inflation exponentielle.

«Mais tous ces indices ne suffisent pas, confirme Christophe Ringeval, il faut une preuve ! Et celle-ci pourrait bien être la détection d’ondes gravitationnelles. L’inflation brutale qu’a connu l’univers doit en effet avoir généré de telles ondes, des petites fluctuations de l’espace-temps qui se propagent et devraient être encore visibles dans le rayonnement fossile.» Planck n’était pas outillé pour déceler de telles ondes. «C’est une partie de mes recherches, s’enthousiasme Christophe Ringeval: créer des « template », des cartes théoriques qui indiquent ce que les instruments de mesure devraient « voir » si nos théories sont correctes.» De quoi attendre les futures missions avec impatience. 

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