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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

Ron Cogswell/Flickr, Jurgen Otto/Flickr, © CSP_gajdamak,
© IP3 PRESS/MAXPPP

Requins
à croquer 

On connaît tout l’intérêt que manifestent les Asiatiques et les Chinois en particulier pour les requins; pas tant pour leur taxonomie que pour la qualité gustative des ­ailerons desquels ils tirent, dit-on, énergie et virilité. Ces éléments saillants des squales se retrouvent sur les marchés à l’état desséché et des scientifiques ont eu l’idée d’y prélever à chaque fois un petit fragment – soumis ensuite à l’analyse d’ADN – pour identifier de quelles espèces ils étaient issus.

La nageoire dorsale unique très développée du grand requin-marteau (Sphyrna mokarran), tant prisée par les Asiatiques, est ce qui pourrait le mener à sa perte.

Au total, ce sont 78 espèces différentes qui ont été dénombrées et il apparaît qu’un tiers environ d’entre elles sont considérées en danger. Parmi les 8 qui constituent l’essentiel de l’offre, on en a identifié 2 qui sont vraiment en grand danger, les Sphyrna lewini et mokarran, des requins marteaux. Ceux-ci, outre leurs extensions latérales caractéristiques de leur face, a surtout une taille qui peut atteindre 6 m. Cela ne les rend pas dangereux pour l’homme pour autant.

L’intention des chercheurs, outre l’intérêt que présentait l’identification taxonomique, est de mener les pêcheurs à plus de discrimination dans la sélection des requins prélevés, afin de préserver ce qui peut, ou doit l’être. Que des Chinois consomment des ailerons de requins n’est pas leur problème, tant que les espèces concernées sont abondantes; c’est une affaire de choix, de goût et sans doute aussi de croyance. Mais autant se limiter à ce qui n’est pas (trop) dommageable. Les hommes de science seront-ils entendus ? Ça, c’est une autre histoire !

Nature 2018; 553 : 130

Résistance féminine

Prétendre que les femmes ont une longévité plus importante que celle des hommes est un truisme; il suffit de jeter autour de soi un regard circulaire pour se rendre compte que les personnes les plus âgées sont surtout des femmes. La pyramide des âges, pour un pays quel qu’il soit, en rend compte assez clairement.

Ce que l’on sait également, c’est qu’il naît pourtant un peu plus de garçons que de filles, les fausses-couches prenant un écot plus important dans le second groupe. Pendant l’essentiel de la vie, la parité numérique – en dehors des périodes de guerre – est globalement assurée mais, l’âge aidant, les femmes deviennent progressivement majoritaires pour l’être largement au-delà de 80 ans.

Depuis longtemps, cette problématique de «sex ratio» alimente des études et recherches qui tentent d’en expliquer les fondements. On évoquait jadis les prélèvements opérés par les guerres ou les travaux pénibles et dangereux chez les hommes, deux explications qui valent de moins en moins aujourd’hui et on ne va pas s’en plaindre. On a également affirmé que, appelées à donner la vie, les femmes sont plus attentives que leurs congénères à assurer une meilleure santé en veillant en particulier à se mettre hors de tout danger. C’est sans doute vrai aussi. Mais des études historiques peuvent également apporter leur contribution à ce contexte. On note en particulier que les grandes épidémies ou famines du passé ont davantage affecté le sexe dit fort que l’autre. C’est notamment ce qui s’est passé lors de la grande famine qui a frappé l’Irlande entre 1845 et 1849. Si l’espérance de vie moyenne, juste avant, culminait à 38 ans pour les 2 sexes, elle a chuté ensuite à 19 ans pour les hommes, mais à 22 ans pour les femmes, les enfants en bas âge surtout étant les plus affectés. On peut ensuite tenter d’affiner ces valeurs en évoquant tantôt des explications physiologiques, tantôt des différences comportementales ou culturelles. Il demeure que le sexe féminin reste le plus apte à lutter contre les conditions difficiles de l’existence. Ce n’est plus un scoop. Mais des données de plus en plus nombreuses contribuent à l’évidence à le confirmer.

Proc. Natl Acad. Sci USA. 

Le Famine Memorial
à Dublin (Irlande), érigé en hommage aux victimes de la grande famine. Cet ensemble de sculptures représente des irlandais affamés et en guenilles, progressant péniblement le long des quais de la Liffey.

Bio zoom

Ceci est bien une bête à 8 pattes, une minuscule (pas plus de 5 mm) ­araignée-paon arc-en-ciel (Maratus robinsoni). Pour séduire une femelle, le mâle exhibe un signal iridescent, exactement comme les arcs-en-ciel. Les recherches ont montré que celui-ci était produit par des écailles spéciales situées sur l’abdomen de cette araignée. Grâce à leur structure tridimensionnelle particulière, ces écailles en micromouvement ­permettent la ­diffraction de la lumière à l’échelle nanométrique. Cette observation pourrait inspirer de nouvelles technologies optiques.

Insolite

Pourquoi conseille-t-on aux personnes âgées de se vacciner contre la grippe ?

Chaque année, à l’approche de l’hiver, une campagne de presse rappelle ­l’importance, pour tous et pour les personnes âgées en particulier, de se faire vacciner contre la grippe. L’idée est de connaître un petit effet viral tout de suite pour se prémunir d’un plus important ensuite, quand c’est le vrai pathogène qui entre en action en flux épidémique.

La réalité tient au fait que les personnes âgées sont plus vulnérables aux atteintes de ce type, parce que dotées d’une énergie naturellement sur le déclin. Ce n’est sans doute pas faux, mais il n’y a visiblement pas que cela. Une étude récemment publiée rapporte que les monocytes, ces cellules du sang qui participent aux défenses de ­l’organisme, sont moins riches en interférons. Or, ces protéines essentielles que nous produisons spontanément, ont pour rôle de lutter notamment contre les virus; de celui de l’influenza (grippe) en particulier.

Mais ce n’est pas encore tout. Les mêmes monocytes expriment à un niveau moindre certains gènes, et en particulier celui qui code pour le récepteur d’une enzyme, appelé RIG-1. Or, celui-ci est précisément sensible au virus de l’influenza dont il signale la présence après avoir reconnu plusieurs de ses  caractéristiques moléculaires.

Donc, non seulement la personne âgée est-elle moins armée contre les attaques virales (et en particulier celle de la grippe), mais ses systèmes naturels de reconnaissance et d’action contre le virus responsable sont clairement moins efficaces. Cela fait plusieurs bonnes raisons d’accepter la couverture vaccinale au-delà d’un «certain» âge.

A chacun de voir ensuite s’il a  – ou non – accédé à cet âge fatidique !

Sci.Signal, 2018; 10.eaan2392

40 tonnes de bêtise

Le monde entier connaît les géoglyphes de Nazca, ces formes tracées sur un plateau stérile du Pérou, à un peu plus de 500 m d’altitude. Redécouvertes au 16e siècle, elles ont été réalisées par les indiens Nazca en un peu plus d’un millénaire, globalement entre 500 ans avant notre ère et l’an 500. C’est en 1927 que ces gigantesques dessins ont acquis leur renommée internationale quand ils ont été photographiés du ciel par un anthropologue péruvien. Et depuis 1994, ils figurent sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

Ces tracés, qui représentent des animaux et autres formes diverses, tiennent au déplacement sur de longues distances rectilignes, des cailloux de surface riches en oxyde de fer qui, enlevés, laissent apparaître le sol gris qui se trouve en dessous. C’est ce travail simple mais sans doute laborieux qui a permis de réaliser ces dessins grand format, seulement visibles d’en haut. L’absence de végétation et les conditions rudes qui règnent sur le plateau ont permis que ces tracés soient étonnamment bien conservés depuis leur création, il y a donc 15 siècles pour les plus récents.

Sauf qu’un conducteur de camion de chantier – pourtant Péruvien – n’a récemment rien trouvé de mieux que d’opérer des manœuvres sur une partie de ce patrimoine culturel. Et avec profondeur, par-dessus le marché, le sol de l’endroit étant particulièrement meuble. Trois figures en ont été affectées et demandent évidemment réparation. Ce qui devrait suivre, bien entendu.

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Certes une route passe-t-elle à proximité; mais ce conducteur pour le moins peu sensible à la chose culturelle n’aurait-il pas pu déplacer sa manœuvre de quelques centaines, voire dizaines de mètres seulement plutôt que défigurer ce patrimoine ? C’est un peu comme si on utilisait une gravure originale de Léonard de Vinci pour y inscrire la liste des courses…

L’indélicat a été identifié et des comptes lui ont été demandés. On peut suspecter que des dommages et intérêts suivront. Et on remettra les lieux en état, probablement, si ce n’est déjà fait ou au moins planifié. On se demande néanmoins comment on peut se livrer à une manœuvre au volant d’un 40 tonnes sans au moins reconnaître la nature du terrain sur lequel on compte l’opérer. Voilà au moins un conducteur marqué pour longtemps du sceau de la bêtise ou de l’indélicatesse !

Nature, 2018; 554: 150

Les dégâts occasionnés par le camion. 

Vue aérienne du géoglyphe de l’araignée de 46 m de long.


Saïga, le retour

Certains se souviennent peut-être encore de cet épisode de mortalité massive qui a frappé le saïga en 2015. En l’espace de 3 semaines, ce seraient 200 000 de ces antilopes qui auraient été frappées d’un mal inconnu au Kazakhstan. Faute de mieux et à force d’habitude, on a évoqué dans le doute le réchauffement climatique et, on va le voir, il est peut-être un peu à mettre – aussi – en cause. Le principal responsable de l’hécatombe est néanmoins à rechercher ailleurs et il a été identifié; il s’agit d’une bactérie, Pasteurella multocida, qui a provoqué de nombreuses hémorragies internes chez les bovidés sauvages, entraînant leur mort rapide.

Ce germe n’est pourtant pas connu pour être dangereux en temps ordinaire, puisqu’il est un commensal (micro-organisme colonisant l’organisme d’un autre sans provoquer de maladie) habituel des ­saïgas comme de bien d’autres mammifères. Il demeure que «dans certaines conditions», il peut devenir pathogène, comme l’événement évoqué l’a encore prouvé. Encore fallait-il identifier ces conditions qui semblent modifier le germe pour le rendre agressif. Un scientifique a eu l’idée de reprendre les différentes périodes récentes d’infection massive – en 1981, 1988 et 2015 – pour les confronter aux conditions climatiques du moment. Et il s’est rendu compte qu’à chaque fois régnait un temps plus chaud et humide. Peut-être la bactérie y a-t-elle trouvé des conditions favorables à une prolifération environnementale excessive qui l’a faite passer à un stage épidémique ? Encore qu’il soit difficile d’expliquer comment des conditions climatiques externes aient eu une répercussion immédiate sur un germe présent naturellement dans le corps. La réalité est vraisemblablement moins simple que ce lien de cause à effet présenté comme la cause vraisemblable. Mais c’est une piste pour tenter de parer aux épidémies à venir; c’est déjà ça…

Sci. Adv.4, eaao2314 (2018)

La solution est dans la boue !

La boue n’est jamais, dans son acception première, que de la terre plus ou moins gorgée d’eau. Mais, par extension, le terme a gagné une signification plus large et moins louable, celle qui tient aux rejets putrides et nauséabonds dont la production humaine – industrielle ou non – sait ne pas se montrer avare; une boue à laquelle on attribue plus généralement un nom très commun et plus fleuri, fait de 5 lettres…

On peut s’en détourner avec dégoût; ce qu’on fait généralement. Mais des scientifiques ont eu l’idée d’aller voir ce qu’on pouvait y trouver. Et, pour le coup, ils ont eu du flair. Après un tri ­hautement sélectif du contenu, ils en ont extrait les bactéries dont ils ont étudié à la fois l’ADN et les productions. 

Et c’est de cette façon qu’ils ont identifié une famille de substances, appelées depuis malacidines, dont on a montré qu’elle est très active sur des bactéries gram-positif qu’elles contribuent à tuer. 

Anodin ? Pas vraiment; parmi les bactéries affectées par cette nouvelle gamme de substances se trouve le staphylocoque doré (Staphylococcus aureus) de sinistre réputation en raison des infections qu’il génère, résistantes à tous les antibiotiques aujourd’hui disponibles.

Ces malacidines constituent-elles la panacée attendue pour faire un sort à tous les germes qui font de la résistance ? Ce n’est pas encore sûr, mais il n’est pas interdit de se montrer confiant. Il reste à évaluer de plus près les effets de ces «lipopeptides macrocycliques», afin d’en définir la diversité moléculaire, d’en identifier les modes d’action, d’en préciser les doses actives et d’en maîtriser les éventuels effets secondaires. Il va de soi que de telles recherches, vu l’urgence, sont déjà en cours.

Quel que soit l’avenir qu’on leur réserve, cela n’interdit pas qu’entretemps, les autres antibiotiques fassent toujours l’objet d’une utilisation raisonnée, sinon raisonnable… 

Nature microbiol. 2018; http://doi.org/ckkw

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