Qui est-ce?

Donna
Strickland

Jacqueline Remits •  jacqueline.remits@skynet.be

©  Peter Power Photography Inc. / REUTERS, Bengt Nyman/Flickr    

  
Je suis…

Pionnière dans le domaine des lasers. Mon père est ingénieur en électricité et ma mère enseignante d’anglais. Elle aurait voulu poursuivre des études scientifiques mais à l’époque et pour une femme, c’était plus difficile qu’aujourd’hui. Très ouverts, mes parents me poussent à faire ce que je veux. Dans cette dynamique, ma sœur suit des études d’ingénieur. J’opte quant à moi pour le programme de génie physique de McMaster, j’y obtiens mon master en 1981. Je me spécialise ensuite en optique à l’Université de Rochester, où je poursuis mon doctorat sous la direction du physicien français, Gérard Mourou. Mes recherches portent sur le développement d’un laser ultra-lumineux et d’une application à l’ionisation multi-photonique. Comme je l’ai dit au magazine Québec Science dernièrement (article paru le 16/01/2019), «dans les années 1980, personne n’arrivait à augmenter l’intensité des lasers. Pour mon projet de doctorat, j’avais besoin d’un laser plus intense afin d’atteindre la « neuvième harmonique », c’est-à-dire de faire en sorte qu’un atome absorbe 9 photons simultanément. Maria Goeppert-Mayer, la deuxième femme à avoir reçu le prix Nobel de physique, a d’ailleurs été la première à montrer théoriquement qu’un atome pouvait absorber plus d’un photon à la fois. Cependant, elle ne se souciait pas des difficultés techniques que cela impliquait.»

Suite à ma thèse, mon parcours se diversifie. D’assistante de recherche au Conseil national de recherches du Canada, je passerai par le Laboratoire national de Lawrence Livermore, le Centre de technologie avancée pour la photonique et les matériaux optoélectroniques de l’Université de Princeton, puis le Département de physique et d’astronomie de l’Université de Waterloo, dans l’Ontario. J’y dirige un groupe de recherche sur les lasers ultra-rapides. Je suis promue professeure en 2018. La même année, je reçois le prix Nobel de physique que je partage avec Gérard Mourou pour nos travaux sur la technique d’amplification par dérive de fréquence commencés dans le cadre de mon doctorat, et avec le physicien américain Arthur Ashkin «pour les pincettes optiques et leurs applications aux systèmes biologiques». 

  
À cette époque…

Quelques mois avant ma naissance, en janvier 1959, les Soviétiques réussissent, pour la première fois, à faire sortir du champ d’attraction terrestre un objet fabriqué par l’homme. Baptisé Lunik, il transmet un certain nombre de données scientifiques sur le champ magnétique lunaire. En août de la même année, un satellite américain, Explorer VI, est lancé avec succès de la base spatiale de Cap Canaveral. Il transmet des photographies de la couverture nuageuse terrestre. Pendant ce temps-là, Fidel Castro devient maître de Cuba. L’année où je décroche mon doctorat, en 1989, le pétrolier Exxon Valdez s’échoue sur un haut-fond au sud de l’Alaska, le seul littoral du globe encore intact jusque-là. Des centaines de poissons et d’oiseaux englués par le pétrole montrent l’ampleur de la marée noire, la plus importante dans l’histoire de la navigation en Amérique du Nord. Autre fait marquant dans l’histoire de la science, en 1997, 2 chercheurs écossais réussissent à cloner un mammifère adulte. La brebis Dolly est née, sans l’intervention d’un mâle.

 
J’ai découvert…

L’amplification par impulsions, une technique qui sous-tend les lasers à haute intensité et à impulsions courtes. Son principe consiste à diffuser temporairement une impulsion ultra-courte au moyen d’un réseau optique afin de réduire son intensité avant de l’amplifier. L’impulsion est ensuite compressée à nouveau pour atteindre des intensités qu’une amplification conventionnelle ne permettrait pas d’atteindre. Selon Gérard Mourou, j’ai ouvert la voie aux impulsions laser les plus courtes et les plus intenses jamais créées. Comme je l’ai expliqué au Québec Science, «l’idée, c’est de produire des impulsions très intenses, mais seulement à la sortie du laser. Si la densité de photons à l’intérieur du dispositif est trop grande, cela pourrait le détruire. Dans notre expérience de 1985, nous avions donc étiré une impulsion de 150 picosecondes ou millièmes de milliardième de seconde à environ 300 picosecondes. Ensuite, on l’a amplifiée grâce à une seconde source d’énergie. Puis, on l’a compressée à l’aide d’une lentille afin d’obtenir l’impulsion la plus courte possible (2 picosecondes). La densité de photons est alors énorme et le faisceau est prêt à « donner une volée » à un atome.» L’amplification par dérive de fréquence permet de faire un travail de précision, comme usiner de petites pièces d’électronique ou effectuer des chirurgies oculaires. En recombinant l’impulsion en un point précis avec une lentille, on peut traverser des matériaux transparents comme du verre ou une cornée, sans les abîmer. Et c’est seulement à cet endroit que l’intensité est assez forte pour déloger les électrons ou changer l’indice de réfraction de la cornée. Adaptée au domaine médical, cette technique contribue à de nouvelles avancées dans la chirurgie réfractive de l’œil et le traitement de la cataracte. Depuis 1985, des millions de chirurgies de correction de la vision ont été rendues possibles grâce à cette technologie. Les applications se trouvent aussi dans différentes branches de la physique, notamment la physique nucléaire et des particules.

Saviez-vous que…

Donna Strickland est seulement la troisième femme récompensée par un prix Nobel de physique après Marie Curie en 1903 et Maria Goeppert-Mayer en 1963. Jusqu’à aujourd’hui, les femmes représentent seulement 3% des prix Nobel scientifiques.

Pour la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay, «la reconnaissance de Donna Strickland devrait être un signe pour les femmes de science et, plus largement, pour la diversité, comme une force d’innovation. La reconnaissance de ses réalisations envoie un important message d’encouragement à toutes les filles et femmes qui veulent entreprendre des carrières scientifiques. Ces 3 lauréates du prix Nobel devraient inspirer le talent des filles et des garçons qui façonneront le monde de demain». L’Unesco soutient les femmes de science qui restent encore sous-représentées et sous-estimées. Les préjugés sexistes dans le domaine scientifique sont réels et impactent les femmes à tous les niveaux. Selon le Rapport mondial des sciences de l’Unesco, moins de 30% des chercheurs sont des femmes.

Donna Strickland aimerait encourager les gouvernements à utiliser la photonique pour prendre des mesures environnementales. Depuis l’Accord de Paris sur le climat en décembre 2015, à l’issue de la COP 21, elle fait partie d’un comité de l’OSA (Optical Society Association) militant en ce sens. Dans les prochaines années, la lauréate du prix Nobel va assurer la promotion de cet outil puissant qu’est la photonique. De nombreuses applications environnementales sont possibles pour les lidars, des lasers employés à la manière de radars. Des détecteurs optiques sont déjà installés dans les régions nordiques pour évaluer l’état du pergélisol que les changements climatiques rendent beaucoup moins permanent. Il est aussi possible d’équiper des avions de spectromètres et de survoler des sites d’exploitation pétrolière pour vérifier si les entreprises respectent les règlements imposés. D’autres appareils optiques pourraient aussi être déployés dans les océans pour prendre des mesures afin d’adapter les modèles climatiques.


Naissance 

27 mai
1959, Guelph (Ontario, Canada)

Nationalité

Canadienne

Situation familiale 

Mariée,
2 enfants


Diplôme 

Génie
physique à l’Université McMaster, optique à l’Université de Rochester

Champs de recherche 

Optique,
domaine des lasers

Distinctions 

Fellow
of the Optical Society of America (2008); Prix Nobel de physique (2018) 

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