Technologie

Les seniors et les TIC

Virginie CHANTRY  •  virginie.chantry@gmail.com

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Quand le thème des TIC, Technologies de l’Information et de la Communication, est associé à celui des seniors, la locution «fracture numérique», voire même «fracture numérique de second degré» n’est souvent pas loin. Quelle réalité se cache derrière ces termes ? Les seniors, ou en tout cas une partie d’entre eux, sont-ils réellement des laissés pour compte de l’ère numérique qui ne cesse de prendre de l’ampleur ? La société ne propose-t-elle rien pour pallier ce manque et souder cette cassure ? Car il ne faut pas oublier qu’1 personne sur 5 aura plus de 65 ans en 2030 et que 1,2 million de Belges auront plus de 80 ans. Connectons-nous, posons le problème et explorons quelques pistes de solutions

  

Dans l’ère numérique que nous vivons actuellement au sein de cette société de l’information, énormément d’activités – au sens large – et de services passent par une plateforme numérique et demandent donc de s’y connecter au moyen d’un smartphone, d’une tablette ou d’un ordinateur: réservations diverses (rendez-vous chez le médecin, restaurant, hôtel, billet de train ou d’avion), communication directe (emailing, systèmes de messagerie,…), planification et gestion d’agenda, achats variés, administration ou encore gestion de comptes bancaires. Cela est vrai dans le monde professionnel mais aussi dans la vie quotidienne. Si nombre de ces démarches trouvent encore un correspondant «non-connecté», cela devient malgré tout de plus en plus difficile d’y échapper. Seulement voilà, tout le monde n’a pas accès au numérique. D’une part, les équipements, quoique de plus en plus démocratiques, ne sont pas à portée de toutes les bourses. D’autre part, leur fonctionnement et leur maintenance peuvent s’avérer complexes. Tout le monde ne bénéfice donc pas des mêmes capacités de développement offertes par les TIC, et tous n’ont pas les mêmes armes et outils pour accéder et contribuer à l’information qui circule par ces voies. Ces freins à la numérisation provoquent une exclusion d’une partie de la population ou en tout cas, une disparité dans l’accès ou l’usage des TIC, qui peut mener à la marginalisation de groupes d’individus. On parle alors de «fracture numérique». Ce n’est pas le nombre de personnes non-connectées par rapport à celles qui le sont qui est en jeu, mais bien les discriminations entre ces 2 groupes et le fossé que cela peut créer entre eux. Ce concept 2.0 est souvent passé sous la loupe en fonction de différents facteurs socio-économiques: l’âge, le genre, la classe sociale, le niveau d’éducation, l’activité professionnelle, les revenus, la composition familiale, la santé, le degré d’autonomie… Dans cet article, c’est sur l’âge que nous allons nous attarder et sur une catégorie d’âge particulière: les seniors.

  
Senior, vous avez dit senior ?

La notion de senior, au-delà du mot qui existait déjà et trouve ses origines dans le latin senex, qui signifie «plus âgé», a été dépoussiérée dans les années 90, à des fins purement commerciales. Selon le site Web du dictionnaire Larousse, le qualificatif «senior» concerne les plus de 50 ans. Mais en réalité, cela dépend du contexte. Dans le monde du travail, on peut être senior dès 45 ans si l’on a de l’expérience dans un domaine précis. Dans le sport de haut niveau, on peut être considéré senior bien avant la quarantaine. Dans la vie de tous les jours, la limite inférieure oscille souvent entre 55 et 65 ans, selon qu’il s’agit de soins de santé, de réduction pour les transports en commun, etc. Selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), les seniors sont les individus de 60 ans et plus, même s’il est noté que cela peut être très variable selon les régions considérées dans le monde et leur «niveau» de développement. De plus, comme toutes les catégories d’âge, il faut garder à l’esprit que celle des seniors est loin d’être homogène. Nous énonçons donc ci-après quelques généralités qui ne sont pas d’application pour tous et qui dépendent des études considérées. Les limites d’âge sont mentionnées à titre indicatif.

Dans le contexte des TIC, on constate que nombre de seniors entre 50 et 65 ans sont des usagers courants, même si le niveau d’utilisation est très diversifié. En effet, beaucoup ont déjà rencontré et/ou utilisé ces technologies dans un cadre professionnel, au minimum. Pour les plus de 65 ans, la fracture numérique dans nos pays dits développés est une réalité difficilement contestable, même si elle ne s’applique pas à tout le monde. En 2011, dans son livre blanc intitulé Seniors et tablettes interactives, la Délégation aux Usages de l’Internet recensait 4 réticences des seniors à utiliser les TIC. Dans l’ordre d’importance: la complexité des ordinateurs, le manque de conviction quant aux adéquations entre les services prodigués par les TIC et les besoins quotidiens, la peur d’un manque de sécurité lors de transactions en ligne qui concerne également les données personnelles et enfin, le coût de l’équipement. Il faut cependant savoir que l’âge en tant que facteur causal de la fracture numérique est en recul: de plus en plus de seniors sont équipés et connectés. Le problème s’est déplacé ailleurs: ce n’est plus l’accès aux TIC et au matériel numérique qui est incriminé, mais bien l’usage qui en est fait et son efficacité, selon les compétences techniques, de recherche, etc. C’est pourquoi on parle alors de «fracture numérique du second degré». Au-delà d’inégalités d’origine purement «numérique», d’autres facteurs comme les inégalités sociales doivent être pris en compte. Par exemple, les femmes de plus 80 ans seules et avec de faibles revenus sont, selon plusieurs études, les plus touchées par l’exclusion numérique qui vient alors souvent renforcer leur solitude et leur sentiment de vivre en marge de la société. La famille joue également un rôle. 

L’âge en tant que facteur causal de la fracture numérique est en recul:
de plus en plus de seniors sont équipés et connectés 

Plusieurs études montrent que l’adaptation aux nouvelles technologies se fait plus facilement et plus naturellement lorsque les enfants et/ou petits-enfants sont présents pour aider et encourager la démarche. D’ailleurs, certains seniors, que l’on appelle parfois les Silver Surfers, le mot silver faisant référence à la couleur «argenté» dans ce contexte, sont déjà et depuis longtemps très actifs sur Internet et à l’aise avec les TIC.

À l’instar des autres catégories d’âge, les bénéfices du numérique pour les seniors sont potentiellement multiples. Citons par exemple les liens sociaux qui peuvent être maintenus grâce aux réseaux dédiés, à l’échange d’emails et de photos avec des amis ou des membres de la famille n’habitant pas toujours à proximité. Cela peut se révéler d’autant plus important quand on n’est plus actif professionnellement, surtout lorsqu’on sait que de nombreuses personnes plus âgées souffrent d’isolement, par exemple en maison de repos. Rester informé et connecté à la société en général est également un atout non négligeable du numérique. Sans oublier les démarches bancaires et administratives qui se font de plus en plus en ligne. Pour ceux qui auraient des difficultés à se déplacer, certains médicaments peuvent être commandés par Internet. L’appartenance à certaines associations est également souvent simplifiée par le Web. Pour certains, l’intérêt réside dans le simple loisir de surfer sur le net, l’entretien des capacités cognitives, la pratique de hobbies ou la lutte contre l’ennui. Voyons ce qui pourrait encourager l’usage des TIC chez les seniors qui ne sont pas encore connectés.

  
La tablette: une solution ?

Par rapport à un ordinateur, la tablette est ergonomique et plus simple d’utilisation: pas de câbles à connecter (à part celui d’alimentation), pas de logiciels à installer et pas de configuration trop compliquée. Le côté tactile ne nécessitant pas de clavier à brancher (mais parfois plus difficile à appréhender par manque de sensations physiques) constitue également un avantage, ainsi que la possibilité de tenir la tablette comme un livre et le fait que l’on puisse l’utiliser partout ou presque, du salon à la salle en manger en passant par la chambre ou la cuisine. La tablette semble donc idéale pour les seniors et en particulier, pour ceux en exclusion numérique. Il faut cependant tenir compte du fait que le vieillissement provoque des altérations physiques et cognitives pouvant rendre l’usage d’une tablette (ou des TIC en général) plus compliqué. Par exemple, les capacités visuelles diminuent, les gestes et la coordination sont parfois moins précis, les mains peuvent trembler, la mémoire peut faire défaut, etc. Il en va de même lorsque l’on surfe sur le Web. Certains sites présentent des polices de caractère trop petites ou encore une navigation complexe demandant un usage intensif de la souris, ce qui peut constituer une barrière pour une partie des seniors. Des solutions doivent donc être envisagées et mises en pratique par les acteurs des TIC. Voici quelques conseils issus du livre blanc Seniors et tablettes interactives de la Délégation aux Usages de l’Internet: prévoir un réglage spécifique de la luminosité par application, limiter les manœuvres de défilement permettant d’accéder au contenu non visible, privilégier le mode paysage, concevoir des icônes adaptées qui renseignent en un coup d’œil l’application à laquelle elles renvoient, concevoir des applications dans lesquelles la taille de la police et la luminosité sont clairement modifiables depuis l’écran d’accueil de l’app, permettre de personnaliser la sensibilité tactile de l’écran, privilégier les actions via éléments graphiques plutôt que l’utilisation du clavier virtuel, prévoir des réactions sonores et/ou vibratoires lorsqu’une action est effectuée, mettre au point des manuels d’utilisation clairs avec captures d’écran et illustrations à l’appui, …

Certains acteurs des TIC travaillent déjà dans ce sens. En voici un exemple concret: la solution Silverkit pensée par une équipe de chercheurs de la Faculté d’Informatique de l’UNamur, en partenariat avec le service d’Aide et Soins à domicile du Hainaut oriental et l’Université du Temps libre d’Andenne. Silverkit permettra aux applications, que ce soit sur ordinateur, tablette ou smartphone, de s’adapter en continu aux seniors en fonction des difficultés qu’ils rencontrent via des actions correctives sur l’application, c’est-à-dire des solutions sur mesure selon le problème d’interaction détecté entre l’utilisateur et l’app: tremblements, acuité visuelle diminuée ou encore mauvaise compréhension de la tâche à effectuer. De la sorte, la qualité de l’interaction entre l’utilisateur et la machine sera préservée. L’objectif de l’équipe est de mettre ce kit de codes à disposition des développeurs d’apps afin qu’ils puissent les intégrer et rendre l’app non plus seulement «user-friendly» mais également «senior-friendly». Ce sera même gratuit pour les ASBL. Encore à l’étude, le prototype de Silverkit devrait être testé en 2020 auprès d’un petit groupe de personnes de 50 ans et plus. Cette initiative s’inscrit dans la campagne «Bien vieillir» lancée par l’UNamur en 2016 et qui met l’accent sur les  liées au vieillissement. Les fonds proviennent entièrement du grand public !

Pour les seniors qui auraient des difficultés à se déplacer, certains médicaments peuvent être commandés par Internet

Par rapport à un ordinateur, la tablette est ergonomique et plus simple d’utilisation

En voyage également, les smartphones et tablettes sont tout indiqués pour obtenir les renseignements nécessaires

  
Mais aussi…

D’autres solutions existent déjà ou peuvent être envisagées: le reconditionnement de matériel informatique qui n’est plus utilisé afin d’en faire bénéficier à moindre prix les seniors exclus du numérique, encourager les formations continues aux outils numériques (tablettes, ordinateurs, Internet en général, systèmes de messageries, envoi de photos, etc.), mettre en place des séances d’accompagnement au numérique, montrer les bons côtés du numérique aux réfractaires sans les obliger à quoi que ce soit, simplifier les procédures administratives en ligne au maximum ainsi que les interfaces d’accès, et bien d’autres encore. Mais gardons à l’esprit que ce ne sont là que des propositions pour tenter de résorber la fracture numérique de premier ou de second degré. Pour ceux qui le souhaitent en tout cas. Car est-il vraiment obligatoire pour un senior d’être présent en ligne ? Ne peut-on choisir de mener sa vie comme on l’entend ? Dans la mesure du possible, selon les contraintes extérieures bien entendu. Car des effets discriminatoires dus à la non-utilisation des TIC peuvent apparaître dans plusieurs domaines, qu’il s’agisse du travail ou de la communication, par exemple. Mais la société ne se doit-elle pas de maintenir des services de proximité et des canaux multiples et divers de diffusion de l’information ? Je vous laisse méditer sur la question. Parce qu’une chose est certaine: nous vieillissons tous. Et arrivera un jour où nous serons certainement dépassés par de nouvelles technologies… 


Techno-Zoom

Même si les applications restent parfois obscures pour le grand public, les imprimantes 3D ont pignon sur rue et ce, dans plusieurs domaines. Que ce soit pour concevoir des prototypes, des maquettes, des prothèses, des pièces extrêmement complexes, dans le domaine de la médecine, des technologies de pointe, de la mode, de l’art ou même de l’alimentaire, cet outil numérique est de plus en plus employé. Alors pourquoi pas dans le secteur pharmaceutique ? C’est dans cette optique que Jonathan Goole, Professeur et chercheur en pharmacie galénique et biopharmacie à la Faculté de Pharmacie de l’ULB, a mis au point un procédé breveté permettant de produire, en quantité réduite par rapport aux industries pharmaceutiques et avec une imprimante 3D, des médicaments. 

L’objectif ? Personnaliser le traitement et l’adapter au mieux au patient et à sa pathologie. En ce qui concerne la posologie, les médicaments fabriqués par les industries ne conviennent pas à tous les cas. Il faut alors adapter la dose d’une manière ou d’une autre, par exemple en scindant le comprimé, ce qui peut mener à des imprécisions. Mais ce n’est pas le seul paramètre qui peut être contrôlé grâce à l’impression 3D: la forme et les excipients (1) du médicament peuvent également être ajustés. C’est ce sujet en particulier qu’étudie Jonathan Goole: il passe sous la loupe les interactions entre les principes actifs d’un médicament et les excipients, le but étant de rendre la forme pharmaceutique (gel, patch, gélule, comprimé pelliculé, etc.) du médicament compatible avec le cas du patient tout en restant le plus efficace possible et en minimisant les effets indésirables.


L’imprimante 3D va-t-elle faire son entrée dans le secteur pharmaceutique ? 

(1)  En pharmaceutique, un excipient est une substance non-active qui donne des caractéristiques au médicament comme le goût, la consistance ou encore la forme. Faisant partie intégrante du médicament, un excipient ne doit cependant pas interagir avec les autres substances composant le médicament, notamment avec les principes actifs. Exemples d’excipients: édulcorants, stabilisateurs, conservateurs, capsules à enveloppe dure ou molle, etc…


Références

https://www.techno-science.net/definition/3957.html

https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/senior/72074

https://www.province.namur.be/documents/fichier/1/434/20170831_102946approche_sociologique_des_seniors.pdf

https://www.tootifamily.com/news/seniors-et-numerique-letat-des-lieux.html

https://journals.openedition.org/rfsic/1294

http://www.ftu.be/index.php/publications/technologie-et-societe/182-les-seniors-et-la-fracture-numerique

https://www.senior-magazine.com/article-34-personnes-agees-numerique.html

https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Numerique/seniors-sinteressent-progressivement-tech-2018-04-04-1200929053#

https://www.blogdumoderateur.com/fracture-numerique-exclusion-seniors/

https://www.20minutes.fr/societe/2343923-20180927-technologies-plus-quart-seniors-exclus-numerique

 

https://www.unamur.be/recherche/projets/divers/silverkit

Livre blanc « Seniors et tablettes interactives » par la Délégation aux Usages de l’Internet à télécharger ici : 

Houssein Charmarkeh, « Les personnes âgées et la fracture numérique de « second degré » : l’apport de la perspective critique en communication », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 6 | 2015, mis en ligne le 23 janvier 2015, consulté le 16 juillet 2019. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/1294 ; DOI : 10.4000/rfsic.1294

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