Physique

L’été
nucléaire

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net 

© ITER Organization, http://www.iter.org/

L’été a été chaud dans le domaine nucléaire. L’assemblage d’ITER a démarré mais surtout le futur accélérateur linéaire du réacteur MYRRHA se met petit à petit en place à l’UCLouvain et à Mol­

L’atelier bien chargé du projet ITER: le cylindre inférieur ne restera pas longtemps à l’entrée du bâtiment. Après environ 7 jours de préparatifs, de métrologie et d’autres tests, il sera levé au-dessus de tous les équipements visibles dans l’atelier et amené à la fosse du tokamak.

  

La presse non scientifique a beaucoup parlé de l’un (ITER) et a ignoré le second. Une disproportion qui ne rend pas justice au projet MYRRHA qui pourtant, lui aussi, à sa manière, révolutionne le nucléaire.

ITER, on le sait, est ce gigantesque projet de réacteur de fusion destiné à produire peut-être un jour de l’énergie. Il semblerait que l’idée en a été proposée par Mikhaïl Gorbatchev à Ronald Reagan en 1985 ! Ce n’est que 25 ans plus tard que la première pierre du projet est posée en France, sur le site de Cadarache. Et il a fallu 10 ans encore pour que soit donné, en ce mois de juillet 2020, le coup d’envoi de l’assemblage du réacteur de fusion (Tokamak). Un gigantesque puzzle d’un million de pièces environ (dont certaines pèsent tout de même plusieurs centaines de tonnes comme les aimants supraconducteurs) en provenance de dizaines de pays différents. Il faudra 4 ou 5 ans pour arriver à le terminer. Et ensuite, bingo ? Et bien non. Le réacteur dont l’assemblage a débuté devra «simplement» apporter la preuve qu’il est possible de produire de l’énergie grâce à la fusion nucléaire. Le premier plasma n’est attendu que pour 2025 puis le réacteur montera petit à petit en puissance tout en étant livré à de multiples études et essais… jusqu’en 2040. À ce moment, les industriels prendront le relais pour optimiser à leur tour la machine en vue d’une future exploitation par des systèmes semblables. ITER n’est donc pas destiné à produire de l’électricité qui sera un jour envoyée dans le réseau mais à démontrer qu’il peut produire davantage d’énergie qu’il n’en consomme. Et surtout à être en quelque sorte «espionné» par une série d’entreprises déjà lancées dans la course à des systèmes plus petits, plus maniables… et donc peut-être un jour rentables. Si l’on n’est donc plus ici dans le domaine de la science-fiction, ni même sans doute de la technologie-fiction, on l’est encore dans celui de l’économie-fiction.

 
Réaction sous contrôle

D’une toute autre envergure (technologique, pas intellectuelle !) est le projet MYRRHA même si, là aussi, il faut compter en dizaines d’années de recherche. Projet européen abrité au CEN (centre d’études nucléaires) à Mol, il a l’ambition de créer une nouvelle classe de réacteurs de recherche pilotés par un accélérateur. Les réacteurs nucléaires actuels souffrent en effet de 2 faiblesses: la production de déchets hautement radioactifs à longue durée de vie et une possibilité d’emballement du réacteur. MYRRHA contourne ces 2 obstacles, à la fois dans la conception du réacteur et dans ce qu’il permet dans le traitement futur des déchets. Il aura aussi des applications médicales et industrielles très innovantes et importantes.

Le type de réacteur prévu n’a en effet rien à voir avec ceux qui fonctionnent par exemple à Doel ou Tihange. Dans ceux-ci, dès qu’un neutron entre en collision avec un atome d’uranium (le combustible), ce dernier se désintègre, ce qui libère de nouveaux neutrons qui à leur tour entrent en collision avec d’autres atomes d’uranium et ainsi de suite: c’est le principe de la réaction en chaîne. Le réacteur de MYRRHA, pour sa part, sera sous-critique c’est-à-dire qu’il ne contient pas assez de combustible pour que la réaction en chaîne s’installe. Il est donc nécessaire de lui adjoindre une source externe de neutrons qui l’alimente en permanence. On parle alors d’un réacteur ADS ou réacteur piloté par un accélérateur de particules, la source de neutrons. Ou plus exactement, l’accélérateur accélère un faisceau de protons qui vont bombarder une cible au centre du réacteur ce qui produit les neutrons qui vont maintenir la réaction de fusion. L’avantage apparait immédiatement (outre le fait d’utiliser moins de combustible): dès qu’on interrompt la production de protons par l’accélérateur (un interrupteur suffit), la réaction s’arrête quasi instantanément, en un millionième de seconde. Bref, la réaction est toujours sous contrôle.

 
Usage médical

Le réacteur de MYRRHA possédera cependant une autre caractéristique dont les scientifiques vont tirer des applications remarquables: il n’est pas refroidi à l’eau (comme les réacteurs «classiques») mais grâce à un mélange de métal liquide composé de plomb (44,5%) et de bismuth (55,5%). L’avantage: ne pas trop ralentir, étouffer les neutrons de fission. Ces neutrons rapides sont en effet très utiles.

Ils vont en effet servir à différentes applications. La première est l’étude de la transmutation des déchets. La meilleure particule pour transmuter un atome en un autre est le neutron puisqu’il n’a pas de charge électrique (c’est d’ailleurs ce qu’il fait dans un réacteur !). L’idée est donc de récupérer ces neutrons émis, de les piloter finement sur des cibles pour casser d’autres atomes.  Ainsi, des produits de fission (déchets) comme le technétium 99 ou l’iode 12, des isotopes à très longues vies, pourront être transformés en éléments radioactifs mais de période très courte ou en éléments stables (qui ne sont plus radioactifs). Le rêve des alchimistes réalisé.

Outre l’accélérateur (dont nous reparlerons) et le réacteur proprement dit, le projet MYRRHA comporte aussi 2 infrastructures de recherche importantes. Dans l’une, la Proton Target Facility, une partie des protons produits par l’accélérateur servira à bombarder des éléments pour produire des isotopes à usage médical. Ce sera même un des fers de lance du projet: développer (et vendre) des radio-isotopes thérapeutiques qui ciblent plus efficacement les cellules cancéreuses et réduisent donc les effets secondaires chez les patients. Une autre infrastructure, la Fusion Target Station, qui elle aussi utilise une partie des protons produits par l’accélérateur, est davantage centrée sur l’étude des matériaux. Ceux-ci vont être irradiés dans une grande piscine afin d’étudier leur comportement aux irradiations, notamment dans le cadre des projets de fusion nucléaire. On rejoint ici le projet ITER et ses dérivés.

 
De l’UCLouvain à Mol

Pendant cet été, la collaboration MYRRHA a confirmé avoir terminé l’installation d’un composant-clé du futur accélérateur linéaire. Ce composant (appelé pour les spécialistes quadripôle radiofréquence) a été développé au CRC (Centre de Ressources du Cyclotron) à l’UCLouvain, avec notamment le concours de l’entreprise IBA, spécialiste belge d’accélérateurs de particules. Ce module est venu s’arrimer à la source de protons et à la ligne de transport basse énergie de ceux-ci. C’est donc le système d’injection de l’accélérateur qui est maintenant complet. Il va donc quitter les installations du CRC pour le site de Mol. Cette opération s’intègre dans ce qui est toujours la première phase de la construction de MYRRHA: la construction de l’accélérateur (mais à une puissance réduite) et des 2 plateformes citées ci-dessus. Cette phase devrait être terminée pour 2026. Une deuxième phase (qui se prolongera jusque 2033) verra l’extension de la puissance de l’accélérateur (il aura alors 400 m de long). Enfin, la construction du réacteur proprement dit sera entamée avec comme objectif une mise en service en 2036 ! 

Pour en savoir plus

www.iter.org
https://myrrha.be

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