Dossier

Sur les traces des complotistes

Philippe LAMBERT • ph.lambert.ph@skynet.be
www.philippe-lambert-journaliste.be 

NASA/Neil A. Armstrong, © REUTERS, © ISOPIX

Les théories du complot ont acquis une visibilité inédite à l’orée du 21siècle. Avec les années 2000, et plus particulièrement depuis les attentats du 11 septembre 2001, elles se sont révélées au grand public avec la déferlante d’Internet et du développement des réseaux sociaux. La pandémie liée au coronavirus ou les élections américaines en sont les plus récents exemples. Mais quel est le profil psychologique et sociologique des adhérents aux thèses complotistes ?

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Aldrin salue le drapeau américain sur la Lune le 20 juillet 1969

 

De nos jours, les théories du complot semblent fleurir, chaque crise ou événement majeur draine aussitôt dans son sillage des interprétations et grilles de lecture conspirationnistes. La pandémie de la Covid-19 n’a pas échappé à la règle. Ainsi, dans une enquête d’opinion américaine du Pew Research Center datant du 17 mars 2020, 29% des Américains d’âge adulte rapportaient croire que le virus avait été élaboré en laboratoire, intentionnellement (23%) ou accidentellement (6%).

Le 17 mars 2020 est également le jour de l’entrée officielle de la France en confinement. À la demande de la Fondation Jean Jaurès et du site Web Conspiracy Watch, une enquête similaire a été menée par l’Institut français d’opinion publique (Ifop), entre le 24 et le 26 mars 2020, auprès d’un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Résultat: 26% des Français, soit plus d’1 sur 4, pensaient aussi que le virus avait été conçu en laboratoire, et ce alors que l’hypothèse d’une origine naturelle était privilégiée parmi les scientifiques de référence. Pour 17% de l’échantillon, il aurait été le fruit d’une démarche intentionnelle. Cette conviction, qui n’était partagée que par 6% des sondés de plus de 65 ans, l’était en revanche par 27% des moins de 35 ans. Globalement, les théories du complot (mais pas toutes) rencontreraient un succès tout particulier chez les jeunes générations.

La Covid-19 a généré d’autres théories du complot. Émanant de certains responsables politiques et hauts fonctionnaires turcs et iraniens, l’une d’elles met en cause les États-Unis et Israël, censés être responsables de la propagation du virus à des fins stratégiques. Bill Gates, lui, est accusé d’avoir créé le virus pour dépeupler la planète et d’avoir en projet d’implanter des puces électroniques à la population via un vaccin. Par ailleurs, de nombreux États-Uniens accusent quant à eux le gouvernement chinois, tandis qu’en Chine, ce sont les États-Unis qui sont soupçonnés d’être à l’origine de la pandémie. Mais le conspirationnisme a fait florès dans bien d’autres domaines. Illustrations: l’accident qui coûta la vie à Lady Diana était un assassinat maquillé; il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale; l’Homme n’a jamais mis le pied sur la Lune et la NASA, avec l’aide des studios Walt Disney (ou de Stanley Kubrick), a fabriqué de fausses images; le président Kennedy a été assassiné par la CIA; les autorités publiques et l’industrie pharmaceutique sont de mèche pour cacher la nocivité des vaccins… Et l’on pourrait multiplier les exemples.

 

 Croyance et connaissance

Mais que recouvreexactement le terme «complotisme» ? Si l’on se réfère à la définitionapparue en 2017 dans le dictionnaire Larousse, un complotiste «se ditd’une personne qui récuse la version communément admise d’un événement etcherche à démontrer que celui-ci résulte d’un complot fomenté par une minoritéactive». Cet énoncé prête le flanc à la critique, car comme le mentionne larédaction de Conspiracy Watch, elle fait l’impasse sur un élémentessentiel: le caractère infondé du discours complotiste. Le psychologue Robert Brotherton,lui, propose une définition de la théorie du complot incluant les critèressuivants: elle affirme l’existence d’un complot là où d’autres explicationssont plus plausibles; elle contredit le consensus au sein des autoritésépistémiques (institutions scientifiques, journalistiques); elle repose surl’idée que les conspirateurs sont extraordinairement malveillants etcompétents; elle est in fine irréfutable (c’est-à-dire qu’aucun argumentne pourra la contredire). Le complotisme serait, pour sa part, une dispositiongénérale à adhérer aux théories du complot ainsi définies.(

Au Conseil de sécurité de l’ONU à New York le 5 février 2003, le secrétaire d’État américain Colin Powell a tenté de persuader un monde sceptique que l’Irak cachait ses armes de destruction massive et que la guerre pourrait être nécessaire pour le désarmer.

(Crédit: ©REUTERS)

Contrairement à celle du dictionnaire Larousse, cette définition laisse la porte ouverte à l’existence de complots réels. Songeons, par exemple, à la déclaration de Colin Powell à l’ONU, en 2003, au sujet des armes de destruction massive en Irak. «Croire de façon inconditionnelle toutes les déclarations officielles relèverait également d’une forme de crédulité, indique Kenzo Nera, aspirant FNRS au sein du Centre de recherche en psychologie sociale et culturelle dirigé à l’ULB par le professeur Olivier Klein. Les individus sont généralement attirés par des visions du monde qui leur renvoient une image positive d’eux-mêmes et des groupes auxquels ils appartiennent. Dans la mesure où l’accusation de complot s’accompagne souvent d’un discours anti-élites, on peut raisonnablement poser l’hypothèse que les personnes qui occupent le sommet de l’échelle sociale seront a priori réfractaires à de telles thèses, et pas forcément pour des raisons rationnelles.»

Le conspirationnisme possède une dimension idéologique très affirmée. Il est l’expression de stéréotypes, de valeurs et de croyances sur le fonctionnement du monde. À ce titre, il est considéré par certains auteurs comme une nécessité démocratique car il oblige les autorités à une plus grande transparence. Mais d’autres auteurs insistent sur le fait que la mise au jour de véritables complots est sans rapport avec le complotisme. Aux yeux de Kenzo Nera, la question fondamentale est finalement celle de la distinction entre croyance et connaissance. «Même si on peut s’y intéresser uniquement sur le terrain psychologique, dit-il, parler de théories du complot amène immédiatement la question de la vérité: finalement, pourquoi les conspirationnistes auraient-ils tort ? Comment passe-t-on du registre de l’opinion à celui de la connaissance solide ? La mise en évidence du complot du Watergate ou de celui des armes de destruction massive en Irak a nécessité, au-delà des suspicions initiales, un travail d’enquête, la production de preuves qui ont conduit à une conclusion. Or, le complotiste en reste souvent à l’étape de la suspicion et ses arguments ne seront généralement que des critiques dirigées contre la « version officielle« , sans preuves positives en faveur de la « thèse alternative« ».

 
Illusion de rationalité

Qu’elle concerne les complotistes ou les individus qui se refusent invariablement à contester les informations officielles, la crédulité s’abreuve à diverses sources, et notamment à un phénomène appelé la myopie métacognitive, qui désigne la difficulté que l’on éprouve à prendre du recul sur nos processus mentaux; en d’autres termes, à penser notre propre pensée. «Le crédule est pour une large part quelqu’un qui pense être parfaitement rationnel dans les conclusions qu’il tire et qui ignore ce qui aurait pu affecter son raisonnement: biais cognitifs, états émotionnels, positions idéologiques. Il s’agit en réalité d’un fonctionnement très ordinaire et en ce sens, nous sommes toutes et tous des crédules», explique encore Kenzo Nera.

Sans doute est-ce en partie pour cette raison que les études montrent qu’il existe une sorte de système intellectuel, une idéologie complotiste qui finit par déteindre sur l’ensemble de notre vision du monde. En effet, une des données les mieux établies par les travaux de psychologie sociale est que la croyance à une théorie complotiste s’accompagne d’une propension accrue à croire à d’autres théories complotistes, fussent-elles a priori sans aucun lien les unes avec les autres. Ça peut paraître irrationnel mais c’est en réalité logique, car la théorie du complot stimule un doute hyperbolique qui, lui-même, se nourrit de notre illusion de rationalité – si on nous a menti sur un événement particulier, on nous ment potentiellement sur tout le reste aussi. «Un réflexe argumentatif typique du conspirationnisme est de se demander à qui profite le crime. Cela peut sembler rationnel; cependant, pour des événements de grande ampleur, on finit toujours par trouver quelqu’un à qui la situation peut bénéficier», dit Kenzo Nera. Et c’est ainsi qu’une vision conspirationniste pourrait arriver à la conclusion que la Covid-19 est l’arme d’un génocide ayant pour cible les personnes âgées afin de soulager la charge des retraites.

Comment s’informent les complotistes ? Cette question constituait l’une des facettes de l’étude réalisée en 2019 par l’Ifop à la demande de la Fondation Jean Jaurès et de Conspiracy Watch. Elle est cruciale dans la mesure où le conspirationnisme se situe au confluent d’une défiance envers le «récit officiel» des événements et la croyance en un récit alternatif. En ce sens, comme le mentionne Roman Bornstein, responsable de projets à la Fondation Jean Jaurès, «le complotisme est potentiellement le résultat d’un rapport particulier à l’information, aux journalistes qui la fabriquent et aux médias qui la diffusent».

  

Un remède face à l’incertitude ?

Une méta-analyse récente a conclu à l’absence de liens évidents entre les traits de personnalité de référence que sont les «Big Five» (ouverture à l’expérience, tendance à être consciencieux, extraversion, agréabilité, neuroticisme – voir la vie en noir) et les croyances conspirationnistes. En revanche, certaines études montrent que ces dernières sont davantage endossées par des individus éprouvant le sentiment d’une perte des valeurs éthiques, religieuses ou autres et de contrôle sur leur vie et leur environnement. D’autre part, l’enquête de l’Ifop révèle que 26% des sondés estiment ne pas avoir réussi leur vie, avec, parmi eux, une surreprésentation d’individus cautionnant 5 théories du complot ou plus parmi les 10 présentées. «Le politologue américain Joseph Uscinski a une formule percutante, voire provocante à ce propos: Conspiracy theories are for losers, ce à quoi il ajoute qu’il s’agit d’un jugement descriptif et non péjoratif», relate Kenzo Nera. Et de poursuivre: «En effet, les conspirationnistes sont typiquement du côté défavorisé d’une asymétrie du pouvoir – les perdants après une élection, les pauvres par rapport aux riches, etc.»

Ce qui explique que leur combat soit dirigé contre les élites. Il existe d’ailleurs une corrélation nette entre le fait d’être sympathisant des «gilets jaunes», et plus encore d’appartenir au noyau dur du mouvement, et la croyance à diverses théories du complot – non seulement à celle qui attribue au gouvernement français l’attentat de Strasbourg du 11 décembre 2018 dans le but de désamorcer la vague des «gilets jaunes», mais aussi, par exemple, celles qui postulent que Lady Diana a été assassinée ou que la nocivité des vaccins est cachée au grand public à la suite d’une collusion entre les autorités et l’industrie pharmaceutique. «Il y a chez de nombreux complotistes un besoin de se valoriser, de se sentir « spécial«  en adhérant à une pensée alternative, explique Kenzo Nera. Dans certains cas, le conspirationnisme pourrait être aussi une expression du biais d’optimisme, qui consiste à attribuer nos succès à notre mérite personnel mais à nous décharger de la responsabilité de nos échecs.»

À sa façon, le complotisme joue-t-il le rôle d’un remède face à l’incertitude d’un monde jugé chaotique et inintelligible, tient-il de l’«anxiolytique» ? En tout cas, l’hypothèse que ces croyances répondent à des besoins psychologiques est défendue par certains chercheurs. Mais le remède serait un remède paradoxal car il supporte une vision du monde qui n’a rien de rassurant.

  

Selon une étude de l’Ifop, les moins de 35 ans qui s’informent sur Internet privilégient largement les réseaux sociaux, plus propices aux rumeurs et manipulations, par rapport aux sites d’information des grands médias.

(Crédit: ©ISOPIX)

 
Un entre-soi informationnel clos

Dans son livre La démocratie des crédules, le sociologue français Gérald Bronner, professeur à l’Université Paris-Diderot, insiste sur l’importance de ce qu’il appelle la dérégulation du marché de l’information dans la diffusion des croyances complotistes. Face à l’offre surabondante d’informations, les internautes peuvent confirmer leurs visions du monde et développer un sentiment d’expertise. On encourt dès lors le risque que l’opinion publique revendique une autorité intellectuelle équivalente à celle des scientifiques.

Sous l’impact d’Internet, on assiste à une augmentation cyclopéenne de l’offre médiatique et à un raccourcissement du délai entre l’accès premier à l’information et à sa diffusion. La concurrence entre les médias s’en trouve exacerbée et propice à certains dérapages, dont en particulier la présentation hâtive d’informations douteuses de nature à générer ou à entretenir des théories complotistes. Mais il ne fait pas de doute que les réseaux sociaux constituent le principal moteur de la diffusion massive de telles théories. Or, que révèle l’enquête de l’Ifop ? Que seuls 7% des sondés citent les journaux et la presse écrite comme la source d’information qu’ils utilisent en premier et que la radio, pourtant considérée comme le média le plus fiable par les Français, est également à la traîne (17%). La télévision demeure le média de prédilection en France – 47% des personnes interrogées y recourent en premier et 80% l’incluent dans leur pratique médiatique. Mais le plus inquiétant est qu’Internet et les réseaux sociaux arrivent en deuxième position (28%) dans le classement des sources d’information consultées en premier par les Français et que 63% des sondés s’y réfèrent pour suivre l’actualité. Comme l’indique Roman Bornstein dans le rapport de la Fondation Jean Jaurès sur le conspirationnisme, «il est raisonnable de penser qu’à moyen terme Internet et les réseaux sociaux seront amenés par la logique générationnelle à devenir la première source d’information des Français».

Nonobstant, il convient d’opérer un distinguo entre les sites d’information des grands médias, dont les contenus émanent de professionnels, et les réseaux sociaux, tels Facebook ou Twitter, où tout un chacun peut émettre ou relayer des rumeurs ou des données manipulées ayant l’apparence trompeuse d’une information véridique. Le problème est que selon l’étude de l’Ifop, les individus de moins de 35 ans qui s’informent sur Internet privilégient largement (47%) les réseaux sociaux par rapport aux sites d’information des grands médias (28%) en tant que première source d’information. «Le monde de demain sera aux mains de citoyens qui auront été formés et informés sur les réseaux sociaux», écrit Roman Bornstein.

Rien d’étonnant dès lors que les jeunes générations soient d’ores et déjà les plus perméables à de nombreuses théories du complot. Une des clés de voûte du fonctionnement des réseaux sociaux consiste à inciter les utilisateurs à s’y tenir le plus longtemps possible. Pourquoi ? Afin de mettre en œuvre des procédures de ciblage, les «bulles de filtrage», qui, comme l’explique le professeur Xavier Seron, neuropsychologue, membre de l’Académie royale de Belgique et auteur de Mensonges ! Une nouvelle approche psychologique et neuroscientifique (2019 – Odile Jacob), tirent profit de la capacité des grands opérateurs du Net, comme Facebook et Google, à collecter des données multiples relatives aux internautes, souvent à leur insu, en se basant sur les traces laissées par leur activité sur le réseau.

Ces données constituent le bras armé du ciblage. Les algorithmes des plateformes numériques permettent à celles-ci de proposer prioritairement à leurs visiteurs des informations en phase avec leurs préférences individuelles. Roman Bornstein, écrit, expérience à l’appui, qu’un tel algorithme incitera «ceux qui regardent les éditos d’Alain Soral à continuer sur leur lancée en leur suggérant (…) de prendre également le temps de visionner une tirade de Dieudonné, une conférence de Kemi Seba ou un documentaire prétendant révéler les véritables assassins de Kennedy». Les réseaux sociaux confortent les internautes dans leurs opinions par le truchement d’un biais cognitif omniprésent dans l’espèce humaine: le biais de confirmation, qui traduit notre tendance à ne sélectionner que les informations qui semblent confirmer nos croyances et idées préexistantes au détriment des données qui jouent en défaveur de nos conceptions. Une des conséquences de ce mécanisme est, ainsi que le dit Xavier Seron, «l’enfermement progressif dans un entre-soi informationnel clos». Situation propice à l’adhésion aux théories conspirationnistes et à leur diffusion. D’autant que le biais de confirmation semble être particulièrement robuste lorsqu’il s’inscrit dans des contextes idéologiques ou politiques ou des contextes sociaux chargés d’émotions.

 
Horoscope et perceptions extralucides

Un autre biais cognitif très présent chez les personnes qui ont une forte propension à cautionner les théories complotistes est le biais d’intentionnalité, qui désigne notre tendance à privilégier les explications intentionnelles par rapport aux explications accidentelles pour rendre compte des événements. «Des scientifiques ont mis en évidence que ce biais s’observe dès l’enfance et qu’il pourrait avoir émergé au cours de notre histoire évolutive, fait remarquer Kenzo Nera. Il est d’ailleurs amusant de constater que même lorsqu’on a conscience qu’un événement n’est pas intentionnel, nous aurons tendance à utiliser malgré tout un vocabulaire qui suggère une intentionnalité. Par exemple, j’aurais pu dire «l’évolution nous a donné ce biais…».» Comme l’ont souligné les travaux du neurologue Lionel Naccache, qui codirige l’unité de neuroimagerie et neuropsychologie à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM – Paris), l’individu n’aurait de cesse de donner du sens à ses expériences conscientes, en élaborant des scénarios fictionnels.

À travers une première enquête de l’Ifop commanditée en 2018 par la Fondation Jean Jaurès et Conspiracy Watch se dégageait une corrélation entre la consultation de l’horoscope, très prisée chez les jeunes sondés de 18 à 24 ans, et l’adhésion à 4 théories du complot ou plus. Un constat similaire a été réalisé dans l’enquête de 2019, où apparaissait une corrélation entre le conspirationnisme et la croyance dans des perceptions extralucides ou dans la possibilité d’entrer en contact avec les esprits de personnes décédées. Ainsi, si 11% des individus qui ne croient à aucune théorie conspirationniste sont en accord avec l’idée qu’il soit possible d’entrer en relation avec les esprits des défunts, ce chiffre s’élève à 48% chez ceux qui adhèrent à 7 théories complotistes ou plus. «Tant dans la superstition que dans les affinités avec le complotisme, il y a la recherche d’intentions cachées, d’une finalité derrière une réalité hasardeuse et chaotique», insiste Kenzo Nera. Cet élément sape la crédibilité de l’hypothèse qui fut parfois émise selon laquelle le complotisme résulterait d’une forme d’«hyperrationalité».

Il existe une corrélation entre l’adhésion aux théories du complot et la
consultation de l’horoscope ainsi que la croyance dans des perceptions
extralucides ou dans la possibilité d’entrer en contact avec des esprits de
personnes décédées

Autre biais impliqué dans le conspirationnisme: la confusion entre corrélation et causalité, qui aboutit à la conviction que 2 événements qui se suivent sont nécessairement unis par une relation de cause à effet, alors qu’ils sont indépendants l’un de l’autre ou, en tout cas, que rien ne prouve l’existence d’un lien qui les unisse. «Les complotistes ont tendance à mettre en lien des événements disparates qui deviennent supposément autant d’indices en faveur de l’existence d’un complot. Ce faisant, ils sous-estiment la probabilité que ces différents événements soient survenus de façon indépendantes, en se disant « si ces événements sont arrivés simultanément, cela ne peut pas être dû au hasard »», commente Kenzo Nera.

L’enquête de l’Ifop souligne que 21% de la population française est très perméable aux énoncés complotistes, puisque ces personnes sont d’accord avec au moins 5 théories du complot sur les 10 proposées dans le sondage. En outre, 15 autres pour cent de la population n’est manifestement pas insensible à ces énoncés – adhésion à 3 ou 4 théories conspirationnistes sur les 10. Sociologiquement, les adhérents à ces croyances se recrutent principalement parmi les adultes de moins de 35 ans, nous l’avons signalé, les personnes peu diplômées, les catégories socioculturelles les plus défavorisées et les électeurs des partis très à droite ou très à gauche – chez nos voisins, le Rassemblement national ou la France insoumise.

Cela étant, à côté de propositions aberrantes comme celle qui affirme que la Terre est plate, les théories du complot sont souvent finement élaborées par leurs concepteurs. Kenzo Nera donne l’exemple de celle mise en valeur dans la série de documentaires Loose Change sur les attentats du 11 septembre. «L’argumentaire y était très conséquent et fait appel à des connaissances dans divers domaines (l’aéronautique, la résistance des matériaux, etc.). Seuls des experts de ces matières pouvaient le contrer. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de persuasion de ces théories», dit-il. Gérald Bronner abonde dans ce sens, invoquant la difficulté de démonter ces «mille-feuilles argumentatifs».

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