Dossier

Hikikomori:
une jeunesse cloîtrée à domicile

Jakob Owens/Unsplash, Nik Shuliahin/Unsplash, Tima Miroshnichenko/Pexels

Vivre enfermé durant des mois, souvent des années. Dans une chambre, sans projet, avec pour seul compagnon l’univers virtuel de la Toile. Qui sont ces jeunes en retrait social, ces «hikikomori», et comment expliquer leur comportement ? Conduite ou pathologie ? La question reste débattue comme l’est aussi celle des causes du phénomène

 

Depuis 14 ans, il vit dans une cabane de jardin, ne s’en extrayant que pour aller dîner le soir avec son père. Tel autre ne sort pas de sa chambre, plongée en permanence dans la pénombre; ses parents déposent un plateau-repas devant sa porte. Tel autre encore récolte ses besoins dans une bouteille, afin de ne jamais devoir quitter son antre et côtoyer d’autres individus. Outre cette «réclusion volontaire», tous 3 ont en commun de passer le plus clair de leur temps à surfer sur Internet, bien que les études montrent que les personnes dans leur cas n’ont habituellement pas d’addiction à la Toile, que là ne réside pas la cause de leur enfermement.

On les appelle des hikikomori, selon la terminologie initiée en 1998 par le psychiatre japonais Tamaki Saito, dont l’ouvrage Retrait social: une adolescence interminable contribua à démocratiser le terme auprès d’un large public. Par extension, «hikikomori» désigne également le phénomène de réclusion concerné. Dans 90% des cas, les personnes touchées sont des hommes, plus précisément des adolescents et de jeunes adultes. Selon la psychiatre française Marie-Jeanne Guedj, pendant 20 ans cheffe du pôle des urgences psychiatriques à l’hôpital Sainte-Anne de Paris, les 10% de hikikomori affectant des jeunes femmes sont associés à des pathologies psychiatriques assez sévères, tandis que chez les hommes, la présence éventuelle de tels troubles continue à être débattue. Le DSM V, «bible» (aujourd’hui assez contestée) de la psychiatrie américaine et internationale, ne reprend d’ailleurs pas le phénomène hikikomori lui-même dans la nomenclature des maladies psychiatriques et la tendance générale continue à être, à tort ou à raison, de parler d’un comportement, d’une conduite, plutôt que d’un syndrome.

Les exemples que nous avons cités en introduction se réfèrent à des cas extrêmes, mais non rares. Ils s’inscrivent à côté d’autres cas où l’appauvrissement des relations sociales est moins prononcé. Le repli, l’enfermement, le retrait social, la claustration, peu importe le terme choisi en français, n’en est pas moins bien réel. «On considère que quelqu’un qui est hikikomori peut parfois sortir du lieu où il est reclus la majeure partie du temps, mais plutôt le soir quand il est pratiquement assuré de ne croiser âme qui vive ou dans le cadre de relations avec des personnes qui lui sont très familières, comme ses parents. Certains vont aussi se réapprovisionner dans un magasin, par exemple», indique le docteur Guedj, qui précise de surcroît que le phénomène est évolutif, que les relations s’appauvrissent de plus en plus.

Selon la définition proposée en 1998 par Tamaki Saito, les hikikomori sont des sujets vivant reclus depuis au moins 6 mois, et pour lesquels aucun trouble psychiatrique n’a été décelé pour expliquer le symptôme primaire de retrait. Depuis, la définition a évolué et celle du ministère de la Santé japonais, actualisée en 2016, est: «enfermement à domicile depuis plus de 6 mois, sans travail et sans études, avec une restriction des contacts sociaux.» Aujourd’hui, la question du diagnostic fait débat au Japon (et ailleurs) autour de l’existence possible de 2 formes de hikikomori: l’une dite primaire, c’est-à-dire sans diagnostic psychiatrique, l’autre secondaire, où le hikikomori serait une conduite consécutive ou associée à une maladie psychiatrique. D’autre part, les chercheurs chinois et coréens estiment que la durée d’enfermement de 6 mois au minimum retenue dans la définition japonaise du hikikomori devrait être ramenée à 3 mois. «Leur argument est sans appel, commente Marie-Jeanne Guedj. Les études mettent en évidence qu’un individu qui est reclus depuis 3 mois le sera toujours après 6 mois. Dès lors, autant gagner du temps dans la prise en charge du problème.»

 

De nombreux hikikomori ont abandonné leur scolarité en dernière année d’études supérieures par peur de ne pouvoir affronter la société et l’univers du travail

Subi ou choisi ?

Tamaki Saito parlait d’une adolescence interminable à propos du hikikomori. L’ancienne cheffe du pôle des urgences psychiatriques de l’hôpital Sainte-Anne, qui exerce désormais essentiellement dans un cabinet libéral, ne le rejoint pas sur ce point. En effet, la coupure avec le monde relationnel élargi au-delà du cercle familial et la notion même d’adolescence normale, qui suppose une ouverture sur le monde, le déploiement de comportements exploratoires, l’élaboration de projets d’avenir, la quête amoureuse, la recherche d’expériences diverses, sont antinomiques. En quelque sorte, le hikikomori est l’image en négatif de l’adolescent tel qu’on le conçoit traditionnellement.

S’il semble fort discutable de soutenir que le hikikomori reste figé dans l’adolescence, il est acquis, en revanche, qu’il se sent incapable d’évoluer au sein de la société adulte. Il est symptomatique de constater que parmi les jeunes adultes devenant hikikomori, la plupart d’entre eux ont abandonné leur scolarité en dernière année d’études supérieures par peur de ne pouvoir affronter la société et l’univers du travail. Ils se retirent anticipativement du monde avant que celui-ci, pensent-ils, ne les refoule.

L’étymologie du terme hikikomori est parfaitement en phase avec ce constat. Elle se fonde sur 2 éléments dont le premier, hiki, se réfère au fait d’être repoussé de l’extérieur vers l’intérieur; le second, komoru, désignant pour sa part une retraite au sens monastique. La notion de réclusion volontaire, souvent évoquée, est donc sujette à caution. «Au début, c’est subi; ensuite, c’est choisi», dit le docteur Guedj. Et de préciser sa pensée: «Initialement, le sujet hikikomori éprouve le sentiment qu’il ne peut que s’enfermer, mais au bout d’un certain temps, il a l’impression d’avoir opéré un choix. Son cas n’est en rien analogue à celui d’un ermite, par exemple, qui est mû par des valeurs mystiques, la recherche d’un idéal…»

Le phénomène hikikomori a explosé au Japon à la fin des années 1990. On y voit généralement la main de la crise économique, avec le chômage bouchant l’horizon des jeunes, et celle de la pression scolaire extrême s’exerçant dans ce pays. Les chiffres se sont affolés et, au milieu des années 2000, le gouvernement japonais forma un comité d’experts pour mieux cerner cette «épidémie» de marginalisation d’une importante frange de la jeunesse nipponne. À l’époque, le nombre de cas fut évalué à 230 000. Aujourd’hui, on avance le chiffre de 500 000 à un million, toujours pour le seul Japon. Le phénomène y est-il confiné ? Non, mais il fallut cependant attendre 2005 pour qu’un cas de hikikomori soit décrit au Sultanat d’Oman, suivi d’un deuxième en Espagne, en 2007. À présent, il apparaît que le phénomène hikikomori est mondial, même si c’est au Japon qu’il continue à se poser avec la plus grande acuité. Des cas ont été décrits notamment en Chine, en Corée du Sud, à Taïwan, en Indonésie, en Allemagne, en Italie, en France, au Portugal, aux États-Unis, au Canada, au Brésil ou encore au Nigéria. 

 
L’énigme des NEET

Il est malaisé d’estimer la prévalence du hikikomori dans les pays occidentaux. Les familles occultent souvent le phénomène, par honte. Selon les travaux d’épidémiologie diagnostique réalisés en France par l’équipe Psymobile de Lyon, conduite par le psychiatre Nicolas Chauliac, la famille d’un hikikomori ne formule une demande d’aide que 2 ans et demi en moyenne après le début de son retrait de la société. Par ailleurs, des centaines de milliers de personnes (1,8 million en France en 2017) ressortissant à la catégorie des NEET (Not in Education, Employment or Training – ni étudiant, ni employé, ni stagiaire) vivent de minima sociaux ou de la générosité de leurs parents. Parmi eux, 400 000 ont disparu de «tous les radars». «Il est hautement probable que parmi ces personnes dites en décrochage scolaire ou en retrait social figurent des hikikomori», souligne Marie-Jeanne Guedj.

Ces dernières années, la parole des familles a néanmoins commencé à se libérer plus facilement. Pourquoi ? La terminologie de «syndrome hikikomori» s’impose de plus en plus fréquemment, en particulier dans les médias, malgré sa non-reconnaissance dans le DSM V. Les parents des jeunes gens cloîtrés peuvent ainsi se référer à une entité donnée plutôt que de voir apposer à l’enfermement à domicile de lourdes étiquettes psychiatriques, telles que la schizophrénie ou l’autisme, d’assister à la stigmatisation de leur fils (parfois de leur fille) pour paresse ou refus de travailler, d’essuyer eux-mêmes des reproches quant à leur responsabilité dans la genèse du problème ou sa gestion.

Les demandes d’aide et, par là même, les signalements connaissent un pic lorsque le hikikomori fait l’objet d’une attention médiatique. «Dans la foulée de l’émission Hikikomori: les reclus volontaires ? diffusée sur France 5 le 16 juin 2020, plus de 300 demandes me sont parvenues en un mois. Mais il est certain que beaucoup de cas ne sont ni traités ni répertoriés, notamment parmi les NEET», indique le docteur Guedj, qui insiste toutefois sur le risque de voir des familles se persuader que leur enfant est hikikomori alors qu’il souffre, en réalité, d’une pathologie psychiatrique comme la schizophrénie. 

Des hikikomori âgés ?

Dans nos pays, on recense peu de hikikomori âgés, alors qu’ils foisonneraient au Japon. Faut-il incriminer une approche thérapeutique défaillante qui pérenniserait le trouble ? En outre, la définition du phénomène hikikomori étant large, se pose un problème de classification. Par exemple, y a-t-il lieu de considérer comme hikikomori une personne âgée isolée socialement, d’hygiène négligée, accumulant de façon compulsive objets et déchets (syllogomanie)… ? En Occident, on posera le diagnostic de syndrome de Diogène. Au Japon, celui de hikikomori.

Une bouteille à encre

La psychiatrie se trouve démunie face au hikikomori dans la mesure où elle est actuellement incapable d’établir un diagnostic catégoriel tant le phénomène revêt des formes et des degrés de gravité multiples et tant ses causes restent difficiles à cerner. Il semble cependant acquis que le hikikomori se situe au confluent de divers facteurs: personnels, environnementaux et sociétaux, familiaux. Sans compter que nombre d’auteurs évoquent la présence d’une pathologie mentale associée (un trouble schizophrénique non encore diagnostiqué, par exemple), ce qui a débouché au Japon sur le concept de hikikomori secondaire. Mais d’autres auteurs estiment que ce n’est pas le cas et que le phénomène se résume à une simple conduite de repli ne nécessitant pas un diagnostic psychiatrique (forme primaire, selon la catégorisation japonaise). La coexistence des 2 formes semble probable. «La question est complexe car elle met en jeu différentes conceptions de la psychiatrie, commente Marie-Jeanne Guedj. Ainsi, la psychiatrie de secteur avec son volet social, ses structures alternatives à l’hospitalisation, ses visites à domicile, ses suivis au long cours est-elle absente du paysage japonais. Et les troubles de la personnalité, qui ont pris la suite des anciennes névroses, n’y sont pas considérés comme une catégorie diagnostique.» À la lumière des travaux d’épidémiologie diagnostique de Nicolas Chauliac à Lyon (2017), seulement 13% des hikikomori ne relèveraient pas d’un diagnostic psychiatrique et pourraient être considérés comme «hikikomori primaires». «En vérité, toute cette problématique est devenue une bouteille à encre», fait remarquer le docteur Guedj.

Au niveau des facteurs personnels, on peut imaginer l’occurrence d’un profil psychologique qui favorise le retrait social. On observe entre autres chez le hikikomori une estime de soi très paradoxale. Extrêmement faible quand elle est orientée vers l’extérieur – le sujet n’a aucune confiance en soi dans ses relations avec autrui et les croit immanquablement vouées à l’échec -, elle s’ouvre sur la mégalomanie quand elle est tournée vers «l’intérieur», le sujet nourrissant alors une haute opinion de lui-même. En général, les hikikomori sont persuadés, par exemple, d’être des as en informatique, eux qui passent leur vie devant leur ordinateur, mais des études japonaises révèlent qu’en dehors de leur pratique habituelle, ils sont totalement inadaptés à un travail dans ce domaine. «Une autre caractéristique de la plupart des jeunes cloîtrés à domicile est d’osciller entre une hypersensibilité maladive et une indifférence cruelle à tout ce qui se passe autour d’eux, rapporte Marie-Jeanne Guedj. Ne supportant pas de voir leur mère pleurer, par exemple, ils quittent la pièce où il leur arrive de la côtoyer ou deviennent de marbre. La chambre où ils se murent suggère un matelas qui amortirait toutes les influences venues de l’extérieur (propositions d’activités, demandes d’aide, d’amour, etc.) et absorberait également leurs propres sentiments

 

Géopolitique
et complotisme

Il est très fréquent que les hikikomori s’intéressent à la géopolitique via Internet. Dans cette sphère s’offre la possibilité de manier des idées abstraites sans être confronté à un flux émotionnel. Ici, à travers une surestimation de leurs capacités à comprendre le monde, transparaît à nouveau la haute opinion que les hikikomori ont d’eux-mêmes.

Leur vision des problèmes du monde, que la plupart d’entre eux jugent «pourri», constitue un argument de poids pour justifier leur enfermement à l’écart de la société. Ils sont d’ailleurs nombreux à se laisser appâter par les théories complotistes. «Ce sont alors souvent les hikikomori les plus difficiles à prendre en charge. Ils sont inabordables tant ils sont convaincus d’avoir raison», indique Marie-Jeanne Guedj.

 
Des liens ambivalents

D’après la psychiatre, il est fort rare que l’enfermement survienne brutalement à la suite d’un événement de vie, tel le décès d’un proche ou une rupture amoureuse. Le plus fréquemment, c’est une accumulation de traumatismes même mineurs qui y conduit – harcèlement scolaire, moqueries, rebuffade sentimentale, dénigrement, pression à la performance, perception d’un avenir bouché… Outre ces facteurs environnementaux et sociétaux, qui se greffent aux prédispositions personnelles, des facteurs familiaux sont également impliqués dans l’enfermement à domicile. Précisément, y a-t-il une configuration familiale particulière qui tracerait le sillon de ce repli ? Des études japonaises ont essayé de répondre à cette question. Il en ressort que les familles concernées ne sont ni négligentes ni hostiles, mais au contraire que leurs membres sont très proches l’un de l’autre, très affectueux, ouverts au dialogue. «Néanmoins, selon les dernières publications japonaises, elles se plient fréquemment à un modèle familial strict et rigide hérité des grands-parents, voire des arrière-grands-parents», dit le docteur Guedj.

De surcroît, on constate régulièrement une grande anxiété maternelle, soit constitutive, soit liée à des événements de vie, et un trouble de l’attachement essentiellement vis-à-vis de la mère. Plus affirmé chez le garçon que chez la fille, un tel trouble pourrait expliquer, du moins en partie, la prévalence masculine du hikikomori. Une hypothèse formulée aujourd’hui est que ce dernier et les troubles des conduites alimentaires, 2 types de troubles des conduites, seraient en miroir, la prévalence du premier étant principalement masculine et celle du second, principalement féminine. Quoi qu’il en soit, les études montrent qu’à l’adolescence, l’enfant se révolte contre l’inquiétude et la surprotection parentales, plus spécialement maternelles, dont il fait l’objet, mais au lieu de «briser ses chaînes» et d’aller «explorer le monde», attitude normale d’un adolescent, le hikikomori se cloître. «Nous sommes dans le cadre d’un lien d’attachement-séparation, précise Marie-Jeanne Guedj. Il y a un rapprochement fusionnel, qui finit par devenir insupportable, mais l’éloignement l’est tout autant

Dans une interview accordée au magazine L’Express en février 2019, la sociologue Maïa Fansten, de l’Université Paris Descartes, évoquait une certaine complaisance familiale dans le phénomène hikikomori. «Il faut bien, en effet, que quelqu’un paie le loyer et la nourriture. Certains parents ne toléreraient pas cette situation», disait-elle. Quoique le suicide soit peu répandu chez les hikikomori, sans doute parce que ces derniers trouvent un exutoire émotionnel dans le monde virtuel d’Internet (jeux, réseaux sociaux…), leurs parents sont nombreux à redouter un passage à l’acte, ce qui pourrait contribuer à cette complaisance à laquelle Maïa Fansten faisait allusion.

 
Addiction à un espace clos

Dans un nombre important de cas, le hikikomori finit en quelque sorte par s’étendre aux parents: ils en arrivent à «s’enfermer» eux aussi, ne voyant plus la famille extérieure, ne recevant plus leurs amis… Les Japonais parlent alors d’un double hikikomori. La honte et le sentiment de culpabilité qu’éprouvent généralement les parents ensemencent le phénomène. Mais ce ne sont pas les seuls paramètres. «Ainsi qu’ils le décrivent eux-mêmes, ils ne se sentent plus les parents d’un adolescent ou d’un jeune adulte, mais d’un bébé, relate le docteur Guedj. Ils ont peur de le laisser seul, de partir en vacances. Et la fratrie, elle, leur attribue la responsabilité de la situation ou prend parti contre eux.»

Dans un nombre important de cas, le hikikomori finit en quelque sorte par s’étendre aux parents: ils en arrivent à «s’enfermer» eux aussi, ne voyant plus la famille extérieure, ne recevant plus leurs amis… Les Japonais parlent alors d’un double hikikomori. 

Contrairement à ce qu’on aurait pu postuler a priori, l’enfermement n’est pas dû à une addiction des sujets hikikomori à Internet, aux réseaux sociaux et aux jeux vidéo, même si c’est dans ce monde virtuel qu’ils ont accès au partage social des émotions, indispensable à la sauvegarde de l’équilibre mental. Ce type d’addiction survient secondairement, pour rompre l’ennui. Par contre, aux yeux de la psychiatre, l’enfermement lui-même peut être considéré comme une addiction. Une addiction à l’espace de claustration. En effet, lorsqu’un hikikomori rechute même en cours de psychothérapie ou après, il se renferme systématiquement dans le même lieu clos qu’auparavant. «Certains parents mettent d’ailleurs à profit l’hospitalisation de leur enfant pour modifier complètement ce lieu, faire d’une chambre un salon, par exemple», dit Marie-Jeanne Guedj.

D’origine multifactorielle, le phénomène hikikomori reste nimbé d’un certain mystère. Conduite ? Syndrome ?… Une chose est certaine: en s’enfermant, le jeune se dessaisit de ses capacités de compréhension du monde, de ses capacités physiques et de ses capacités relationnelles alors qu’il est normalement à l’âge où l’on se forge un avenir. Même si la psychiatrie est dans une relative impasse diagnostique, une prise en charge du sujet hikikomori s’impose afin de lui permettre de récupérer ses capacités mises sous l’éteignoir.

Une prise en charge, mais laquelle ? Il existe des pistes thérapeutiques destinées à soulager la souffrance du patient hikikomori et de sa cellule familiale. Toutefois, rappelle le docteur Guedj, aucun consensus mondial se s’est dégagé sur des recommandations strictes. Elle insiste cependant sur la nécessité de ne jamais abandonner à leur sort le jeune et sa famille. Plus prosaïquement, il faut revenir à la charge encore et encore, trouver une ouverture quand le patient est fermé à toute collaboration.

Comment
rompre l’enfermement ?

En 2010, le ministère de la Santé japonais a préconisé une prise en charge en 4 étapes: guidance parentale, psychothérapie individuelle du jeune, thérapies de groupe, activités de socialisation. À Paris, l’équipe de Marie-Jeanne Guedj suit un canevas assez similaire. Dans un premier temps, ce sont les parents qui demandent une intervention. La guidance parentale consiste à les recevoir seuls lors d’une ou plusieurs consultations, notamment pour les déculpabiliser, édulcorer la honte qui les habite vis-à-vis de l’entourage et ainsi diminuer leur souffrance, ce qui est de nature à réduire la pression contre-productive qu’ils exercent sur leur enfant cloîtré.

La deuxième étape implique d’aller vers le jeune, de trouver un moyen d’entrer en contact avec lui. L’idéal est de réussir à le faire venir en consultation, ce qui se produit dans environ un tiers des cas, mais la visite du psychiatre à domicile est une alternative si la tentative échoue. Il s’agit d’un autre moyen d’accès, direct, mais perçu comme une intrusion. «C’est souvent la « menace de visite à domicile » indiquée dans une lettre qui représente un facteur de mobilisation permettant la venue à la consultation», écrit le docteur Guedj. Quant à l’hospitalisation sous contrainte, elle constitue, ainsi que le signale le docteur Mathias Moreno, de l’hôpital Sainte-Anne (Paris), une solution de dernier recours quand la situation de repli est pérennisée et que le jeune refuse toute prise en charge.

Troisième étape: le traitement individuel du jeune. D’après le docteur Guedj, peu importe le type de psychothérapie mise en œuvre (cognitive, psychanalytique ou autre), l’essentiel est l’engagement du jeune dans une relation psychothérapeutique où il bénéficiera de bienveillance et d’écoute. Pour l’heure, on ne peut en effet tabler sur un diagnostic catégoriel du hikikomori et partant, sur une approche thérapeutique standardisée.

Enfin, quatrième étape, la resocialisation, entre autres à travers des groupes de parole et un travail avec une assistante sociale.

Les sujets hikikomori ne sont pas forcément dépendants aux jeux vidéo, ce type
d’addiction survient dans un deuxième temps, pour rompre l’ennui

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