Santé

N’est pas imposteur qui veut !

Katerina Holmes/Pexels

Ils sont compétents, réussissent ce qu’ils entreprennent, mais sont persuadés qu’ils ne méritent pas leurs succès, qu’on a tort de vanter leurs mérites, de leur faire confiance. Ils ont même peur d’être démasqués dans ce qu’ils croient être leur médiocrité. En un mot, ils se considèrent comme des imposteurs

Cette jeune femme est étudiante. Ses notes aux examens sont de 16 en moyenne. Mais voilà, elle est persuadée que les enseignants la surestiment, se trompent lorsqu’ils corrigent ses copies. Elle a pour règle de ne jamais discuter de ses notes avec eux, de peur qu’ils en viennent à se rendre compte de leurs erreurs de jugement. Cet homme, lui, est convaincu de ne pas être un bon père alors que son entourage le décrit comme exemplaire. Il se dit qu’il fait illusion auprès de ses enfants parce qu’ils sont encore très jeunes, mais qu’un jour ils comprendront qu’il n’était pas digne d’eux. Quant à cette femme brillante, administratrice déléguée d’une importante entreprise, elle est certaine de ne pas être à sa place à son poste, de ne pas posséder les compétences requises. À ses yeux, seule la chance et la bienveillance de certaines personnes lui ont permis de gravir les échelons de la hiérarchie. Cette étudiante, ce père de famille et cette femme d’affaires souffrent du syndrome de l’imposteur.

Celui-ci repose sur 3 piliers. D’une part, l’impression d’être surestimé ou de tromper son entourage. D’autre part, le fait d’attribuer ses réussites à de mauvais facteurs, notamment purement externes tels la chance, le hasard ou une trop grande bienveillance des autres envers soi. Enfin, la peur d’être démasqué et perçu précisément comme un imposteur, alors que, vus de l’extérieur, tous les critères objectifs de compétence, d’intelligence, de reconnaissance et autres témoignent des réelles capacités de l’individu. «Toutes les études, sauf une, montrent que plus on est intelligent ou compétent, plus le risque de développer un syndrome de l’imposteur est élevé», souligne Kevin Chassangre, docteur en psychopathologie, chargé de cours à l’Université de Toulouse et coauteur de Cessez de vous déprécier ! Se libérer du syndrome de l’imposteur (Éditions Dunod(1).

Le syndrome de l’imposteur a été observé dès l’âge de 12 ans mais toucherait essentiellement les jeunes adultes. Chez un même individu se circonscrit-il à un champ bien déterminé – la profession, la famille, les relations affectives… – ou s’étend-il à plusieurs, voire à de multiples domaines ? Selon Kevin Chassangre, plus il sera intense sur un terrain au départ spécifique, plus il est probable qu’il dérivera vers d’autres cibles. D’après certains travaux, 70% des individus douteront un jour de leurs capacités et, partant, de leur légitimité. Faut-il y voir pour autant la main du syndrome de l’imposteur ? Non, car douter ne va pas nécessairement de pair avec une attribution erronée de ses réussites à des facteurs extérieurs, avec le sentiment de tromper les autres et la peur d’être démasqué. Une étude américaine datant de 1989 est la seule à avoir essayé d’évaluer la prévalence du syndrome de l’imposteur: elle la chiffre à 20% de la population. 

 
Honte et culpabilité

Le terme de syndrome de l’imposteur fut proposé pour la première fois en 1978 par Pauline Clance et Suzanne Imes, 2 psychologues de l’Université de Géorgie. Il fallut attendre 1985 pour qu’il soit conceptualisé, ancré par Pauline Clance dans les 3 piliers qu’on lui reconnaît aujourd’hui. Les «imposteurs», si on peut les appeler ainsi, souffriraient d’un biais cognitif d’attribution de leurs réussites et de leurs échecs qui se situerait à l’opposé de celui que l’on rencontre chez les autres individus. En effet, la plupart des gens sont naturellement enclins à s’attribuer la paternité de leurs réussites – ils se perçoivent comme capables, bien organisés, à même de prendre des risques, etc. – et à se décharger de leurs échecs sur des éléments extérieurs – la malchance, la crise économique, des instructions incompréhensibles, une épouse irascible… En revanche, chez l’«imposteur», c’est l’inverse: nous l’avons évoqué, il attribue ses succès, les compliments qu’il reçoit ou d’autres événements gratifiants à des facteurs externes, donc indépendants de soi. La moindre erreur, le moindre échec, la moindre critique sera au contraire directement interprété par le sujet comme inhérent à soi et la preuve de sa faible valeur personnelle.

Les «imposteurs» sont systématiquement dans le doute dès qu’il est question de leurs capacités. «Ce qui les amène à alimenter une réflexion constante dès qu’il s’agit de prendre une décision, une position ou un risque», fait remarquer Kevin Chassangre. Et de préciser: «Les regards positifs que d’autres portent sur eux leur procurent un sentiment de honte et de culpabilité. Ils sont convaincus que les personnes qui les complimentent sont trop gentilles, se sont trompées, n’ont pas pris en considération tous les éléments de la situation ou « n’y connaissent rien ». Mais si le message est négatif, il revêt pour eux tous les attributs de la vérité. Cette façon de fonctionner concourt évidemment à un renforcement du syndrome.»

La littérature scientifique parle donc de syndrome et non de trouble ou de pathologie. «Le syndrome de l’imposteur se fonde sur une constellation de symptômes, mais n’est pas appréhendé comme une maladie, explique Kevin Chassangre. Par contre, ses « comorbidités » peuvent relever de la psychopathologie. Il peut s’agir notamment de troubles anxieux ou dépressifs, du burn-out, de la phobie sociale ou de problèmes d’addiction

Par analogie avec l’anxiété-état, qui se réfère à un état émotionnel lié à une situation particulière à un moment donné, et avec l’anxiété-trait, qui est chevillée à des différences interindividuelles stables dans la propension à l’anxiété, on peut distinguer 2 types de syndrome de l’imposteur: un syndrome-état et un syndrome-trait. Le premier concerne un mal-être circonstanciel, le plus souvent en lien avec le stress et l’anxiété que peuvent engendrer de grandes transitions de vie (par exemple, l’entrée dans le monde du travail), ainsi que des périodes de compétition ou d’évaluation. Il s’agit de moments où le doute peut s’installer avec, pour corollaire, l’émergence de pensées automatiques: Vais-je vraiment y arriver ? Suis-je réellement compétent ? Chez certaines personnes peuvent rapidement s’ensuivre un biais d’attribution et une tendance à se mésestimer. Le syndrome-trait, lui, est beaucoup plus stable dans le temps. «Il se retrouve fréquemment chez les hauts potentiels intellectuels comme une inclination innée à douter de ses capacités, à se déprécier», rapporte Kevin Chassangre.

 
Une image de façade

De peur d’être démasqué, de voir sa médiocrité supposée s’étaler au grand jour, l’«imposteur» déploie régulièrement une stratégie dite de faux self. L’idée est alors de se présenter sous son meilleur jour, de montrer une image de façade pour être accepté, valorisé, reconnu. Étant mise en place de manière assez automatique, donc sans que le sujet en soit nécessairement conscient, cette stratégie ne ressortit pas au mensonge en tant que tel, mais plutôt à la sphère de la protection de soi. Toutefois, le ressac ne se fait pas attendre, car elle conforte l’«imposteur» dans sa conviction que si les autres ont une image positive de lui, c’est parce que cette dernière est le fruit d’une construction de toutes pièces. Il se livre également à un incessant jeu de comparaisons qui le dévalorise. «Selon une étude de Marie-Hélène Chayer et Thérèse Bouffard, de l’Université du Québec, les individus souffrant d’un syndrome de l’imposteur tendent à se comparer à des personnes qu’ils jugent très compétentes et à considérer qu’ils ne seront jamais capables de les égaler. Aussi en viennent-ils à s’identifier à d’autres personnes qu’ils estiment peu compétentes, peu intelligentes, etc.», indique Kevin Chassangre.

Le sentiment de culpabilité tant dans la réussite, perçue comme imméritée par le sujet, que dans l’échec, mais surtout la honte sont très présents chez les «imposteurs». Ceux-ci estiment avoir commis une faute morale. Ils l’enracinent tantôt dans l’idée d’une trahison vis-à-vis de leurs parents, qu’ils auraient notamment dépassés injustement sur le plan du statut social, tantôt dans le fait d’être reconnus, d’occuper une position privilégiée alors qu’ils seraient incompétents, tromperaient tout le monde, auraient pris la place d’un autre qui se serait révélé davantage à la hauteur.

Chez l’«imposteur», l’estime de soi est fortement écornée mais l’acceptation même de soi l’est aussi. L’individu éprouve de l’aversion envers sa propre personne, parfois de la haine. L’estime de soi se base sur 2 notions: la performance et le regard des autres. Au cours d’une vie, ces 2 éléments sont instables, fluctuants. Dans ces conditions, l’estime de soi est elle-même instable, oscille entre 2 pôles extrêmes, l’un positif et l’autre négatif. «Les individus présentant un syndrome de l’imposteur sont des personnes qui, dans un contexte favorable, vont se considérer comme dotées de compétences très élevées mais qui, au moindre revers, vont se juger totalement incompétentes, commente Kevin Chassangre. Ces oscillations extrêmes ont amené les psychothérapeutes à travailler l’acceptation de soi car il est établi que si elle est meilleure, les fluctuations de l’estime de soi s’en trouvent réduites

 
Stratégies d’autosabotage

Aux termes des travaux réalisés en 2001 par l’équipe d’Aysa September, de l’Université d’Ottawa, le bien-être des «imposteurs» serait affecté à 6 niveaux, et ce, abstraction faite de possibles comorbidités telles que les troubles dépressifs, la phobie sociale, le burn-out, etc. Moindre contrôle de son environnement, difficultés d’acceptation inconditionnelle de soi, perte d’autonomie, croissance personnelle contrariée, moins bonnes relations avec autrui, perception plus négative du sens de la vie seraient le lot de l’«imposteur». Comme susmentionné, celui-ci serait en proie non à un trouble psychique au sens clinique du terme, mais à une forme d’anxiété sociale susceptible de donner lieu à des comorbidités. «Le syndrome de l’imposteur n’est pas à l’origine de troubles de la personnalité, souligne par ailleurs Kevin Chassangre. Toutefois, il peut dans certains cas en être une conséquence, Par exemple, une personnalité de type évitant ou dépendant peut en faire le lit.» De même, le perfectionnisme, l’introversion, une hypersensibilité ou le neuroticisme sont de nature à favoriser l’éclosion du syndrome. Ainsi, les traits perfectionnistes exacerbent les exigences que l’individu s’impose, rendant sa quête de légitimité d’autant plus difficile et sa propension à se mésestimer d’autant plus forte.

Pauline Clance a proposé le concept de «cycle de l’imposteur», afin de mettre en exergue le cercle vicieux dans lequel le sujet est enfermé. De quoi s’agit-il ? Face à une tâche d’ordre professionnel, familial, social ou autre, qui sera très vraisemblablement évaluée par autrui, l’«imposteur» éprouve une intense anxiété de performance en lien avec la peur de l’échec, mais aussi la peur de la réussite. En effet, cette dernière, rappelons-le, ne pourra résulter à ses yeux que d’un facteur extérieur comme la chance ou des circonstances favorables.

De peur d’être démasqué, de voir sa médiocrité supposée s’étaler au grand jour, l’«imposteur» déploie régulièrement une stratégie dite de faux self. L’idée est alors de se présenter sous son meilleur jour, de montrer une image de façade pour être accepté, valorisé, reconnu

En réponse à cette situation, l’«imposteur» adoptera une des 2 stratégies suivantes: le travail acharné, pour combattre l’anxiété inhérente à la tâche, ou la procrastination, afin de la repousser. «Il s’agit de 2 stratégies d’autosabotage», insiste Kevin Chassangre. Et de poursuivre: «Quelle que soit la stratégie retenue, le succès dans la tâche à accomplir sera généralement au rendez-vous, car le sujet est compétent dans ce qu’il fait. Selon les cas, il fournira un excellent travail, apparaîtra comme un père ou une mère irréprochable ou encore comme un ami ou une amie sur qui l’on peut s’appuyer. Le problème est qu’ensuite il sera rattrapé par le processus d’attribution erronée caractéristique du syndrome.» Autrement dit, lorsqu’il aura travaillé de manière frénétique, il en déduira que s’il a dû fournir tant d’efforts, c’est qu’à la base, il n’était pas aussi compétent ou capable que ne le laissent supposer les appréciations extérieures. Et lorsqu’il aura procrastiné, il mettra son succès sur le compte de la chance.

En outre, la procrastination accroît le risque d’échec ou de succès mitigé. Deux occurrences qui rendraient l’«imposteur» insatisfait du résultat obtenu, tout en validant sa peur initiale devant la tâche à mener à bien. Cette situation entretiendrait le processus de dévalorisation dans lequel il est engagé. De surcroît, on peut se demander si dans certains cas, la procrastination n’a pas pour but inconscient de provoquer un échec qui corroborerait aux yeux du sujet la mauvaise image qu’il a de lui-même.

  

Lever le masque

Bien qu’il touche majoritairement de jeunes adultes, le syndrome de l’imposteur peut se manifester à tous les âges. Est-il susceptible de s’éteindre naturellement ? Pour la psychologue américaine Valérie Young, on ne s’en débarrasse jamais, on apprend à vivre avec et à faire en sorte qu’il entraîne le moins de souffrance possible. Une étude conduite en 2007 par Rory McElwee et Tricia Yurak, de la Rowan University aux États-Unis, y relevait même des aspects positifs pour autant qu’il soit «bien maîtrisé»: il favoriserait l’humilité et la modestie ainsi qu’un plus grand investissement personnel.

On estime que le biais cognitif d’attribution sous-tendant les automatismes de pensée typiques du syndrome de l’imposteur se serait forgé durant l’enfance. Ce qui fut initialement mis en exergue par les observations cliniques des professeures Clance et Imes. Par la suite, plusieurs études ont cherché à identifier quels étaient les schémas de fonctionnement familial susceptibles d’influencer l’émergence du syndrome. Ils seraient au nombre de 4. Et seraient porteurs de messages déstabilisants ou mal interprétés qui conduiraient progressivement l’enfant à se bâtir une représentation inexacte de ses compétences.

 
Dans le premier schéma, l’enfant ne bénéficie d’aucun renforcement positif. Par exemple, il obtient d’excellents résultats scolaires, mais ses parents ne le félicitent jamais. «N’étant pas valorisé sur ses compétences ou son intelligence, il éprouvera des difficultés à intégrer une image réaliste de sa valeur réelle et à expliquer ses réussites en les attribuant à ses qualités propres», commente Kevin Chassangre. Le schéma inverse, celui où l’enfant est survalorisé, est délétère lui aussi. «D’une certaine façon, explique le psychologue, l’enfant va intérioriser l’idée qu’il doit toujours réussir parfaitement et d’autre part, que c’est ainsi qu’il sera aimé. Mais quand survient l’échec se développe chez lui la croyance que tout le monde le surestimait

Troisième schéma: l’enfant est régulièrement confronté à des avis divergents sur ses compétences. Par exemple, quand l’appréciation de ses parents, qui le jugent médiocre dans un domaine, est en décalage, voire aux antipodes par rapport à celle de ses enseignants, beaucoup plus positive. Où se situer ? «Dans un tel cas, l’enfant risque de cautionner l’opinion de ses parents, qui sont ses modèles, ou, si c’est dans sa nature, d’être plus réceptif aux messages négatifs», dit Kevin Chassangre. Des comparaisons défavorables avec l’un ou plusieurs membres de sa fratrie peuvent également aboutir à une propension à la dévalorisation de soi. Enfin, lorsque l’enfant est doté de compétences atypiques, comme chez les hauts potentiels intellectuels, la différence objective qui le caractérise est quelquefois mal perçue par ses parents, de sorte que, ayant intégré qu’elle était néfaste à ses liens affectifs, il renoncera à son self authentique. Dans ce quatrième schéma, il adoptera un faux self afin de se conformer aux attentes et tendra ainsi à se mésestimer.

Il arrive que l’«imposteur» parvienne lui-même à atténuer le syndrome qui l’affecte et à l’accepter. Dans le cas contraire, les thérapies cognitivocomportementales peuvent lui venir en aide. «Aucun protocole n’a encore été défini mais, se basant sur les acquis scientifiques, le travail du thérapeute portera entre autres sur la peur de l’échec, la peur de la réussite et la culpabilité, dit Kevin Chassangre. Il s’agit aussi de mettre en place des méthodes plus adaptées pour éviter le travail frénétique ou la procrastination. Il faudra améliorer la gestion du stress et de l’anxiété et instaurer un meilleur processus d’attribution, notamment en s’interrogeant sur les causes concrètes d’une réussite. Renforcer l’affirmation de soi et apprendre au sujet à lever le masque, à être plus authentique sera également nécessaire, comme se pencher sur la notion de perfectionnisme en évitant la pensée dichotomique du tout ou rien.» Et de conclure: «L’idée générale est d’amener de la flexibilité psychologique et un répertoire comportemental plus large. Le noyau de l’accompagnement est l’acceptation inconditionnelle de soi: ne plus dépendre de sa performance pour se définir comme individu de valeur afin d’intérioriser un sentiment de valeur intrinsèque sans condition

Parfois cependant, le traitement d’éventuelles comorbidités (phobie sociale, symptômes dépressifs…) constituera un préalable.

(1) Kevin Chassangre et Stacey Callahan, Cessez de vous déprécier ! Se libérer du syndrome de l’imposteur, Éditions Dunod, nouvelle édition, 2021.

Share This