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LE TUEUR DU ZODIAC !

©ZUMAPRESS.com

Pour cette dernière chronique de l’année, je vous propose de plonger dans une sombre histoire. Nous sommes en Californie en 1969. Un dingue exécute froidement des victimes. Sans aucun mobile. Juste pour le plaisir de tuer. Sa signature ? Des cryptogrammes dans lesquels il annonce dévoiler son identité !

  

 

Cinquante ans après les faits, on sait finalement très peu de choses de cet ignoble tueur en série, qui avait l’étrange habitude de correspondre avec la police par lettres. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu son surnom de «tueur du Zodiac» puisque c’est ainsi qu’il signait. Ces meurtres étaient un défi qu’il lançait à la police. Une partie d’échecs. Le 1er août 1969, le Zodiac envoie 3 lettres différentes à 3 journaux de la région en revendiquant un double homicide. Mais le plus énigmatique, c’est que chacune de ces lettres contient le tiers d’un cryptogramme. Quand on rassemble les 3 morceaux, on découvre un message secret de 408 symboles. Un document baptisé Z408 pour cette raison. Les consignes du Zodiac sont simples mais strictes: il exige la publication des cryptogrammes en Une des journaux, sans quoi il exécutera 12 personnes au hasard le week-end suivant. Un défi qu’il lance donc à la police mais aussi à toute la population. Qui parviendrait à déchiffrer son code ?

Les 3 tiers de cryptogrammes constituant le Z408

 
Des amateurs à la rescousse

Chacun des cryptogrammes reçus par les journaux possède 136 caractères uniformément disposés en 17 colonnes de 8 lignes. Inutile de vous préciser que la police de San Francisco prend l’affaire très au sérieux et requiert les services des meilleurs cryptologues. Mais le travail est fastidieux car aucune piste n’est écartée et les possibilités sont invraisemblables. Après une semaine de recherche très intense, le FBI est toujours au point mort. Heureusement, le vendredi 8 août, l’appel d’un professeur – tout à fait banal si vous me permettez l’expression – sauvera l’honneur du pays. Avec son épouse Bettye, institutrice, ils ont décidé de s’attaquer au code découvert dans les journaux du dimanche. En seulement 20 h de travail, 2 illustres inconnus venaient de réussir l’impossible.

Bien sûr, Donald et Bettye avaient une grande passion pour les codes secrets. C’était leur hobby. Donald a d’abord supposé que le message était un chiffrement de substitution, c’est-à-dire un code où chaque lettre du message est remplacée par une autre lettre. Tous les «A» deviennent par exemple des «K», tous les «B» des «R» etc… En principe, ce genre de code est assez facile à casser grâce à l’analyse fréquentielle: une méthode inventée par Al-Kindi, un grand philosophe arabe du 9e siècle, mathématicien à ses heures perdues. Un polymathe comme j’ai l’habitude de dire. L’idée générale est que dans une langue, toutes les lettres n’ont pas la même fréquence d’apparition. En français, cela ne vous étonnera pas d’apprendre que la lettre la plus répandue est le «E» suivie du «A», du «I», du «S», du «T»… Et donc, face à un code de substitution en français, il suffit de regarder les symboles qui apparaissent le plus souvent. Fort probable qu’un de ces symboles équivaut à la lettre «E». Combiné aux digrammes (un Q est presque toujours suivi d’un U, un L est le plus souvent suivi d’un E, d’un A ou d’un autre L), un petit logiciel de simulation parvient rapidement à décoder n’importe quel message de ce type.

 
Un code de substitution … amélioré !

Mais alors, pourquoi le FBI ne parvenait-il pas à casser le code du Zodiac ? C’est qu’en fait, le code de substitution utilisé était un peu plus vicieux que la normale. D’habitude, on emploie seulement 26 symboles différents correspondant aux 26 lettres de l’alphabet. Mais pour compliquer les choses, le redoutable tueur du Zodiac utilisait 54 symboles. Autrement dit, à une même lettre correspondait plusieurs symboles. C’est ce qu’on appelle un chiffrement de substitution homophonique: l’auteur du message codé s’offre plusieurs choix possibles, au gré de ses envies. L’ennui, c’est que dans ce cas, tous les indices de fréquence sont supprimés. Heureusement, il y a bien sûr un moyen d’attaquer le code en utilisant la technique du mot probable, c’est-à-dire en essayant de deviner un mot qui devrait être présent dans le message codé. C’est d’ailleurs une technique qui a été utilisée pour décrypter ENIGMA durant la seconde guerre mondiale puisque dans chacun des messages allemands, il y avait un bulletin météo et souvent, la signature Heil Hitler. Bettye a donc essayé de rentrer dans la peau du tueur. Que pourrait-il avoir envie de dire ? Au vu de son ego démesuré, elle a commencé par supposer que le message commençait certainement par «JE» soit «I» en anglais. Et puis, sûr qu’il devait y avoir le mot «tuer» ou «tueur» quelque part. Bettye a raconté dans les interviews qui ont suivi que le déchiffrement n’avait été qu’une succession de suppositions et d’essais-erreurs. Tout ce qu’elle aime dans les codes secrets. «Si ça n’avait pas eu lieu dans un contexte aussi effroyable, cela aurait même pu être amusant», dira-t-elle.

Les intuitions de Bettye se révèlent payantes puisque la première phrase du Z408 est bien «I like killing». Malheureusement, le message décrypté ne donne aucun indice réel sur l’identité du Zodiac. Bien au contraire, on peut y lire «Je ne donnerai pas mon nom car vous essayeriez de ralentir ou de stopper ma récolte d’esclaves pour mon au-delà». Pour le Zodiac, ses victimes deviennent en effet des esclaves qui travailleront pour lui au paradis. Un vrai détraqué !

Le message Z340 déchiffré en décembre 2020

 
Le Z340 décrypté par un Belge !

Au total, le Zodiac enverra 4 cryptogrammes. Le premier, le Z408, fut envoyé le 1er août 1969 et décrypté en moins d’une semaine. Le deuxième – le Z340 pour ses 340 caractères – sera envoyé 3 mois plus tard, en novembre 1969. Suivront un an plus tard, le Z13 et le Z32. Malgré tous les efforts déployés, ces 3 cryptogrammes resteront un mystère… jusqu’à aujourd’hui ! Depuis quelques mois, des événements incroyables sont en train de se dérouler. En décembre 2020, un trio formé d’un informaticien américain, d’un mathématicien australien et d’un programmeur amateur belge (cocoricooo !) annoncent avoir cassé le fameux Z340. Un déchiffrement validé par le FBI lui-même !

Mais pourquoi aura-t-il fallu plus de 50 ans pour décrypter le Z340 ? C’est que cette fois, sans doute vexé de la facilité avec laquelle son premier message avait été décrypté, le Zodiac avait corsé l’affaire en ajoutant un code de transposition, c’est-à-dire que même décrypté, le message ne signifie rien si on le lit lettre après lettre. En fait, après avoir trouvé les bonnes substitutions (ce qui n’est déjà pas une mince affaire), il fallait séparer le Z340 en 3 blocs – 2 blocs de 9 lignes et un autre de 2 lignes – et se déplacer dans chaque bloc à la façon… d’un cavalier: avancer de 2 cases et descendre d’une case ! Malheureusement, dans ce deuxième cryptogramme, le sinistre Zodiac n’énonçait une fois de plus que des banalités morbides. Encore un délire mystique autour de ses esclaves qui travailleront pour lui au paradis. 

 
Lawrence Kaye ?

Évidemment, David Oranchak et ses 2 comparses ont bien essayé de s’attaquer ensuite aux 2 derniers cryptogrammes mais sans succès. Il faut dire que le Z13 et le Z32 sont beaucoup plus courts que les précédents. Or, plus un message codé est court, moins vous avez d’indices pour le décrypter. Mais comme souvent, le travail des uns en inspire d’autres. En décembre, Fayçal Ziraoui, un jeune polytechnicien marocain habitant Paris, découvre toute l’histoire. Comme tant d’autres, il est complètement hypnotisé par l’affaire et se plonge corps et âme dans toutes les archives disponibles. En février dernier, Fayçal contacte le journal Le Point pour des révélations très importantes à propos du tueur du Zodiac.

D’après lui, le Z13 indique que Zodiac est… Lawrence Kaye. Un nom qui figure bien dans la liste des suspects établie par le FBI. Mais les suspects sont tellement nombreux ! Et si certains chercheurs ont reconnu le caractère plausible du décryptage proposé par Fayçal Ziraoui, d’autres sont beaucoup plus critiques. En 50 ans, des centaines d’interprétations ont déjà été données. Fort à parier qu’à cause de leur trop courte taille, à moins de langues qui se délient, le Z13 et le Z32 resteront des mystères pour l’éternité…

 

Pour en savoir plus, on ne peut que vous conseiller l’excellent livre «Zodiac» de Robert Graysmith (Les éditions du Rocher) …

… ainsi que le film «Zodiac» de David Fincher.

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