Physique

La Terre refroidit…

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net

©3D motion – stock.adobe.com, www.encyclopedie-environnement.org

Et plus rapidement que prévu ! Précisons d’emblée que le titre de cet article n’a rien à voir avec le très réel problème du réchauffement climatique et de ­l’accroissement de la température moyenne dite ­parfois abusivement «de la Terre». Dans le cas du climat, la température moyenne est établie à partir de relevés effectués à un mètre au-dessus du sol et à un mètre sous la surface des océans. En revanche, le ­refroidissement dont il est question ici est bien ­celui «de la Terre», la planète entière depuis le noyau jusqu’à sa croûte externe.

 

Pour qu’un corps refroidisse, il faut évidemment qu’il soit chaud et que cette ­chaleur se dissipe. Or dans le cas de la Terre, ­apprécier sa ­chaleur et son évolution n’est pas simple: l’être humain va loin dans l’espace, ­descend à des profondeurs marines abyssales… Mais peine à ­s’enfoncer dans le sol de sa ­planète pour y réaliser des observations et mesures directes: au bout de 10 ans de forage, une équipe russe a atteint la profondeur record de 12 km, avant de devoir abandonner. Or la seule croûte ­terrestre continentale a une profondeur moyenne de 30 km ! Malgré ces ­difficultés, la physique de la Terre est mieux connue grâce au développement de méthodes indirectes comme l’analyse d’ondes ou particules qui la ­traversent et la simulation en laboratoire.

Ce qu’on sait depuis longtemps, c’est que la ­chaleur augmente avec la profondeur ­(l’enfer est d’ailleurs souvent situé au centre de la terre !). D’où provient cette chaleur/énergie ? Ce qui vient sans doute d’abord à l’esprit, c’est la radio­activité ­naturelle de notre planète. Des ­éléments ­instables et abondants comme certains ­isotopes de ­l’uranium, du thorium et du potassium dégagent de l’énergie, de la chaleur, en se désintégrant. Grâce à des modèles de formation de la Terre, cette production a été estimée à 21 TW (en térawatt, soit 21.1012 watts – à titre de ­comparaison, notre haute atmosphère reçoit 174.1015 watts ou 174 000 TW du soleil). Un peu d’énergie est aussi émise par le phénomène de cristallisation de la graine (centre de la Terre) ou encore par les marées terrestres (à l’intérieur de la Terre). Tout ceci n’explique cependant pas les 46 TW totaux estimés comme chaleur perdue par la Terre.

Mais l’autre grande source de chaleur est tout simplement le refroidissement dit séculaire. La Terre s’est en effet formée (il y a environ 4,5 milliards d’années) par accrétion de corps en orbite autour du soleil lui aussi en formation. Ces corps se sont précipités les uns sur les autres à grande vitesse, donc avec une énergie cinétique importante, transformée en chaleur. À cela s’ajoute une source provenant de la radioactivité d’éléments à courte période comme des isotopes de l’aluminium et du fer, ­disparus aujourd’hui. Tout cela a fait de notre planète une sorte de boule fondue. Lorsque l’accrétion et la radioactivité de courte période ont été terminées, la planète a alors pu commencer son refroidissement qui se serait déroulé en 2 phases. La première a été rapide: la chaleur s’est propagée par convection à ­travers les roches en fusion. Mais au fur et à mesure que le manteau (voir le schéma ci-dessus) a cristallisé, la chaleur s’est évacuée beaucoup plus lentement. C’est cette phase qui dure encore aujourd’hui. Mais à quel rythme ?

Dissipation de la chaleur

Pour tenter de le comprendre, voyons comment la Terre perd sa chaleur. Par les volcans bien sûr; mais si cela nous semble important (1 TW de puissance dégagée soit autant que 1 000 réacteurs nucléaires type Tihange), c’est peu en comparaison des 46 TW cités plus haut. Les séismes ne font guère mieux, environ 1 TW également malgré les dégâts qu’ils causent. Et les 44 TW restants ? C’est un flux ­régulier à travers toute la surface terrestre, qu’on appelle le flux géothermique. Celui-là même qu’on essaie de capter en tant qu’énergie renouvelable et durable. De quoi, a priori, satisfaire nos besoins puisque ­l’humanité produit et consomme environ 15 TW d’énergie. Sauf que… l’essentiel (2/3) de la chaleur terrestre est ­évacué par les océans (surtout via les dorsales ­océaniques) et un tiers seulement par les continents, de quoi fracasser quelque peu le rêve d’une autonomie géothermique !  Mais comment ce flux s’échappe-t-il ? Quelques notions de convection sont à rappeler.

On peut assimiler la Terre à un système chaud en bas (noyau et graine) et froid en haut ­(manteau et croûte). Dans ce cas, la physique nous indique qu’il y a 2 types de transfert de chaleur ­possibles: par convection (ce sont des mouvements macrosco­piques de matière qui transfèrent la chaleur) et conduction (la chaleur se transmet par les vibrations des atomes sans mouvement macroscopique de matière). Le premier cas est celui d’une eau chauffée dans une casserole, le second d’une brique sur une plaque chauffante. La différence entre les 2 se marque aussi dans le fait que dans un cas, la matière chauffée est déformable et pas dans l’autre. Passer d’un mode de transfert ­énergétique à l’autre dépend de ­plusieurs paramètres condensés en un nombre, le nombre de Rayleigh. Est-ce à dire que dans un solide, par exemple, c’est toujours la conduction qui est à l’œuvre ? Non parce qu’un solide peut aussi se déformer, même de manière très lente. C’est le cas de la glace: on en veut pour preuve les glaciers qui s’écoulent et se déforment. C’est aussi le cas du manteau ­terrestre même s’il est solide. Le calcul du nombre de Rayleigh montre que le manteau est lui aussi affecté de ­mouvements de ­convection. Et ce sont eux qui seraient ­responsables de ­l’essentiel de la libération de la chaleur terrestre. Notons enfin que le refroidissement n’engendre pas seulement le volcanisme et les mouvements de convection mais aussi la ­tectonique des plaques, c’est-à-dire le déplacement des continents sur le manteau solide (et non sur le magma comme on le dit encore trop souvent) qui est justement due aux mouvements convectifs dans le manteau. Cela va-t-il durer longtemps ? 

Pour le savoir, des chercheurs de l’École Polytechnique fédérale de Zürich se sont ­intéressés (1) aux roches en jeu là où se déroulent les phénomènes de convection mantellique, où la roche ­visqueuse du manteau terrestre est en contact direct avec la fonte chaude fer-nickel du noyau externe de la planète. Cette roche est de la ­bridgmanite. Les chercheurs ont étudié la conductivité thermique de ce minéral en reconstituant en laboratoire les conditions de pression et de ­chaleur qui règnent à cet endroit de notre planète. Résultats ? Cette conductivité est 1,5 fois plus ­élevée que prévue. Ce qui donne à penser que le flux de chaleur du noyau vers le manteau est aussi plus important que prévu. La convection du ­manteau accélère donc aussi et la Terre se ­refroidit plus vite. Avec quelles conséquences ­possibles ? Comme on l’a vu, cela aura sans doute un effet (ralentissement) sur les phénomènes induits comme la tectonique des plaques et le volcanisme. La Terre risque donc de se figer (comme Mars l’est) plus vite que prévu. Mais qu’on se ­rassure, on parle ici d’une échelle de temps en ­centaines de millions d’années.

(1) Radiative ­thermal conductivity of single-crystal bridgmanite at the core-mantle boundary with implications for thermal evolution of the Earth. Earth and Planetary Science Letters, Volume 578, 15 January 2022.

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