Espace

Quoi de neuf dans l’espace ?

Théo PIRARD  •  theopirard@yahoo.fr

INVAP

Le 8 octobre dernier, une fusée Falcon 9 de SpaceX mettait le Saocom-1A (1,6 t) argentin sur orbite polaire (660 km). Sa particularité est d’être le 1er de 2 satellites d’observation radar en bande L (1,5 GHz) pour le système Saocom de l’agence spatiale argentine. Réalisé par la société Invap, la Conae (Comision Nacional de Actividades Espaciales) a fait appel au Csl (Centre Spatial de Liège) pour sa mise en œuvre et le traitement complexe de ses données radar

Dernières vérifications sur le satellite Saocom 1A avant son transfert aux États-Unis pour son lancement.

Ainsi le Groupe SAR (Synthetic Aperture Radar), alias le Laboratoire de Traitement du Signal du Csl, se trouvait impliqué dans le traitement complexe des données radar du système Saocom. Le premier satellite, qui vient d’être placé en orbite polaire (héliosynchrone) à 660 km, sera rejoint par Saocom-1B en 2020. Anne Orban, responsable du Groupe SAR, et Christian Barbier, chef du projet Saocom au Csl, nous ont précisé l’importance pour le spatial belge de cette expertise liégeoise au service des Argentins. Cette coopération constitue une belle référence dans le cadre des activités de télédétection à l’Esa (European Space Agency) et pour la Commission européenne (programme Copernicus).

Comment expliquer que le Csl soit devenu partenaire de
l’Argentine pour son système Saocom ?

Christian Barbier (chef du projet Saocom au Csl): Le Groupe SAR a vu le jour en 1989 à la faveur de travaux de
recherche pour des projets de l’Esa. Nous avons fait œuvre de pionniers pour l’imagerie radar, en matière de synthèse d’ouverture et d’interférométrie dans le domaine de la topographie 3D. On a acquis un savoir-faire dans le développement d’algorithmes qui permettent de convertir les données radar en images exploitables pour les utilisateurs des  observations. En l’an 2000, nous obtenions la consécration internationale grâce à l’accord bilatéral belgo-argentin qui faisait du Csl le prestataire de services en Belgique pour la Conae, grâce à un financement de Belspo (Politique scientifique fédérale). Nous avions à fournir une boîte à outils avec les fonctionnalités suivantes: la synthèse d’ouverture, l’interférométrie, la polarimétrie, le géocodage. Nous illustrons la dimension pluridisciplinaire du Csl, démontrant qu’il y a nombre de compétences au-delà de l’instrumentation spatiale et des essais sous vide.

En quoi les satellites Saocom, dont la préparation a pris plus de temps que prévu, sont-ils d’un intérêt crucial pour Buenos Aires ?

Christian Barbier: Le radar
imageur Saocom, qui fonctionne en coordination avec un important réseau de capteurs au sol, constitue un système clé pour la gestion de l’environnement agricole et géologique sur le vaste territoire argentin. Ses mesures en bande L permettent de cartographier le taux d’humidité des terres, d’établir le point de saturation en eau des sols, de contrôler l’irrigation et la fertilisation des cultures. Leur traitement régulier aide à gérer les risques d’inondation et les glissements de terrain.

Anne Orban (Responsable du Laboratoire de traitement du signal SAR – Synthetic Aperture Radar –  du Csl): Notre
collaboration avec l’Argentine est d’avoir une suite aux côtés de l’Italie, qui a mis ses satellites radar Cosmo-SkyMed en bande X à la disposition de la Conae. Elle nous a permis d’acquérir une expérience bien utile pour mener à bien les campagnes aéroportées BelSAR, financées par l’Esa et soutenues par Belspo. Ces campagnes ont testé 2 radars en bande L à bord de 2 avions volant en formation. Elles ont permis d’établir des relevés hygrométriques et phénologiques sur des parcelles agricoles.

Quel avenir pour le Groupe SAR
dans l’espace ?

Anne Orban: Notre savoir-faire est déjà mis à disposition de groupes de chercheurs dans les Universités de Liège (à Gembloux pour l’agronomie, à  Arlon pour la gestion des forêts), de Louvain (écologie), de Gand (hydrologie), de Bruxelles (glaciologie), à l’École Royale Militaire… Nous entendons bien ­rester un pôle d’excellence grâce aux observations des satellites Saocom pour les mettre à disposition d’utilisateurs en Europe et au Congo au travers du développement de nouvelles applications.

Mais encore…  

Tandem Europe-Japon vers
Mercure.

Le 20 octobre, la 101e
Ariane 5 a servi à envoyer, autour du Soleil, la sonde BepiColombo
pour Airbus Defence & Space. Elle comprend Mpo (Mercury
Planetary Orbiter)
de l’Esa et 
Mmo (Mercury Magnetospheric Orbiter) de la Jaxa (Japan
Aerospace Exploration Agency)
, tous deux placés sur un module européen de
transfert à propulsion chimique/électrique qui les satellisera autour de
Mercure en décembre 2025.  Le duo, conçu
pour résister aux températures élevées près de notre étoile, atteindra sa
destination après avoir effectué des survols de la Terre, de Vénus et de
Mercure, qui lui permettront d’accroître sa vitesse. Il évoluera en orbite mercurienne
pour une mission scientifique qui pourrait durer 2 ans. Jusqu’ici ce sont
2 sondes de la Nasa qui ont visité la planète la plus proche du
Soleil: Mariner-10 dans les années 70, puis Messenger (Mercury
Surface Space Environment, Geochemistry & Ranging)
de 2011 à
2015.

30 bougies pour Deltatec et Spacebel.

Ces 2 PMEs liégeoises, qui ont le vent en poupe pour les systèmes spatiaux, viennent de fêter 3 décennies d’activités de pointe au service de l’Europe dans l’espace.

Deltatec s’est spécialisée dans les composants électroniques de pointe, sur mesure, pour la technologie de l’image. Depuis 2005, elle a développé une expertise pour les équipements optiques et le traitement des données à bord des satellites. Misant sur une volonté d’innover, elle emploie 68 personnes pour un chiffre d’affaires d’environ 10 millions d’euros.

Spacebel, l’informaticien spatial wallon, a des implantations à Liège, Hoeilaert, Toulouse et Varsovie. Il s’est spécialisé dans l’ingénierie de logiciels performants pour le secteur spatial (notamment les petits satellites) et pour les systèmes d’information géographique (observation de la Terre).  Il compte une centaine d’emplois pour des réalisations et services qui génèrent plus de 10 millions d’euros.

L’Iss (International Space Station) en panne de Soyouz

Le plus ancien de
lanceurs spatiaux – sa conception remonte aux années 50 ! – a
fait faux bond le 11 octobre pour une mission habitée vers la station
spatiale. Cette fusée, réputée très fiable, a connu une défaillance avec l’un
des 4 propulseurs d’appoint qui, lors de sa séparation, est venu heurter
l’étage central. L’équipage, qui comprend le cosmonaute Alexeï Ovtchinine et
l’astronaute Nick Hague, a dû subir la procédure d’évacuation en urgence du
vaisseau Soyouz MS-10. Ce dramatique lancement met en évidence la
trop grande dépendance à la technologie russe pour les missions habitées dans
l’Iss. La Nasa a décidé de faire confiance à l’initiative privée
pour disposer de ­vaisseaux habités qui lui fourniront un accès autonome à la
­station: ce sont le Crew Dragon de SpaceX et le Cst (Crew
Space Transportation) Starliner
de Boeing. Ils sont fort attendus,
surtout que leur développement a été plus lent que prévu à cause des
contraintes de sécurité: les 2 capsules réutilisables ne voleront avec des
équipages que durant 2019.

Cap sur Mercure pour BepiColombo ! (Doc. ESA)

Deltatec et Spacebel: à bord de l’observatoire solaire Proba-2. (Photo ESA) 

Vue récente de la station spatiale internationale, au-dessus de nos têtes. (Photo Roscosmos)


Pollutions au dioxyde d’azote sur l’Europe occidentale, observées par le satellite de télédétection Sentinel-5P

Satellites: mobilisation pour la vie sur notre Terre 

ESA/Copernicus

Ces dernières semaines, plusieurs rapports d’organismes internationaux ont dressé un constat inquiétant sur la dégradation, qui ne cesse de s’accentuer, des conditions de vie sur notre planète. La terre, c’est notre vaisseau spatial qui parait unique dans l’univers


Plus de 7,66 milliards de personnes habitent un environnement naturel qui est le seul berceau connu à ce jour d’une espèce intelligente. La population humaine ne cesse de croître. Avec, partout sur le globe, une démocratisation de besoins à assouvir liés aux appétits d’une société de consommation. La demande en hausse constante, voire démesurée, de biens et services met à mal l’offre des ressources, de l’énergie, de la biodiversité. L’humanité, soumise à des contraintes de ­profit immédiat, exige de plus en plus des capacités que la nature est en mesure de lui proposer à l’échelle globale.

La surveillance depuis l’espace de l’atmosphère, de la végétation, des terres, mers et glaces, tous éléments qui conditionnent notre existence, est d’une impérieuse nécessité. Les satellites, dotés de détecteurs précis et performants, peuvent fournir une vue d’ensemble, une vision en continu du changement atmosphérique, du réchauffement climatique, des perturbations du milieu marin, de la dégradation des sols, de la réduction de la biodiversité… Le traitement quasi instantané, grâce à l’intelligence artificielle, des données des observatoires sur orbite doit tenir en éveil, pour des mesures rapides à prendre, les ­instances tant politiques qu’économiques au niveau mondial. L’objectif est non seulement de déterminer rapidement les signaux d’alerte pour la sauvegarde d’une planète viable, mais surtout de localiser les responsables des pollutions et de stopper des agissements qui mettent à mal les conditions de vie terrestre. Notre survie à long terme est bel et bien à ce prix.

Stop à la mobilité
polluante

La concertation internationale prend conscience des effets néfastes des gaz à effet de serre (gaz carbonique, dioxyde d’azote, méthane considérés comme les plus nocifs). Ce phénomène, grand drame de ce 21e siècle, s’explique par l’exploitation effrénée des ressources en combustibles fossiles (charbon, gaz, pétrole), par une économie débridée qui malmène le couvert végétal et la protection de la nature. Le GIEC (Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Évolution du Climat), pour son 30e anniversaire, vient de publier un rapport spécial sur les impacts d’un réchauffement climatique à 1,5 °C, dû aux activités humaines. Ce document de 400 pages était établi à la demande de la COP 21, qui a donné lieu en décembre 2015 à l’Accord international de Paris pour que le réchauffement puisse se maintenir sous la barre des 2 °C. Mais nos excès d’émissions en dioxyde de carbone pourront-ils être enrayés pour que notre atmosphère reste respirable ?

De son côté, sur base de nouvelles données acquises par le satellite Sentinel-5P (Precursor) du système européen Copernicus, Greenpeace Belgique a fait état de cette réalité inquiétante: notre pays étouffe… En cause, le dioxyde d’azote dont est responsable un important parc de véhicules concentrés sur un réseau routier très dense. La pollution atmosphérique s’explique par l’excessive mobilité liée à notre mode de vie. La circulation automobile, avec des camions de plus en plus nombreux et lourds, le transport aérien avec une multiplication de compagnies à bas coût, le trafic maritime avec la démesure des porte-conteneurs et des navires de croisière… Du reste, les industries et services des secteurs automobile, aéronautique et naval, qui génèrent beaucoup d’emplois et de profits, ne se sont jamais aussi bien portés. Doit-on laisser faire au point de nuire de façon irrémédiable à l’environnement ?

Sentinel-5P: derniers préparatifs pour son lancement à partir du cosmodrome russe de Plesetsk. (Photo ESA)

L’Europe des pollutions surveillée en continu par Sentinel-5P (système Copernicus).  (Doc ESA)

UNE BELGIQUE PIONNIÈRE

Créé en novembre 1964 sur le plateau d’Uccle, l’Institut d’Aéronomie Spatiale de Belgique (Iasb) constitue un point de référence incontournable au niveau international pour l’étude des propriétés physiques et chimiques de l’atmosphère. Le 1er astronaute belge, Dirk Frimout, y était chercheur: sélectionné par la Nasa, il faisait partie de l’équipage de la mission Atlas-1 qui se déroula du 24 mars au 2 avril 1992, avec plusieurs instruments belges à bord de la navette Atlantis. Ce vol précurseur a démontré l’intérêt des détecteurs dans l’espace pour un diagnostic permanent de la santé de cette pellicule d’air qui permet la vie terrestre.

Les spécialistes de l’Iasb jouent un rôle clé dans l’exploitation du satellite Sentinel-5P: ils procèdent au traitement des observations faites par l’instrument Tropomi sur les polluants atmosphériques. L’Institut, fort de compétences basées sur plus d’un demi-siècle de recherches, est en train de préparer ses propres observatoires spatiaux. Le nano-satellite Picasso de 4 kg est en préparation pour un lancement attendu en 2019. Il sera suivi en 2021 par le micro-satellite Altius de 130 kg avec la plateforme Proba «made in Belgium».

Une Europe spatiale
sensibilisée

Avec son satellite technologique Envisat, qui emportait plusieurs instruments (spectromètres, radiomètres, interféromètre) pour l’analyse de l’atmosphère, l’Esa
a contribué à la mise en évidence d’une atmosphère en danger. La Commission européenne, en collaboration avec celle-ci, lui a donné une suite opérationnelle en finançant les satellites d’observation Sentinel du système Copernicus, dont les données sont libres d’accès pour le monde entier. Le Sentinel-5P, satellisé le 13 octobre 2017, est équipé du spectromètre imageur Tropomi (Tropospheric Monitoring Instrument), qui mesure la quantité de gaz et aérosols dans  l’atmosphère.

C’est le Japon qui a mis en service le 1er observatoire des gaz à effet de serre: la Jaxa (Japan Aerospace Exploration Agency) lançait Gosat-1 (Greenhouse Gases
Observing Satellite-1),
alias Ibuki-1, de 1 750 kg, le 23 janvier 2009. Il vient d’être rejoint par Gosat-2 plus performant, mis en orbite le 29 octobre dernier. La Nasa exploite Oco-2 (Orbiting Carbon Observatory-2) de 454 kg, qui est autour de la Terre à quelque 700 km depuis le 2 juillet 2014. Ces 3 spectromètres à haute résolution effectuent des mesures simultanées de l’absorption de la lumière solaire par le dioxyde de carbone et l’oxygène moléculaire dans le proche infrarouge. Sous le nom d’Oco-3, son instrument de rechange a été adapté pour prendre place sur la plateforme du module japonais de l’Iss au 1er trimestre 2019. Par ailleurs, la Nasa prévoit GeoCarb (Geostationary Carbon Observatory) pour 2022, qui équipera un satellite de télécommunications de l’opérateur luxembourgeois SES pour mesurer les concentrations de gaz carbonique sur les Amériques.

   
    

La Chine spatiale s’implique dans la cartographie globale du gaz carbonique avec son satellite Tansat/Carbonsat sur orbite depuis décembre 2016. La France, qui fut l’hôte de la Conférence COP 21, entend s’investir avec le CNES (Centre National d’Études Spatiales) dans le suivi des gaz qui polluent l’atmosphère, via son ambitieux programme Space Climate Observatory. Pour 2021, elle a planifié les lancements de 2 observatoires: le micro-satellite MicroCarb pour déterminer les sources et variations du dioxyde de carbone, le mini-satellite Merlin (Methane Remote Sensing Lidar Mission) en coopération avec l’Allemagne afin de mesurer les gradients de méthane dans l’atmosphère.

Le Canada est également de la partie grâce à l’initiative privée, avec la société GHGsat (Greenhouse Gas Satellite), implantée à Montréal: elle projette le déploiement de nano-observatoires pour une surveillance permanente des gaz à effet de serre. GHGSat-D, premier Cubesat de 15 kg, sert depuis juin 2016 comme démonstrateur avec des échantillons
atmosphériques. Des modèles améliorés GHGSat-C1 et -C2, qui doivent être satellisés en 2019, seront les premiers d’une constellation globale. 

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