Technologie

Les biais de genre dans les technologies

Virginie CHANTRY • virginie.chantry@gmail.com

David Bruyland/Pixabay, SoftBank Robotics, VTI/Hejdlösa bilder, freepik.com

Il est de notoriété publique que les STEM (Science, Technology, Engineering and Mathematics – pour science, technologie, ingénierie et mathématiques), ne font pas l’unanimité chez la gent féminine (voir rubrique Techno Athena n° 347). Nombre de femmes se sont pourtant avérées être des pionnières dans certains de ces domaines et ont contribué de façon notable au développement de technologies qui ont changé la face du monde (le lave-vaisselle, le wifi, le Kevlar…) ou encore à des découvertes incroyables (structure de l’ADN, pulsars, radioactivité…). Malgré cela, on constate encore que les femmes sont moins représentées que les hommes dans les cursus liés aux STEM et dans les entreprises actives dans ces disciplines. Et cela n’est pas sans conséquence: des biais de genre sont constatés. Mais à quel niveau ? Et que pourrait-il se passer s’il y avait plus de femmes exerçant des métiers «technologiques» ?

Commençons par un exemple très parlant de biais de genre dans une technologie bien connue, la reconnaissance vocale (RV). Incroyable mais vrai: à leurs premiers balbutiements, les logiciels de RV ne reconnaissaient pas les voix féminines ! Question de tonalité et de fréquence notamment. Pourquoi ? Car il n’y avait pas de femmes dans les équipes de développeurs travaillant sur le sujet et que ces derniers n’ont pas pensé, au départ, à intégrer des femmes dans leurs tests… Cela paraît évident avec le recul, mais ça ne l’était pas à l’époque ! Il existe évidemment bien d’autres exemples que nous évoquerons ci-après.

Distribution des employés en 2020 en fonction du genre pour certaines entreprises «technologiques» mondialement connues

Esprits d’hommes et voix de femmes

L’intelligence artificielle (IA) est basée sur la connaissance du «monde qui l’entoure». Elle est le reflet des comportements, décisions et expériences de ses créateurs. Si une IA est développée par une équipe composée uniquement d’hommes et à moins que ceux-ci ne pensent à y intégrer des caractéristiques et connaissances «féminines», le «monde» de cette IA se limitera à un horizon masculin. Quand on sait qu’entre 75 et 80% des personnes travaillant dans l’IA auraient les chromosomes XY, on ne se demande plus pourquoi les algorithmes présentent des biais de genre, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer pour les femmes, comme un moins bon classement pour l’obtention d’un job ou d’un prêt par exemple (notamment aux États-Unis où des prêts peuvent être octroyés à distance). Même si le fait d’avoir une large base de données comme support va quelque peu amoindrir ces biais, des stéréotypes de genre vont continuer à être véhiculés par l’IA tant qu’on ne lui apprend pas autre chose. Sans oublier certaines normes sociales discriminatoires et encore très patriarcales ou les biais de genre sévèrement ancrés dans le langage courant et que l’on ne remarque pas toujours («en bon père de famille», «être une véritable fée du logis», «être indisposée», «l’école maternelle»…). Or, le développement des IA semble se focaliser de plus en plus sur le côté «humain», c’est-à-dire sur leur capacité à s’intégrer de façon convaincante à la vie de tous les jours et à rendre leurs interventions et interactions les plus naturelles possibles. La situation actuelle convient probablement à certains mais sans doute pas à tout le monde. Un équilibre des genres dans les équipes travaillant sur les IA (conception, science des données…) pourrait probablement dissoudre nombre de biais et aider à atteindre ces objectifs de «réalisme humain».

De plus, à l’origine, les assistants vocaux (AV) tels qu’Alexa ou Siri portaient non seulement des noms plutôt féminins, mais avaient aussi d’office une voix de femme. C’est désormais une option mais la voix par défaut reste encore souvent féminine. Cela renforce le cliché (et la réalité ?) selon lequel la plupart des assistants et secrétaires sont des femmes. Sans oublier qu’au départ, certaines demandes typiquement féminines n’étaient pas comprises par les AV, au contraire de certaines questions connotées «masculines» pour lesquelles des réponses étaient immédiates (je laisse ici faire votre imagination…). La raison principale ? Ces assistants vocaux ont été principalement pensés et mis sur pied par des hommes.

Un autre exemple parlant provient des robots humanoïdes programmés comme les NAO, de la SoftBank Robotics (voir rubrique Techno Athena n° 348): ils sont majoritairement masculins. On notera donc que là où les assistants sont des assistantes, les ordinateurs puissants sont des hommes ! Il y a fort à parier que s’il y avait eu plus de femmes dans les équipes de concepteurs et de développeurs, cela n’aurait probablement pas été le cas. Certaines femmes actives dans les STEM mettent donc un point d’honneur à développer des technologies neutres de genre et non basées par défaut sur un modèle masculin sans y avoir accordé de réelle réflexion !

Véhicule en test cherche mannequin féminin

Plus concrètement et potentiellement plus impactant, le biais de genre se poursuit jusqu’au volant ! Car même si les femmes sont globalement moins impliquées dans des accidents graves de voiture, quand elles le sont, il est plus probable qu’elles soient davantage touchées que les hommes. Lors d’un crash frontal avec port de ceinture, il y a 73% de chances de plus pour une femme d’être blessée qu’un homme (à caractéristiques identiques: niveau de sévérité des blessures, âge du conducteur, marque de la voiture…), comme démontré par une étude réalisée en 2019 par l’Université de Virginie aux USA. Pourquoi ? En grande partie car les procédures de sécurité inhérentes à la conception et mise en circulation des véhicules tiennent très peu compte de l’anatomie féminine. Les dispositifs anthropomorphes d’essai ou crash test dummies, mannequins introduits dans les années 50 pour tester l’efficacité des protections d’un véhicule, sont pour la plupart masculins. Le crash test dummy standard, le HybridIII-50M (datant des années 70), mesure environ 1,75 m pour 77,7 kg, paramètres qui correspondent au 50^e percentile de la distribution de taille et de poids de la population adulte masculine, ce qui équivaut à la valeur en-dessous et au-dessus de laquelle se trouve la moitié des observations. Ce mannequin est plus grand et plus massif qu’une femme «moyenne» et est doté d’une poitrine plate et de hanches droites. Et la taille et le poids ne sont pas les seules différences biologiques entre femmes et hommes: les proportions, la composition (musculaire) ou la densité osseuse notamment influencent aussi le type et la gravité des blessures et devraient dès lors être prises en considération dans les tests de sécurité.

L’intelligence artificielle et les assistants vocaux présentent des biais de genre probablement dus au manque de staff féminin à l’étape de la conception et du développement

De plus, les femmes étant globalement plus petites, elles placent leur siège différemment de la position qualifiée de standard, c’est à dire généralement plus près et plus haut. Tous facteurs qu’il faudrait intégrer pour améliorer la sécurité des femmes derrière un volant.

Depuis 2015, les exigences d’Euro NCAP (Programme Européen pour l’Évaluation des Automobiles Neuves) imposent qu’1 test sur les 5 réglementaires soit réalisé avec un crash test dummy féminin «standard» sensé représenté la population féminine. Le HybridIII-05F mesure environ 150 cm pour 49 kg. Ces données correspondent au 5^e percentile de la distribution de taille et de poids de la population adulte féminine. Cela signifie que seulement 5% des femmes sont plus petites que ce mannequin et 95% plus grandes. Il s’agit en fait d’un dummy masculin mis à une échelle plus petite, qui est effectivement doté d’une poitrine mais qui présente plusieurs autres manquements morphologiques (largeur des hanches par exemple). Encore plus étonnant, lors de ce test, il doit être placé sur le siège passager et non celui du conducteur ! Ne parlons même pas d’un éventuel crash test dummy enceinte, représentant les personnes âgées ou des populations globalement plus petites et plus légères que l’homme standard ! Certains modèles existent mais leur utilisation n’est pas obligatoire.

Heureusement, certaines actions inclusives voient le jour. La marque Volvo a par exemple lancé l’initiative E.V.A. (Equal Vehicles for All ou «véhicules égaux pour tous»). Ce projet prône des dummies et modèles plus représentatifs des différentes morphologies présentes dans la nature. Ayant collecté des données relatives aux accidents dans le monde depuis les années 70, la Volvo Traffic Accident Research Team est en mesure de réaliser des simulations sur ordinateur avec différentes morphologies de conducteurs et de passagers (enfants, femmes, hommes) et peut déterminer les différentes blessures consécutives à toute une série d’accidents types en fonction de ces gabarits. Cela leur a permis de concevoir des mesures de sécurité particulièrement adaptées aux femmes, comme par exemple le WHIPS, contre le coup du lapin pour lequel les femmes présentent plus de risque. En 2019, ils rendaient leurs données disponibles aux autres constructeurs automobiles. Par ailleurs, Astrid Linder, directrice de recherche en sécurité routière à l’Institut de recherche suédois du transport et du réseau routier, travaille actuellement sur Eva, un prototype de crash test dummy fidèle à la femme «moyenne».

Où sont les femmes ?

D’autres exemples du genre sont à déplorer. Jusqu’il n’y a pas si longtemps, les femmes faisant partie des forces de l’ordre et du personnel militaire avaient un choix beaucoup plus limité de types de protection (tels que les gilets pare-balles) que ceux des hommes. On peut également aborder le thème de la crise cardiaque et de ses symptômes. L’on parlera généralement de douleurs à la poitrine et dans le bras gauche. Cela est correct… pour un homme ! Une femme ressentira plus probablement un essoufflement, des nausées et de la fatigue. La plupart l’ignore et de ce fait, les femmes ont plus de chances de mourir d’une crise cardiaque que les hommes car le diagnostic et la prise en charge sont plus tardifs. La médecine a donc aussi ses biais de genre ! Le livre Invisible Women: Data Bias in a World Designed for Men, de l’activiste féministe Carole Criado Perez, regorge d’exemples du genre. Celle-ci a confronté ces problèmes aux acteurs des différents domaines et quelle est leur excuse principale ? La femme, son corps et son mode de vie active notamment, seraient trop compliqués… No comment !

Data Bias in a World Designed for Men, Carole Criado Perez, Vintage Publishing, 432 pages.

Et si… ?

S’il y avait plus de femmes dans les technologies, il est très probable que le monde actuel serait différent. Reprenons quelques exemples parlants énoncés dans un article de la BBC par plusieurs femmes actives dans les STEM: les boutons sur certains appareils seraient plus rapprochés afin de permettre aux femmes ayant de petites mains de s’en servir de façon ergonomique, les médias sociaux seraient plus stricts au niveau de la tolérance vis-à-vis des abus, les vêtements féminins auraient plus de poches, les appareils technologiques conçus pour les femmes seraient plus centrés sur l’expérience de l’utilisatrice plutôt que sur une gamme d’apparences déclinant le produit en rose ou à paillettes (que j’adore mais la couleur n’empêche pas le produit d’avoir été pensé en profondeur pour les femmes), les véhicules automobiles seraient moins le reflet d’un statut social et mieux adaptés aux femmes en matière de rangement ou encore, au niveau de la taille et du gabarit de la conductrice, les enfants seraient plus enclins à demander à leur maman comment brancher la console dernier cri reçue de Saint-Nicolas, plus de jeunes filles seraient inspirées à suivre elles-mêmes un cursus dans les STEM…

Ce ne sont bien entendu que des suppositions et on vous laisse faire fonctionner vos méninges pour en imaginer d’autres. Tout en gardant en tête que, peut-être (probablement !), l’objectif ultime est la diversité et l’inclusion de tous dans les milieux professionnels, qu’ils soient technologiques ou autres, avec une importance accordée aux compétences et non au genre ou à des facteurs sociaux/raciaux, afin que le produit conçu fonctionne pour un maximum de personnes. Des données collectées ventilées par genre seraient également un bon point de départ pour atteindre cet objectif. Qu’il y ait une seule femme dans une équipe d’hommes ne paraît pas idéal (selon le but de cette équipe évidemment) mais à l’inverse, un homme seul dans une équipe de femmes provoquerait également un biais de genre…

Techno-Zoom

Depuis près d’un an, les gels et sprays hydroalcooliques sont devenus nos compagnons de tous les jours. Présents dans les sacs, les voitures, sur les bureaux, à l’entrée des magasins, leur utilisation est devenue un réflexe. Et quand il s’agit de l’hygiène et de ce que l’on touche, nos smartphones sont souvent accusés d’être de véritables vecteurs de bactéries, germes pathogènes et autres joyeusetés du genre. L’entreprise américaine basée à Philadelphie, Mobile Outfitters, spécialisée dans les accessoires pour téléphones mobiles, propose depuis mai dernier une solution antibactérienne brevetée sous la forme d’un spray protecteur, le Pruvia Copper Spray. À base de nanoparticules de cuivre et d’argent, il peut être appliqué sur diverses surfaces dures, par exemple un smartphone, une tablette, un écran tactile, une poignée de porte ou une télécommande. Le cuivre et l’argent, présents dans la solution sous forme d’ions (atomes ou molécules chargés électriquement), sont des antibactériens naturels et combattent également les virus. Un laboratoire américain indépendant a effectué toute une batterie de tests et prouvé que ce spray élimine 99,99% des bactéries, moisissures et autres champignons. L’effet d’une application dure jusqu’à 3 jours, contrairement aux désinfectants classiques qu’il faut appliquer à nouveau après chaque contact. Effet barrière de protection garanti ! La solution se présente sous la forme d’un vaporisateur de 60 ml, à emporter partout. La gamme se décline également en un film protecteur en silicone ultraléger et très résistant agissant comme le spray et auquel sont intégrés des ions d’argent, le Pruvia 360° Film. À savoir que la filiale belge de cette entreprise américaine, Mobile Outfitters Benelux, est située à Braine-l’Alleud et que les produits de la gamme Pruvia sont déjà disponibles dans plusieurs enseignes belges, comme Proximus ou Krëfel pour ne pas les citer.