Physique

Cocktail
d’été

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net

©2023 Ansys, Royal Society Open Science (2023)

Apéro, champagne et tour de France: la physique est présente partout

À l’heure de l’apéro, peut-être avez-vous eu cette idée saugrenue de mettre quelques cacahuètes dans votre verre de bière (il paraît que c’est tendance en Argentine !). Et de constater qu’elles se mettent à danser: elles s’enfoncent d’abord dans le liquide, s’y stabilisent puis remontent vers la surface avant de recommencer à descendre et ainsi de suite. Des chercheurs ont donné une description physique de ce phénomène. Et tout d’abord la nucléation hétérogène des bulles c’est‑à‑dire l’apparition d’une nouvelle phase (gazeuse) à l’intérieur d’une phase homogène (liquide) et qui se produit préférentiellement autour des cacahuètes pour des raisons d’énergie. Ensuite, les chercheurs ont constaté qu’à partir d’une certaine quantité de gaz attaché, la cacahuète monte et va flotter à la surface. Surface où les bulles éclatent, phénomène facilité par des réorientations des arachides. Enfin, le phénomène se répète tant que la bière est suffisamment saturée en phase gazeuse pour que le phénomène de nucléation se poursuive. Contrairement à ce que pourrait laisser croire le bref résumé ci-dessus, l’étude publiée dans le bulletin de la Royal Society Open Science (1) n’est pas seulement descriptive mais tous les phénomènes ont dûment été mis en équation. Mais quel intérêt ? Les auteurs répondent à cette question dans l’introduction de leur étude: «Nous avons utilisé des expériences et des calculs de laboratoire pour étayer cette description, y compris la contrainte des densités et des propriétés de mouillage du système bière-gaz-arachide. Nous établissons des analogies entre cette cyclicité de la danse des cacahuètes et des processus industriels et naturels de grand intérêt, concluant finalement que ce phénomène de bar peut être un véhicule pour comprendre des systèmes appliqués plus complexes d’intérêt général et d’utilité.» Lesquels ? La flottaison par mousse est en effet un procédé utilisé pour séparer divers éléments (comme ici la bière des cacahuètes) comme dans le cas de la vitrification des déchets nucléaires. Mais de telles études aident aussi à comprendre des phénomènes géologiques comme la présence de certains éléments dans les couches du magma terrestre. 

Champagne !

Des bulles encore, mais plus nobles diront certains puisqu’il s’agit de celles du champagne. D’ailleurs, elles ne se comportent pas comme celles d’un vulgaire soda ou d’une eau pétillante: dans le champagne, elles montent en ligne droite; pour les physiciens, elles forment ce qu’ils appellent des chaines très stables, contrairement aux autres dites instables. Mais pourquoi en va-t-il ainsi ? Une équipe des universités de Rhode Island et de Toulouse semble avoir trouvé la solution à ce comportement «noble» des bulles de champagne. Dans une étude publiée dans Physical Review Fluids (2), ils montrent que la taille des bulles et le niveau de contamination de l’interface (les bulles naissent des impuretés qui sont présentes sur l’intérieur des verres !) entrent en ligne de compte pour expliquer la stabilité des chaines. Dans le cas du champagne, c’est la présence de molécules de tensioactifs qui sont importantes. Rappelons que les tensioactifs (comme le savon par exemple) sont composés de 2 molécules, l’une hydrophile, l’autre hydrophobe donc lipophile, qui attire les graisses. Dans le cas du champagne, il s’agit de molécules aromatisantes, présentes naturellement en quantité importante, qui donnent goût et saveur au champagne (et ne sont évidemment pas présentes dans les eaux ou sodas !). Et elles sont responsables de la formation de tourbillons qui aspirent la bulle arrière dans le chemin de la précédente. Ici aussi, l’étude ne se limite pas au liquide étudié, si noble soit-il, mais participe à la compréhension de phénomènes divers comme les écoulements à bulles qui se produisent dans les installations de traitement de l’eau ou les suintements de méthane et de CO2 dans les océans par exemple.

Tour de France

Pas d’été sans tour de France. Et l’on ne s’étonnera guère que les auteurs de la recherche sont cette fois Belges et plus précisément Flamands ! Le professeur Bert Blocken de la KULeuven avait déjà démontré toute l’importance du rôle joué par les voitures suiveuses lors d’une course. Ce qui peut paraître contre-intuitif puisque, étant derrière les coureurs, on voit mal quelle pourrait être leur influence. Mais ce n’est pas le cas: après des études aérodynamiques, l’équipe louvaniste avait montré que la masse d’air poussée par la voiture étant en surpresssion, elle exerçait une poussée significative sur le coureur qui est devant le véhicule. Cette fois, avec l’aide de la société Ansys, spécialiste des logiciels et simulations numériques, Bert Locken s’est attaqué à la position des vélos sur le toit des voitures suiveuses. Un exercice très précieux lors des contre la montre. Dans de telles étapes, les coureurs utilisent divers moyens pour gagner de précieuses secondes: casques profilés, combinaisons aérodynamiques, vélos spéciaux, etc. Et parfois 4 ou 5 vélos sur le toit du véhicule suiveur… alors qu’il n’y a qu’un coureur à, éventuellement, dépanner. Et si ce n’était pas dû au hasard ? Car les résultats de l’étude publiée par les chercheurs louvanistes (3) sont sans appel et même assez stupéfiants. Ils ont en effet étudié en soufflerie et modélisé divers cas de figure: pas de vélo sur le toit, un ou plusieurs vélos, installés parallèlement ou perpendiculairement au sens de déplacement et cela pour différentes distances voiture-coureur. Les résultats les plus intéressants sont à mettre à l’actif de vélos placés perpendiculairement au sens de déplacement. Avec seulement 2 vélos placés perpendiculairement, à 36 km/h, le gain de temps par km oscille entre 0,11 sec. et 1,06 sec. selon que la voiture est à 25 ou 1 m derrière le cycliste par rapport à un véhicule chargé d’un seul vélo placé parallèlement. Et c’est bien pire si le malheureux coureur n’est suivi par aucune voiture: sur un parcours de 22 km comme lors de l’étape du 18 juillet dernier du tour de France, il peut prendre plus de 2 minutes dans la vue ! On comprend que l’Union Cycliste Internationale ait réagi: une voiture ne peut plus s’approcher à moins de 25 m d’un coureur (mais comment mesurer cela tout au long d’une étape ?) et il est possible qu’à l’avenir, lors des contre la montre, un seul vélo mis en parallèle soit autorisé. 

À 1 m comme à 5 m de distance entre le coureur et la voiture suiveuse, on voit tout l’avantage qu’il y a à avoir 2 vélos placés sur le toit de la voiture perpendiculairement au sens de déplacement. Le volume et l’étendue de la zone de surpression (en jaune-rouge) sont en effet plus importantes lorsqu’il y a deux vélos, poussant le coureur dans le dos (illustrations e,f,g,h).

(1) The physics of dancing peanuts in beer. Luiz Pereira et al. Published:14 June 2023
https://doi.org/10.1098/rsos.230376

(2) O. Atasi et al., Presence of surfactants controls the stability of bubble chains in carbonated drinks, Phys. Rev. Fluids 8, 053601 (2023).

(3) https://www.ansys.com/blog/stacking-the-deck-at-the-tour-de-france

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