Espace

Quoi de neuf dans l’espace ?

L’Europe spatiale d’aujourd’hui serait-elle en perte de vitesse ? Ayant découvert l’espace après l’Union Soviétique (avec la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan) et les États-Unis, elle l’a surtout marqué de son empreinte surtout grâce à l’ESA (European Space Agency): pour le transport spatial (avec les lanceurs Ariane), pour les systèmes d’applications (satellites de télécommunications, de météorologie, programmes Galileo de navigation et Copernicus d’observation), dans l’exploration des comètes et pour la compréhension de l’Univers

Théo PIRARD  •  theopirard@yahoo.fr

© OHB System • © JAXA • © ESA

Mais il faut se rendre à l’évidence, l’Europe dans l’espace est rattrapée, voire dépassée notamment par la Chine qui multiplie lancements et initiatives pour les systèmes spatiaux. Confrontée au phénomène NewSpace de la privatisation de l’espace, elle n’est plus cette grande pionnière de la fin du siècle dernier. Pourtant, elle compte un nombre record de satellites civils de télécommunications et de télévision sur l’anneau de l’orbite géostationnaire. Elle a contribué à la valorisation de cette orbite avec les lancements d’Ariane et grâce à ses industriels. Depuis peu, elle doit affronter l’incroyable concurrence de nouvelles entreprises privées qui misent sur des solutions audacieuses, dites low cost (à bas coût) – des fusées réutilisables, des constellations de petits satellites – pour mettre l’espace à la portée d’un nombre croissant d’utilisateurs !

L’industrie allemande propose la famille SmallGEO d’OHB System.

On compte en Europe de l’Ouest une demi-douzaine d’opérateurs commerciaux de satellites géostationnaires. Ils contribuent à l’essor des techno­logies de l’information et de la communication avec des connexions à haut débit et dans les mobiles. Quels sont-ils ?

Le satellite géostationnaire, de plus en plus puissant, a fait éclore et prospérer des entreprises implantées dans 5 États d’Europe et qui sont des références dans le monde avec des emplois de haut niveau:

•  SES (Luxembourg) a acquis une dimension globale avec une flotte géostationnaire de 50 satellites. En plus de sa constellation O3b de 12 satellites-relais sur une orbite équatoriale à 7 825 km. Une infrastructure de secours se trouve au Centre Esa de Redu (Libin) en Ardenne belge. SES a constitué, avec le gouvernement grand-ducal, la filiale GovSat pour un système de communications militaires.

•  Eutelsat (France) est également présent sur l’ensemble du globe avec la mise en œuvre de 39 satellites. Ce concurrent direct de SES mise sur l’orbite géostationnaire, notamment pour la diffusion TV.

•  Inmarsat (Royaume-Uni) est un système mondial pour les connexions avec les mobiles sur mer et dans les airs. Il met en œuvre jusqu’à 13 satellites pour assurer des liaisons à des débits de plus en plus élevés avec les 4 Inmarsat 5-Global Xpress.

•  Hispasat (Espagne) commercialise 8 satellites (5 Hispasat, 3 Amazonas) pour les communications entre l’Europe et l’Amérique latine, pour la couverture TV du continent sud-américain.

•  Avanti Communications (Royaume-Uni) commercialise des connexions à large bande au moyen de 2 satellites Hylas qui couvrent l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique.

•  Telenor Satellite (Norvège) exploite principalement la position géostationnaire à 1 degré ouest avec 2 satellites Thor pour assurer des communications performantes en Europe et sur l’Atlantique (pour les mobiles).

Qu’en est-il du potentiel industriel européen dans le développement de satellites géostationnaires ?

En Europe, 3 grands constructeurs de systèmes spatiaux se disputent le business des satellites géostationnaires. Ayant pris leur essor à la faveur des programmes technologiques de l’Esa, ils doivent affronter la rivalité des fabricants américains, chinois et japonais. Il s’agit d’Airbus Defence & Space (France-Royaume-Uni) avec son bus Eurostar, Thales Alenia Space (France-Italie, ayant une filiale à Charleroi pour l’alimentation électrique des satellites) avec sa plateforme Spacebus, OHB System (Allemagne) avec son modèle SmallGEO.

L’accès à l’orbite géostationnaire a consacré le fil… d’Ariane depuis le Centre Spatial Guyanais à Kourou. Le fleuron européen du transport sur orbite n’est-il pas soumis à forte concurrence ?

La majorité des vols Ariane est destinée à placer des satellites sur l’orbite de transfert géostationnaire. La société de transport spatial Arianespace, qui fait partie d’ArianeGroup, a pu s’imposer sur ce marché en proposant des lancements doubles. Mais cette domination lui est sérieusement contestée par le nouveau-venu de SpaceX. L’Europe a réagi en réduisant les coûts de production et de lancement avec la solution du lanceur Ariane 6, proposé en 2 versions complémentaires. Son vol inaugural est attendu pour l’été 2020 à partir d’un nouvel ensemble de lancements.  

Mais encore… 

Succès d’un nano-lanceur japonais

Modifier une fusée-sonde pour lancer un nano-satellite (Cubesat) de 3 kg, c’est ce qu’a réussi l’industrie japonaise le 2 février en faisant du SS-520 le plus petit lanceur spatial avec 3 étages à poudre. Le lancement depuis une plateforme mobile au centre spatial d’Uchinoura (Kagoshima) a permis de satelliser le Tricom-1R pour des observations de la surface terrestre. La société Canon Electronics et le motoriste IHI Aerospace envisagent une commercialisation des lancements SS-520 pour des mises sur orbite personnalisées.

Redu-sur-orbite depuis un demi-siècle

Le village de Redu (commune de Libin) fête 50 années de présence de l’Europe spatiale. Au milieu de la campagne ardennaise, a pris forme en 1968 une station de poursuite de satellites qui n’a fait que ­grandir pour de nouvelles missions. Aujourd’hui, on a affaire à un centre de l’Esa qui s’étend sur plus de 20 ha et qui compte une cinquantaine de paraboles. La plus grande d’un diamètre de 20 m sert à tester sur orbite chaque satellite Galileo, une fois qu’il est sur son orbite à quelque 23 600 km. Cette infrastructure s’est étoffée à la Barrière de Transinne (Libin) avec l’Euro Space Center Belgium, l’incubateur techno­logique Galaxia, le Galileo Integrated Logistics Support Centre.

En 2017, le centre de Redu prenait une nouvelle dimension en devenant l’Esec (European Space Security & Education Centre). Il devient pôle d’excellence européen en matière de cybersécurité, grâce au consortium formé par Vitrociset et Rhea. Il accueille depuis peu l’académie européenne de l’espace pour familiariser les étudiants (enseignement supérieur) et les enseignants aux exigences des systèmes spatiaux, depuis leur conception jusqu’à la gestion des risques. 

Spacebel au service de l’agriculture africaine

Le projet NADiRA (Nurturing Africa Digital Revolution for Agriculture) financé par la Commission Européenne est une initiative d’innovation Horizon 2020 visant à accélérer la transformation agricole de l’Afrique par l’intégration de l’observation de la Terre dans les chaînes de valeur numériques des petits exploitants. NADiRA renforce le développement d’une solution agricole numérique durable pour améliorer la gestion des risques et l’efficacité de la chaîne de valeur au bénéfice de la productivité, de la sécurité financière et du bien-être des entreprises agricoles africaines, y compris les petits agriculteurs. Coordinateur d’un consortium international, Spacebel est en charge de la gestion du projet et dirige le développement de la plateforme d’exploitation géospatiale, le développement des affaires en Europe et des services d’observation de la Terre basés sur les radars.

Le Cubesat Tricom-1R

… et son petit lanceur

Vue aérienne de l’ESEC dans la campagne ardennaise.

Étudiants d’Europe, pour un apprentissage des systèmes spatiaux, au Centre ESA de Redu.


L’Odyssée 
SpaceX

© SpaceX

Sous l’impulsion du candide visionnaire Elon Musk, l’aventure spatiale ne sera plus ce qu’elle vient d’être. Avec son entreprise SpaceX, alias Space Exploration Technologies, l’initiative privée prend bel et bien possession de la dimension de l’espace, qui était depuis 1957 la chasse gardée du secteur public. Elle lui fait même la leçon en développant des solutions innovantes, comme la réutilisation des premiers étages de ses lanceurs Falcon 9 et d’éléments de ses capsules Dragon, l’amélioration des systèmes de propulsion… Cette ambitieuse percée de SpaceX est la spectaculaire illustration du phénomène NewSpace qui voit la libre entreprise devenir la référence dans la mise en œuvre des systèmes spatiaux. Plus discret, Jeff Bezos, le patron d’Amazon entend lui faire de l’ombre avec son projet Blue Origin

Ce 6 février, le Kennedy Space Center de la Nasa a retrouvé l’ambiance épique d’Apollo, le programme d’exploration lunaire des années 60. Cinquante ans après avoir été inauguré par l’envol de la fusée géante Saturn V qui permit aux astronautes américains de marcher sur la Lune, le site historique du complexe de lancement LC-39A a vibré sous la poussée des 27 propulseurs Merlin du lanceur Falcon Heavy. Le Falcon Heavy, 1 420 t au décollage, est 3 fois plus puissant que le Falcon 9 qui vole depuis juin 2010 et qui se trouve constamment amélioré. Son 1er lancement en fait rêver plus d’un: il a réussi à ­expédier dans le système solaire le cabriolet électrique Tesla Roadster d’Elon Musk, censé rester dans l’espace pendant plusieurs millénaires !