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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

©kurapy, Silke Baron/Flickr, Derek Keats/Flickr

 
Toc, toc !?

Les plantes carnivores ont leurs amateurs et les multiples «foires aux plantes» savent leur faire honneur. Il est vrai qu’il est surprenant de voir des végétaux se nourrir d’insectes et se comporter en «carnivores», optant de manière exclusive pour les protéines animales.

Les processus métaboliques impliqués sont de mieux en mieux étudiés. Pour preuve, cet article qui porte sur la Dionnée attrape-mouche (Dionaea muscipula), une des plus communes. Ce qui a motivé les chercheurs était découvrir quels stimuli sont nécessaires pour actionner le mouvement de fermeture des valves d’abord, pour secréter les sucs digestifs ensuite. Pour le savoir, ils ont «mimé» les impulsions apportées par des insectes quand ils se posent sur la plante et quand ils se débattent ensuite pour s’échapper de ce piège qui leur colle aux pattes. De telles impulsions sont ressenties par des mécanorécepteurs qui déclenchent un potentiel d’action dès la seconde stimulation, permettant la fermeture des valves. La mobilisation mécanique des poils sensoriels par l’insecte qui se débat pendant les heures qui suivent ne fait que renforcer cette fermeture.

Dès la 5e vibration induite, une chaîne réactionnelle impliquant l’acide jasmonique active les gènes qui codent pour des hydrolases, les enzymes appelées à dégrader les tissus de la proie. Cette activation est d’autant plus importante que le nombre des secousses est grand et leur magnitude élevée. Normal: plus un insecte est gros, plus sa cuticule est épaisse et plus elle est difficile à digérer. La suite implique des voies de dégradation activées par l’ion sodium contenu par les tissus de l’insecte. C’est net, efficace, «chirurgical». Et c’est surtout la seule solution que la plante, qui pousse sur des sols pauvres, a trouvé pour pouvoir se nourrir et survivre !

Current biology.
http://www.cell.com/current-biology/fulltext/S0960-9822(15)01501-8


Ce sucre qui dérange

S’il est un produit de consommation courante qui dérange nombre de nutritionnistes, c’est bien le sucre; parce qu’il est abondant dans l’alimentation – généralement de manière cachée – et qu’il n’est pas forcément «consommé», faute d’une dépense physique adaptée. Or, le sucre alimentaire est le plus souvent du saccharose, un dimère constitué d’une molécule de glucose et d’une autre de fructose. Si la première citée suit une métabolisation assez directe, la seconde n’est pas catabolisée de la même façon par le foie et peut se retrouver sur une voie de stockage. L’option à prendre est donc en principe simple: réduire son apport alimentaire de sucre et/ou l’utiliser comme carburant immédiat d’une dépense physique adaptée.

Le procès fait aujourd’hui au produit «sucre» amène à oublier 2 choses: qu’il est naturellement présent dans nombre d’aliments «naturels» d’abord et qu’après assimilation, il est source dans notre organisme des ATP (adénosine triphosphate), notre carburant cellulaire.

Tout le sucre alimentaire ne tient évidemment pas au seul saccharose. À ce titre, on peut évoquer la présence du tréhalose, qui attire l’attention de nombreux chercheurs depuis quelque temps déjà. Comme le saccharose, il est fait de 2 molécules (c’est donc un dimère), mais il associe cette fois 2 molécules de glucose et non un glucose et un fructose. Cela change un certain nombre de paramètres et en particulier, le fait qu’il est nettement moins calorique. D’où l’idée de l’utiliser comme produit sucrant dans des aliments préparés. Deux réserves sont toutefois à faire à son propos dans cet usage: il reste un sucre et à cet égard, doit attirer l’attention des diabétiques et il peut aussi, comme le lactose, provoquer des intolérances.

S’il trouve sa place dans cette chronique, c’est surtout en raison d’une autre propriété qui en fait un sujet intéressant pour la recherche. Par simple effet de concentration cellulaire, il permet à des micro-organismes ou à des cellules isolées dans l’environnement de résister au stress d’une dessiccation (suppression de l’humidité) très poussée ou d’une salinité élevée. Le thème est intéressant en matière de biologie fondamentale ou dans le registre de la résistance cellulaire au froid, mais ça l’est moins dans un registre biomédical. On attribue en effet au tréhalose la faculté qu’ont certains pathogènes de résister à des traitements normalement prévus pour les éradiquer. En première ligne: Clostridium difficile, un germe nosocomial qui provoque des diarrhées chez des patients sous antibiotiques et qui tire son énergie du tréhalose, précisément.

Le saccharose dont on fait, par raccourci, un «poison» alimentaire est d’abord un produit naturel qui ne devient poison que par l’effet conjugué d’une surconsommation et d’une non métabolisation. Vouloir le remplacer, dans les aliments préparés, par un substitut moins énergétique comme le tréhalose n’est pas forcément une mauvaise idée en soi, mais ne fait que déplacer le problème dans d’autres registres. Autant le savoir et y être attentif.

Environ.Microbiol. 2018; 10.1111/1462-2920.13987

Bio zoom

Le quokka est un petit mammifère d’Australie appartenant à la famille des macropodidés, tout comme les kangourous. Il est cependant beaucoup plus petit que son cousin puisqu’il mesure une cinquantaine de centimètres (sans la queue) pour 3 à 5 kg. Herbivore, il se met en quête de nourriture essentiellement la nuit. La journée, il se repose en compagnie de son groupe, qui peut compter jusqu’à 100 individus et est mené par quelques mâles dominants. Les extrémités de sa bouche forment naturellement une sorte de sourire, ce qui lui a valu le titre «d’animal le plus heureux du monde».

Avons-nous vraiment besoin de dormir ?

Même si nous n’en maîtrisons pas encore toutes les raisons, nous savons que nous avons tous besoin de sommeil. C’est une nécessité physiologique qui supporte quelques variations individuelles mais qui semble incontournable, y compris pour l’ensemble des mammifères. Le meilleur moyen de faire ­mourir une souris «en bonne santé» est par exemple de l’empêcher de dormir plus de 3 jours (l’animal est nocturne). Mais une question se pose: quand ce besoin est-il apparu dans l’échelle évolutive ?

Pour prendre de la marge avec les mammifères, des chercheurs se sont intéressés à un groupe animal qui en est bien éloigné: celui des méduses. Ils ont enregistré, de façon longitudinale, les contractions rythmiques de 23 espèces du genre Cassiopea et ont constaté que si le jour, la fréquence est de 60 par minute, elle chute à 39 pendant la nuit. Il y aurait donc, pour ce groupe animal-là aussi, un besoin de ralentir l’activité à défaut de l’arrêter complètement. Pour s’en convaincre, les scientifiques ont, pendant la nuit, agité toutes les 20 min l’eau des bassins d’élevage, pendant 6 à 12 h. Résultat: les méduses se sont montrées nettement moins fringantes le lendemain, à en juger par la fréquence moindre de leurs contractions. Cette observation assez surprenante tend à montrer que cette période de «récupération» est une nécessité déjà objectivable dans un groupe taxonomique placé assez bas dans l’échelle évolutive. Raison de plus, pour les humains qui en doutaient encore, de respecter autant que possible ce nécessaire ressourcement ­physiologique.

Science, 2017; 357: 1333


Du plastique encore et encore

La problématique des déchets plastiques dans les mers et océans est aujourd’hui bien connue et fait naître depuis quelques années des projets de traitement qui visent à la réduire, sinon à l’éradiquer. Encore qu’il restera à déterminer les pays qui vont en assurer la prise en charge financière.

Dans l’intervalle, les recherches sur le sujet se multiplient et alimentent les pages de revues scientifiques. Une des plus récentes a visé à établir la présence de fibres de matière plastique dans les matières fécales de poissons (le maquereau Scomber scombrus) et celles d’un de ses prédateurs, le phoque gris (Halichaerus grypus). Le résultat de ce dénombrement porte à 1 à 4 le nombre de fibres de polyéthylène (surtout) présentes dans les rejets digestifs de 1/3 des poissons et de la moitié des prédateurs. Passer d’un 1/3 à un 1/2 prouve qu’il y a une réelle concentration des polluants à mesure qu’on s’élève dans l’échelle trophique. Logique d’une certaine façon. Si le constat n’a déjà rien de réjouissant en soi, il peut alarmer avec raison. Mais il faut toutefois – pour le moment et sur base de cette seule information – en relativiser la portée. D’abord, les fibres polluantes sont (encore) en nombre réduit et elles sont en voie d’élimination par les animaux qui les ont ingérées. Ce qui est déjà un peu rassurant dans l’état actuel des choses.

L’information permet également de fournir une valeur de référence. Si des efforts objectifs sont faits dans un avenir proche pour réduire l’émission et la dispersion des matières plastiques dans l’environnement – dans les mers et océans en particulier – on pourra, en usant du même type d’évaluation, mesurer l’impact des mesures prises. Pour les consommateurs du haut de l’échelle ­alimentaire, en tout cas. Reste à voir l’impact du même type de pollution sur les oiseaux et sur les groupes animaux moins mobiles. Tiens ! A-t-on eu l’idée de rechercher la présence des mêmes fibres de matière plastique dans les matières fécales d’humains, qu’ils habitent chez nous ou sur les décharges du Caire, de New Delhi ou d’ailleurs ? On serait peut-être surpris du résultat. Mais cela ne justifie en aucun cas que cette pollution s’amplifie ou même se poursuive, surtout que ses effets métaboliques sont aujourd’hui de plus en plus évidents et documentés.

Environ. Pollut. 2018;
http://doi.org/ck27


Le crotale jardinier

Tous les amateurs de westerns ou d’émotions fortes connaissent le redoutable crotale, plus communément appelé serpent à sonnette; une «sonnette» constituée d’une succession d’anneaux à l’extrémité du corps et qui, sous l’effet d’une agitation, rendent un son spécifique qui signale la présence de l’animal à d’éventuels prédateurs, sinon à l’une ou l’autre victime. C’est plutôt une bonne disposition pour l’homme car le venin de ce vipéridé, très toxique et douloureux, s’avère mortel si le sujet mordu ne reçoit pas rapidement l’antidote.

Voilà pour le rappel des caractéristiques pas très réjouissantes de l’animal. Si elles peuvent mordre une cheville humaine indélicate qui a malencontreusement dérangé leur sommeil, les espèces du genre Crotalus font plutôt leur ordinaire de ce qu’elles trouvent dans les zones désertiques qu’elles fréquentent,  et en particulier des petits rongeurs comme la souris. Or, ces rongeurs consomment des éléments végétaux en tous genres, tels que des graines diverses qui sont normalement dégradées au cours du transit digestif. Sauf lorsque ce transit ne peut pas être finalisé; quand, par exemple, la souris qui les a consommées est avalée par un crotale, qui en fait de la chair à bouillie. Ce qui présente une particularité sans doute marginale dans ce contexte de prédation tient à ce qui suit: des graines présentes dans le tube digestif du rongeur se retrouvent dans celui du serpent qui n’est pas équipé des enzymes permettant de les dégrader. Résultat: elles sont éliminées par le prédateur avec les autres reliefs qu’il ne peut également digérer. Et c’est comme ça que le redoutable serpent, qui n’a évidemment pas conscience de son rôle environnemental, participe à la dissémination d’espèces végétales dans un espace désertique qui en a sans doute bien besoin.

Il s’agit, on l’aura compris, d’une contribution bien modeste; les auteurs de l’étude qui a mis en lumière cette fonction particulière du crotale, ont retrouvé 971 graines dans l’intestin de 50 spécimens de l’animal, détenus dans des musées. Cela fait donc près de mille possibilités potentielles de germination ensuite et on sait à quel point les graminées – si les graines en sont issues – ont la possibilité de se multiplier quand les conditions leurs sont favorables. Toute contribution, aussi modeste qu’elle soit, est donc appréciable. Et celle du crotale, ignorée jusqu’ici en est une. On s’en souviendra, dorénavant, tout en tenant ce disséminateur occasionnel à bonne distance ! 

Proc. R. Soc. 2018; B 285, 20172755


  

Les bruits étranges de la savane

On connaît bien l’hyène, ce carnivore prédateur et charognard, grand nettoyeur de la savane africaine. On connaît moins le lycaon, qui occupe pourtant la même niche écologique. C’est un canidé, cousin du chien par conséquent, dont il a l’allure générale. Au titre de signes particuliers, on le reconnaît à sa robe tachetée multicolore (jaune, brune, blanche et noire), ses grandes oreilles arrondies et son cri discret plutôt plaintif. Comme la hyène, il vit en bandes structurées menées par un couple dominant, le couple alpha. Cette structuration sociale est importante; la meute peut atteindre plusieurs dizaines d’individus dont la survie tient à la réussite des opérations de groupe, tant dans la recherche de nourriture que dans l’absence de guerres intestines.

La cohésion est assurée par des signes assez classiques; outre la soumission au couple dominant, on sait que l’odeur assez forte (et pas très agréable) de l’animal y contribue, de même, pense-t-on, que le dessin formé par les taches apparemment aléatoires du pelage. Dans ce contexte, l’observation attentive de quelques-uns de ces groupes très sociaux a permis de mettre en évidence une réalité qui avait jusqu’ici échappé aux spécialistes du comportement. Il apparaît qu’avant de se lancer dans l’attaque d’une proie, une forme de consentement du groupe est demandée. Comment la question est posée reste évidemment du domaine du comportement animal. Mais on sait comment les lycaons donnent leur aval: il est manifesté par un éternuement. Et c’est l’avis d’une majorité qui l’emporte. Étonnant ? Sans doute, et apparemment efficace pour la cohésion du groupe. De plus, ce genre de manifestation est plutôt discrète dans l’espace ouvert qu’est la savane et où les ouïes sont en général bien affûtées.

Le comportement animal est, à bien des égards, singulier. Le vote par éternuement du lycaon en fait partie. Mais qu’on n’y voie pas une idée à mettre en pratique chez les humains. La main levée ou le bulletin dans l’urne, ça marche tout aussi bien !

Proc. R. Soc B10.1098/rspb.20170347 (2018)

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