Espace

Quoi de neuf dans l’espace ?

Théo
PIRARD  • theopirard@yahoo.fr

© Virgin Galactic, © Blue Origin

Le tourisme suborbital devrait être l’événement spatial de 2019. L’année du 50e anniversaire des pas de l’Homme sur la Lune. Ainsi, pour la première fois, des passagers vont effectuer un bond jusqu’à 80 km ou 100 km d’altitude…
Au cours de ce saut à la lisière de l’espace, ils vont connaître quelques minutes d’impesanteur. À leur retour,  il est prévu qu’ils reçoivent leurs ailes d’astronaute

À gauche, le SS2 Unity de Virgin Galactic. À droite, le lanceur réutilisable New Shepard avec sa capsule habitable.

Deux entreprises américaines, que l’on doit à des milliardaires, se sont lancées dans le développement de systèmes différents pour des vols habités jusqu’à la frontière spatiale: Virgin Galactic du Britannique Sir Richard Branson et Blue Origin de Jeff Bezos, le patron d’Amazon. Le premier a retenu le concept de l’avion-fusée SS2 (SpaceShip Two) pour un équipage de 8 personnes (comprenant commandant de bord et pilote): largué d’un quadriréacteur, le SS2 enclenche son propulseur hybride (oxygène et poudre) pour s’élancer vers l’espace. Durée du vol: 90 minutes. Le second a mis au point avec New Shepard une capsule pour 6 passagers qui se trouve propulsée par une fusée réutilisable avec moteur cryogénique. Pour un bond entièrement automatisé d’environ 10 minutes.

Où en sont les préparatifs de Virgin Galactic et de Blue Origin 

Ils sont dans la dernière ligne droite pour emmener des touristes avides de sensations fortes. En 2018, Virgin Galactic a franchi une étape clef en faisant évoluer SS2 Unity jusqu’à 82 km d’altitude, lors d’un vol d’essai qui eut lieu le 13 décembre dernier. De son côté, Blue Origin lançait ce 23 janvier sa fusée avec la capsule New Shepard qui est montée jusqu’à près de 107 km. Tout semble propice pour annoncer que des passagers puissent prendre place à bord durant cette année. Mais aucun planning de vols n’est encore officialisé.  

La polémique de l’altitude à atteindre si on veut «toucher» l’espace: 80 km ou 100 km  ?

Ce qu’on appelle la «Karman line» est la limite entre le monde terrestre et le domaine spatial. Pour la Fai (Fédération internationale d’Aéronautique) qui officialise les records dans les airs, elle se situe à l’altitude de 100 km (62 miles). C’est cette donnée qui est généralement reconnue. Mais du côté américain, l’US Air Force et la Nasa (National Aeronautics & Space Administration) la fixent à 80 km (50 miles). Ce qui arrange bien Virgin Galactic dont le propulseur hybride de son SS2 ne se révèle pas assez performant pour atteindre 100 km…

Qu’en est-il de la commercialisation des tickets pour les escapades sub­orbitales qui sont proposées ?

L’entreprise de Sir Branson a dès 2009 – il y a 10 ans ! – procédé à la prise de réservations avec des tickets vendus aux environs de 200 000 euros pour le vol suborbital. On a annoncé 640 personnes ayant réservé un bond. Deux autres exemplaires du SS2 sont en construction pour répondre à la demande. Par contre, la société de Jeff Bezos fait preuve d’une grande discrétion sur la vente de ses services avec New Shepard. De la concurrence pourrait bientôt se manifester du côté de la Chine…  

Retour réussi de la capsule New Shepard sur le sol texan (ranch de Jeff Bezos).

Mais encore… 

Un corps glacé à 6,6 milliards de km

C’est assurément le beau cadeau de Nouvel An qu’a fait à la Nasa sa sonde New Horizons de moins d’une demi tonne. Parti du Cape Canaveral (Floride) le 19 janvier 2007, cet explorateur des confins du système solaire a survolé, étudié et photographié 2014 MU69, surnommé Ultima Thulé, l’un des objets très discret de la ceinture dite de Kuiper. La carte postale qu’a transmise New Horizons a révélé un astéroïde fait de glace, ayant la forme d’un «bonhomme de neige». Mesurant 35 km sur 15 km, il s’agit d’un intéressant témoin des débuts et origines de l’environnement du Soleil. New Horizons qui a «frôlé» Ultima Thulé à quelque 3 400 km poursuit sa course en s’éloignant de plus en plus du système solaire. Sa mission d’exploration interplanétaire est une réussite remarquable, donnant lieu à une belle moisson de données. Son grand exploit eut lieu le 14 juillet 2015, quand la sonde américaine s’était illustrée avec des vues inédites de la planète naine Pluton. 

L’Étoile de David sur la Lune

La première sonde privée, conçue pour se poser à la surface lunaire, est réalisée par l’entreprise israélienne SpaceIL. Développé dans le cadre de la compétition Google Lunar X Prize qui s’est achevée sans qu’une course ait pu avoir lieu, cet atterrisseur compact de 585 kg est parti vers notre satellite grâce à un lancement Falcon 9 de la société américaine SpaceX. Il est prévu qu’il arrive à destination en avril. Après la Russie (au temps de l’URSS), les États-Unis et la Chine, c’est au tour de la petite puissance spatiale d’Israël d’être présent sur la Lune… L’Inde se prépare à y envoyer un automate dans les mois à venir. SpaceIL a décidé de commercialiser son atterrisseur lunaire. Elle vient de signer un accord de partenariat avec la firme allemande Ohb en vue d’un projet européen d’atterrisseur lunaire… à l’horizon 2025. 

Vive l’Europe dans l’espace !

Le budget spatial européen connaît une hausse régulière, les ­instances politiques étant conscientes de l’impact des satellites et de leurs ­lanceurs pour l’indépendance technologique de l’Europe: il s’agit de relever les défis la concurrence du New Space américain et du Made in China spatial. L’Esa (European Space Agency) a pour 2019 planifié un budget de 5,72 milliards d’euros, avec une contribution belge de 4,6% (191,4 millions d’euros): près de la moitié concerne l’observation de la Terre (pour les systèmes Earth Explorer, Eumetsat, Copernicus) et le transport sur orbite (notamment pour les nouveaux lanceurs Ariane 6 et Vega-C) sont financés à raison de 24,3% et de 22,5% respectivement. La Commission européenne prépare un cadre financier pluri­annuel de 16,9 milliards d’euros pour les activités spatiales durant la période 2021-2027: cet important investissement, principalement pour les programmes Galileo (navigation) et Copernicus (télédétection), sera proposé au Conseil et le Parlement de l’Union. Il doit encore faire l’objet de délibérations entre les députés européens qui seront élus entre les 23 et 26 mai. 

L’étrange Ultima Thulé photographié par la sonde New Horizons. (Photo NASA)

Un premier explorateur privé de notre satellite naturel. (Photo SpaceIL)

Le budget 2019 de l’ESA (European Space Agency)


SpaceX au service de l’Amérique avec son vaisseau Crew Dragon pour un équipage jusqu’à 7 astronautes.

Nouvelle donne du New Space: À la mode d’Elon Musk

© SpaceX

On est en train d’assister à une incroyable redistribution des cartes dans la mise en œuvre de l’odyssée spatiale. Ce qu’on appelle la mutation du New Space voit la libre entreprise devenir la référence dans le nouvel essor de l’astronautique. L’audacieuse percée de SpaceX qui se permet de faire la leçon à la Nasa est l’image la plus spectaculaire de ce phénomène New Space. Dans son orbite, d’autres entrepreneurs se positionnent avec des lanceurs économiques, en misant sur une miniaturisation poussée pour les satellites

C’est bel et bien le pari privé d’une démocratisation des systèmes spatiaux. Avec un tel engouement non contrôlé, l’environnement autour de la Terre risque vraiment d’être encombré de myriades de petits satellites et débris en tous genres… Surtout que des investisseurs, en quête de profits d’une grande ampleur, misent sur le déploiement sur orbite de constellations pour répondre aux besoins des Tic (Technologies de l’Information et de la Communication), de plus en plus envahissantes.

L’impulsion du GAFA/M

La libre entreprise, surtout du côté américain mais aussi en Chine, est en train de dicter le tempo de l’activité spatiale. Depuis le début de cette décennie, la révolution numérique s’impose partout dans notre quotidien. La connexion internet, via de nouvelles start-ups, est en quête d’applications d’envergure globale, sans frontières. La dimension au-dessus de nos têtes, grâce aux satellites de plus en plus performants, permet des liaisons mobiles à haut débit, une collecte instantanée de données, une observation continue des phénomènes terrestres et des activités humaines. Ce qui explique que les acteurs du GAFA/M (Google Amazon ­Facebook Apple/Microsoft), afin de mieux tisser leur toile sur l’ensemble de la planète, aient voulu cette métamorphose du New Space depuis une dizaine d’années. Ils y ont vu l’aubaine d’une conquête du monde qui passe par l’espace, sans tenir compte des frontières des États.

Le volet spectaculaire du New Space concerne le transport spatial. Sur un marché qui est fort disputé, on voit se manifester de nouveaux venus avec des lanceurs innovants: des sociétés privées, issues du monde informatique, relèvent le défi technologique de développer des systèmes économiques avec leurs propulseurs et leur avionique. Ils n’hésitent pas à se poser en sérieux concurrents des lanceurs traditionnels que l’on doit à des financements publics: ce sont les Proton et Soyouz russes, l’Ariane et le Vega européens, l’Atlas et le Delta américains, le H2 japonais… 

SpaceX au
service de la Nasa

On assiste à la fulgurante ascension de SpaceX, alias Space Exploration Technologies, sous l’impulsion du candide visionnaire Elon Musk, qui a fait fortune dans l’informatique. L’entreprise qu’il a créée en 2002, dans le but d’explorer le système solaire, notamment Mars, emploie aujourd’hui quelque 7 000 personnes. Elle commercialise avec succès le lanceur Falcon 9 qu’elle a développé sur fonds propres. Ses 2 étages sont propulsés par des moteurs kérolox Merlin, qui sont conçus et produits chez SpaceX à Hawthorne près de Los Angeles. SpaceX a réussi à relever le défi de récupérer, puis de réutiliser le 1er étage qui, doté de 9 propulseurs Merlin, constitue l’élément le plus coûteux à produire. À noter qu’à ce jour, aucun lanceur financé par les pouvoirs publics n’a réussi ce tour de force d’une réutilisation d’étage ! Au cours des 65 vols effectués avec succès (à la date du 1er janvier), le lanceur Falcon 9 grâce à des améliorations a démontré une grande souplesse d’utilisation. À partir de 3 sites de lancements: 2 au Cape Canaveral (Floride), un sur la base de Vandenberg (Californie).

Le lanceur Falcon 9 sert notamment à satelliser le vaisseau Dragon que SpaceX a mis au point et propose à la Nasa pour ravitailler l’Iss (International Space Station). La sélection d’un acteur privé, nouveau venu sur la scène spatiale, pour le programme Crs (Commercial Resupply Services) a constitué une réelle surprise. Du premier coup, Falcon 9 vole avec succès le 4 juin 2010, en décollant du Launch Complex 40 réaménagé au Cape Canaveral: à son bord, une maquette du Dragon. Le 2e lancement sert, le 8 décembre suivant, à l’essai du vaisseau Dragon, qui devient le 1er engin privé à revenir de l’orbite.

À la fin de 2018, 15 missions Crs ont servi à ravitailler la station spatiale internationale. Une version habitable du Dragon termine son développement dans le cadre du partenariat Ccp (Commercial Crew Program) de la Nasa. Un 1er vol de démonstration, en mode automatique, du Crew Dragon vers l’Iss s’est déroulé du 2 au 8 mars. Apparemment avec un total succès. Il est prévu de faire voler un équipage de 2 astronautes pendant l’automne. Ainsi, pour 2020, la Nasa pour ses missions habitées vers la station devrait disposer des vaisseaux privés Cst-100 de Boeing et Crew Dragon de SpaceX. Elle n’aura plus à dépendre du vénérable Soyouz russe – dont le concept remonte aux années 60 ! – pour que ses astronautes aillent travailler dans la station.

Priorité à un lanceur géant

Elon Musk concentre ses efforts sur son extravagant projet de lanceur géant Bfr (Big Falcon Rocket) Starship pour les années 2020. La perspective de cette fusée révolutionnaire, vu qu’elle est présentée comme entièrement réutilisable, devrait permettre, dès la prochaine décennie, la colonisation de la Lune, puis de Mars. Cet ambitieux programme va nécessiter un imposant complexe à Boca Chica, sur la côte texane, on frise le surréalisme… L’investissement reste top secret.

Le lanceur géant Bfr Starship se présente comme un lanceur géant à 2 étages réutilisables (106 m de haut, 9 m de diamètre, 4 400 t au décollage !). Le premier étage du Bfr Starship sera propulsé par 31 propulseurs Raptor qui fonctionnent au méthane et à l’oxygène liquide pour développer une poussée totale de 52 700 kN ! Les tests du Raptor, dont 7 exemplaires équiperont le second étage, ont déjà commencé et se poursuivent en toute discrétion. Musk de se faire fort d’y faire voler l’étage de base, dit «booster», du Bfr Starship pour l’envoi sur Mars de 2 éléments en vue d’une colonie… Un modèle réduit doit effectuer des tests durant ce printemps. De son côté, la Nasa peine à tenir le planning pour son lanceur lourd Sls (Space Launch System) qui est développé par Boeing

Au cours de la prochaine décennie, Jeff Bezos, le richissime patron d’Amazon, entend tenir la dragée haute à Elon Musk avec sa société de transport spatial Blue Origin qui est la première à faire revoler une fusée pour du tourisme suborbital. Elle prévoit de tester dès 2021 son lanceur lourd New Glenn, pour lequel un important complexe est en construction au Cape Canaveral. Nous aurons l’occasion de revenir sur cet ambitieux projet du New Space.

Le vaisseau Starship est conçu pour emmener une centaine de passagers.

Le lanceur New Glenn de Blue Origin.

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