Espace

Génération Smallsat: jusqu’où peut-on
aller ?

Théo PIRARD  • theopirard@yahoo.fr

©RocketLab, ©Virgin Orbit

Peu à peu, de plus en plus, la dimension spatiale envahit notre quotidien. À l’heure des smartphones et autres tablettes, nous allons être sous l’emprise numérique de satellites petits, voire très petits, que plusieurs compagnies privées sont en train de déployer en des centaines, voire milliers d’exemplaires autour de la Terre. La miniaturisation et la standardisation des composants électroniques font naître une génération Smallsat au service des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Les USA et la Chine, en favorisant la libre entreprise, cherchent à s’imposer sur un marché en plein essor

Cubesats en cours d’installation
sur le lanceur Electron.

À l’ère du New Space, on assiste à une redistribution globale des cartes entre les acteurs des systèmes satellitaires de télécommunications et de télédétection. Chacun est mis devant un fait accompli: envers et contre tout, depuis l’espace, le numérique prend possession de notre planète. Plus question pour les Terriens, sur l’ensemble du globe, de pouvoir se passer du pouvoir des TIC. La prochaine décennie va voir un renforcement de ces technologies «sans frontière», qui sont entre les mains d’investisseurs privés et dont le contrôle échappe aux pouvoirs publics. Des constellations de nano- (cubesats entre 1 et 10 kg), micro- (de 10 à 100 kg), mini-satellites (jusqu’à ½ t) vont être déployées en grand nombre au-dessus de nos têtes afin de développer des applications commerciales à la mode numérique. C’est un business qui est en train de s’imposer: la prolifération, jusqu’ici débridée, de satellites risque de mettre à mal l’environnement spatial avec une pollution à hauts risques. 

   

Internet partout, numérique tout-puissant

D’après une étude récente de l’analyste français Euroconsult, le nombre de petits satellites est sérieusement à la hausse. En 2017 et 2018, on a vu une augmentation de 93% par rapport à la période 2014-2016. Au cours de la décennie à venir, environ 8 600 smallsats seront lancés: on estime que 83% le seront dans le cadre de constellations ! Le chiffre d’affaires pour leur production et leurs lancements devrait plus que tripler, passant de 11,35 milliards d’euros pour 2009-2018 à 38,55 milliards d’euros pour 2019-2028. À condition que les investisseurs puissent tenir les échéances financières.

Ce sont les puissants ténors, dits Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple), qui fixent le tempo dans la mise en œuvre de méga-constellations avec des milliers de petits satellites. Ils sont les plus intéressés pour leurs produits et services par la résorption de la fracture numérique à l’échelle planétaire, grâce à une connectivité Internet à haut débit. Trois projets ambitieux sont en train de prendre forme dès le début des années 2020: OneWeb avec le soutien d’Airbus (d’abord avec 648 satellites de 150 kg), Starlink de SpaceX (jusqu’à 12 000 satellites de 225 kg) et Kuiper d’Amazon (3 236 satellites sur plusieurs orbites). Le déploiement des 60 premiers satellites Starlink, le 24 mai dernier, a donné lieu à une pollution lumineuse, qui met en émoi la communauté des astronomes. 

   

Notre Terre sous très haute surveillance

D’autres constellations pour les communications, au moyen de cubesats et de microsats qui sont à l’essai, vont glaner des informations globalement pour des applications IoT (Internet of Things). Il s’agit de collecter très rapidement, pour leur traitement immédiat, les données de milliards de micro-senseurs qui seront implantés sur l’ensemble de notre planète. L’environnement terrestre, les activités humaines, les caprices de la nature, la sécurité des infrastructures (routes, ponts, barrages, réseaux et édifices en tous genres…), les mobiles sur mer, au sol et dans les airs seront sous contrôle de manière presque instantanée. Des relais sur orbite permettront de rapatrier l’important flux de données, lesquelles seront analysées instantanément par des logiciels d’intelligence artificielle ayant recours à des algorithmes performants. Ce qui favorise l’éclosion de start-ups dynamiques. Ainsi, dans le cadre du phénomène NewSpace, le Grand Duché apporte son soutien à la société Kleos Space pour son système de smallsats destinés à géolocaliser à tout moment les mobiles en mer. Des informations qui intéressent les services de protection, les compagnies d’assurances…

L’observation quasi permanente, avec une définition de l’ordre du mètre, de la surface terrestre au moyen de petits satellites de télédétection devient le business de jeunes entreprises dans le monde. Des dizaines de sociétés proposent des constellations de satellites dotés d’optiques ou de radars à hautes performances: ils survolent les mêmes régions à intervalles réguliers pour des prises de vues de plus en plus précises, qui intéressent l’agriculture, l’industrie, l’urbanisme, l’écologie, la défense, la mobilité…
À nouveau, l’intelligence artificielle, avec des algorithmes appropriés, vient au secours des exploitants des images et mesures pour une utilisation selon les besoins. La start-up finlandaise IceEye développe et expérimente avec succès des micro-satellites de moins de 100 kg, dotés d’un Sar (Synthetic Aperture Radar) pour une vision tout temps, de jour comme de nuit. Elle projette une constellation qui comptera jusqu’à 18 smallsats. Reste à voir si les performances nouvelles de la télédétection spatiale pourront convaincre les climato-sceptiques sur le changement de notre environnement.

Microsatellites d’observation en cours de préparation : Prisma chez Carlo Gavazzi Space (Photo: OHB).

Microsatellites d’observation en cours de préparation : BlackSky Global de Spaceflight Industries (Photo: Rocket Lab).

  

Lancements depuis la Nouvelle Zélande ! 

Le déploiement et la maintenance sur orbite de constellations de petits satellites passent par la disponibilité des moyens de lancement. Il faut les positionner sur les trajectoires prévues et remplacer régulièrement les satellites en panne. Des initiatives pour un accès sur mesure à l’espace prennent forme notamment aux États-Unis et en Chine. Ainsi la société américaine Rocket Lab propose des satellisations avec son lanceur Electron qui décolle depuis un promontoire rocheux de la péninsule de Mahia, en Nouvelle Zélande ! Depuis le 21 janvier 2018, jusqu’à la mi-2019, 6 Electron ont servi aux lancements d’une vingtaine de smallsats.

Rocket Lab envisage de réaliser des vols mensuels d’Electron. Mais la concurrence va s’amplifier dès 2020: Virgin Orbit avec sa fusée aéroportée Launcher One et Firefly Aerospace avec son lanceur Alpha doivent encore faire leurs preuves. En Europe, Arianespace compte sur la disponibilité du lanceur Vega pour des services «sur mesure». De son côté, l’Inde spatiale via la société Nsil (NewSpace India Ltd) propose le lanceur à bas coût Sslv (Small Satellite Launch Vehicle); son premier lancement expérimental doit avoir lieu en septembre-octobre. Les Indiens sont d’ailleurs des pionniers pour les mises sur orbite de petits satellites: Proba-1, le premier smallsat made in Belgium était lancé le 22 octobre 2001 par un Pslv (Polar Satellite Launch Vehicle) de l’Isro (Indian Space Research Organisation). 

Le Launcher One de Virgin Orbit: un
premier vol avant la fin de l’année ?

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