Chimie

L’origine des éléments chimiques: poussières d’étoiles

Paul Depovere • depovere@voo.be

NASA’s Goddard Space Flight Center/CI Lab, schéma d’après ©Pearson Education, Inc.

La matière a émergé du vide, il y a environ 13,8 milliards d’années, à la suite d’un phénomène quantique exceptionnel, à savoir l’explosion d’une masse ponctuelle d’une densité et d’une température inouïes et qui contenait les précurseurs hypermassifs des particules élémentaires…

Voilà, en quelques mots, l’hypothèse de «l’atome primitif» telle que l’a formulée un homme d’Église carolorégien, Monseigneur Georges Lemaître, professeur d’astrophysique à l’UCL. Cet évènement fut qualifié de Big Bang par Fred Hoyle, un de ses collègues britanniques, dans un esprit de dénigrement. Ladite explosion créa une énergie thermique colossale avec, pour corollaire, l’amorçage brutal de l’expansion de l’Univers, dont le rayon s’est accru d’un facteur 1030 en 10‒35 seconde. On estime qu’une seconde après le Big Bang, l’Univers devait afficher une température se situant aux alentours de 1010 kelvins (K) et que des quarks de type u (up, charge +2/3) et d (down, charge ‒1/3) s’étaient confinés par 3 en protons (uud, charge +1) et en neutrons (udd, charge 0). L’expansion de la masse gazeuse se poursuivant, la température chuta bientôt à 109 K. À ce moment, chacun des protons – en l’occurrence des noyaux d’hydrogène, 11H, le premier élément du tableau périodique de Mendeleïev (1) – est susceptible de se combiner à 1 neutron (2), pour engendrer des deutérons (21H, un isotope de l’hydrogène). L’adjonction de protons à ces noyaux de deutérium correspond à la synthèse de noyaux d’hélium (32He puis 42He), le deuxième élément du tableau de Mendeleïev. Mais il faudra attendre que les premières étoiles «s’allument» pour que ce phénomène s’accentue et que des noyaux plus complexes apparaissent. Ainsi, quelques minutes après le Big Bang, l’Univers s’était pourvu de noyaux d’hélium (25%) dispersés dans un large surplus de noyaux d’hydrogène (73%), ce qui correspond à 98% de la masse observable de l’Univers. La totalité des éléments supérieurs (de Z = 3 à 92) n’interviendra qu’à raison de 2%.

Naissance des fournaises stellaires

Les choses en restèrent là pendant des millions d’années, l’Univers continuant à s’étendre et à se refroidir. Ce faisant, certaines régions de l’espace, plus denses en matière gazeuse que d’autres, se contractèrent par gravité selon un processus compensé par la pression du gaz chaud qui la dilate. Ainsi naissent les étoiles, sortes de «soufflés» dont la température (107 K) est entretenue par des réactions de fusion nucléaire fortement exothermiques (c.-à-d. dégageant beaucoup de chaleur) (3) qui se poursuivent à partir de noyaux d’hydrogène. Chaque seconde, notre Soleil, par exemple, transforme de la sorte 600 millions de tonnes d’hydrogène en hélium, libérant 20 millions de fois plus d’énergie que la combustion d’une quantité équivalente de charbon. C’est cette énergie colossale (sous forme de photons gamma, s’expliquant par l’équation d’Einstein E = mc2) qui fait briller l’étoile et sert de force expansive pour l’empêcher de s’effondrer sur elle-même. Lorsque, après des milliards d’années, ce combustible – l’hydrogène – vient à manquer, la pression radiative, centrifuge, de l’étoile n’est plus capable de compenser la force de compression gravitationnelle centripète, de sorte que le cœur du soufflé s’effondre. Comme pour n’importe quel gaz comprimé, ceci a pour effet d’en élever la température (jusqu’à environ 2 × 108 K) tout en provoquant une dilatation considérable de l’enveloppe: l’étoile devient une géante rouge

Représentation schématique d’une étoile en pelures d’oignon, avec son cœur de fer

Effondrements en cascade

Après la disparition quasi complète de l’hélium, la géante rouge est incapable de fusionner ses noyaux de carbone, d’oxygène, etc. car son énergie thermique est insuffisante pour surmonter les répulsions électrostatiques. Dès lors, le cœur se refroidit, provoquant un nouvel effondrement de l’étoile: sa masse volumique augmente encore, de même que sa température, ouvrant la voie à de nouvelles possibilités de fusion des noyaux de carbone et d’oxygène correspondant à la synthèse de noyaux de magnésium (Z = 12) et de silicium (Z = 14). Ce type de processus se répète ensuite de manière séquentielle mais avec des laps de temps de plus en plus courts: épuisements du combustible nucléaire suivis d’effondrements et de réchauffements, ce qui permet de «brûler» successivement du néon, du magnésium et du silicium, créant ainsi des noyaux de phosphore (Z = 15), de soufre (Z = 16), d’argon (Z = 18), de calcium (Z = 20) et ainsi de suite jusqu’au fer (Z = 26). Cette chaîne de nucléosynthèses s’arrête aux alentours du noyau 5626Fe, le noyau naturel le plus stable, car au-delà, les processus nucléaires deviennent endothermiques (c.-à-d. absorbent de la chaleur). On comprendra qu’à chaque stade de l’évolution de l’étoile, la création de noyaux plus lourds devient de moins en moins efficace car de plus en plus diversifiée. Ceci explique l’abondance décroissante de ces éléments au prorata de l’augmentation de leur numéro atomique, hormis le cas du fer dont la stabilité particulière justifie son accumulation privilégiée.

Mort de l’étoile: implosion suivie d’explosion

L’étoile a ainsi finalement acquis une structure en pelures d’oignon avec un cœur de fer. Dès que celle-ci a épuisé son dernier combustible nucléaire, son cœur s’effondre brutalement et cette fois sa température diminue: en effet, son incroyable densité provoque des captures d’électrons par les protons, ce qui crée des neutrons tout en expulsant des neutrinos, sorte de transpiration finale de «l’étoile à l’agonie», qui implique un refroidissement. L’effondrement se poursuit jusqu’à l’accolement maximal des noyaux. Mais comme la partie externe de l’étoile continue à s’effondrer sur ce cœur, en le comprimant au-delà du possible, il s’ensuit un rebond de nature explosive (supernova) s’accompagnant d’une onde de choc et d’une chaleur impensables qui provoquent l’éjection dans l’espace intersidéral d’un bon nombre de ses noyaux, en grande partie fragmentés en neutrons rapides. Et ceux-ci peuvent alors être capturés, sans aucune contrainte électrostatique, par les divers éléments préexistants. En cas de capture trop importante de neutrons, lesdits noyaux convertissent certains de ceux-ci en protons (4), ce qui fait augmenter Z en conséquence. C’est de cette manière que se créent les noyaux des éléments supérieurs tels Co (Z = 27), Au (Z = 79), Pb (Z = 82) jusqu’à l’uranium (U, Z = 92). À partir de là, lesdits noyaux se fragmentent par des réactions de fission nucléaire (5), ce qui fait qu’on ne les rencontre pas à l’état naturel. Ainsi, l’explosion d’une supernova ensemence l’espace interstellaire des divers noyaux atomiques qui, par capture d’un nombre approprié d’électron(s), deviennent des atomes élémentaires neutres ainsi que des molécules. Enfin, ces atomes et molécules se sont recondensés et se recondensent encore par gravité pour former des météorites, des planètes (dont la Terre), voire des étoiles à neutrons ou des trous noirs. Mais ceci est une autre histoire…

Le projet ITER

Avec l’aide de 35 pays, un réacteur thermonucléaire de type tokamak est actuellement en construction à Saint-Paul-lez-Durance, en France. Dès 2025, il tentera de réussir sur Terre une réaction de fusion parmi les plus énergétiques qui soient, à savoir l’union de deutérium (21H) et de tritium (31H) confinés à l’état de plasma à 1,5 ×108 K et aboutissant à de l’hélium (42He). Censé produire 500 MW de puissance pour 50 MW engagés, ce réacteur «propre» pourrait résoudre définitivement le problème des ressources d’énergie.


Plus d’infos

· Geoffrey R. Burbidge, E. Margaret Burbidge, William A. Fowler et Fred Hoyle, Synthesis of the Elements in Stars, Reviews of Modern Physics, 29(4), 547-650 (1957).

· La classification périodique des éléments – La merveille fondamentale de l’Univers,
Paul Depovere, 3e édition, De Boeck Supérieur, 2020.

(1) Ce qu’indique le chiffre 1 (numéro atomique Z) placé en indice devant le symbole H, soit 1H. Quant au chiffre placé en exposant, toujours à gauche du symbole d’un élément, comme ici 1H, il s’agit du nombre de masse A, lequel correspond au nombre de protons (et éventuellement de neutrons) que contient le noyau de l’atome considéré.

(2) Ces neutrons sont issus de protons ayant subi une désintégration beta+, c’est-à-dire la perte d’un positron avec émission d’un neutrino, une particule élémentaire de charge nulle et de masse très faible.

(3) Union de plusieurs noyaux atomiques légers (hydrogène, deutérium, etc.) aboutissant à un noyau plus lourd.

(4) À la suite d’une désintégration beta, c’est-à-dire la perte d’un électron avec émission d’un antineutrino, l’antiparticule du neutrino.

(5) Division d’un noyau d’atome lourd (uranium, plutonium, par ex.) en 2 ou plusieurs fragments.

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