Chimie

Les prix Ig Nobel

Paul DEPOVERE • depovere@voo.be

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Les prix Ig Nobel (comprenez «ignobles» ou indignes, c’est-à-dire peu reluisants) sont des prix parodiques qui sont décernés depuis 1991 à des personnes dont les découvertes ou les travaux semblent apparemment risibles, voire inutiles. Ces prix patronnés par la revue d’humour scientifique Annals of Improbable Research couronnent, à l’Université Harvard, (ce qui n’est pas peu dire !) des prouesses hors du commun. Dans un premier temps, elles sont censées faire rire pour, ensuite, appeler à la réflexion. Et, si au total, la curiosité du public vis‑à-vis de la science est attisée, le but pédagogique est atteint. Voici quelques exemples de prix Ig Nobel de chimie choisis parmi les plus édifiants

 
Prix 1991 et 1998, décernés à Jacques Benveniste, un médecin et immunologiste français, pour sa conviction que l’eau est un liquide intelligent et doué d’une mémoire. Ayant acquis une notoriété incontestable lors de sa découverte d’un facteur activateur des plaquettes sanguines, ce brillant scientifique fera l’objet d’une vive polémique au sujet d’une prétendue mémoire de l’eau, s’impliquant peut-être dans le cadre de recherches en homéopathie. L’eau conserverait les propriétés d’une substance qui ne s’y trouverait plus à la suite de hautes dilutions. Discrédité, il devra quitter l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale où il travaillait.


Prix 1994, décerné à Bob Glasgow, sénateur de l’État du Texas, auteur avisé d’une législation logique, pour avoir soutenu la loi de 1989 sur le contrôle des drogues rendant illégal l’achat de béchers, fioles, éprouvettes ou autres verreries de laboratoire sans permis.


Prix 1995, décerné à Bijan Pakzad ‒ le couturier des stars à Beverly Hills ‒, pour avoir créé les produits «ADN de Cologne» et «ADN de parfum», qui ne contiennent ni l’un ni l’autre d’acide désoxyribonucléique et qui sont tous deux présentés dans un flacon ayant une forme hélicoïdale. 


Prix 1996, décerné à George H. Goble, de l’Université Purdue dans l’Indiana, pour avoir réussi à allumer un barbecue en un temps record ‒ moins de 3 secondes ‒ en utilisant du charbon de bois et de l’oxygène liquide ! Au vu du danger, les pompiers du campus de West Lafayette lui ont interdit de se balader à l’avenir avec de l’oxygène liquide près d’un barbecue !


Prix 2000, décerné à Donatella Marazziti, Alessandra Rossi et Giovanni B. Cassano (Université de Pise) ainsi qu’à Hagop S. Akiskal (Université de Californie à San Diego), pour avoir découvert que, du point de vue biochimique, l’amour romantique présente les mêmes caractéristiques qu’un trouble obsessionnel compulsif (TOC): ces 2 états impliquent un taux sanguin anormalement bas de sérotonine (5-hydroxytryptamine), le neurotransmetteur bien connu.


Prix 2007, décerné à Mayu Yamamoto, une chimiste travaillant au Centre médical international du Japon, pour avoir mis au point une méthode peu coûteuse d’extraction de la vanilline ‒ le principe odorant de la vanille ‒ à partir de bouse de vache soumise à un traitement thermique préalable. Comme telle, cette molécule est utilisable pour confectionner des shampoings et autres bougies parfumées.


Prix 2010, décerné à Eric Adams, Scott Socolofsky et Stephen Masutani, pour avoir réfuté la vieille croyance selon laquelle le pétrole et l’eau ne sont pas miscibles. Il n’est pas sûr que cela fasse rire les victimes de l’effroyable marée noire qui sévit dans le golfe du Mexique entre avril et septembre 2010, à la suite de l’explosion de la plate-forme offshore Deepwater Horizon: plus de 700 millions de litres de pétrole se seraient déversés du puits !


Prix 2013, décerné au professeur japonais Shinsuke Imai et à toute son équipe pour avoir inventé des oignons qui ne font pas pleurer. Ces chercheurs ont identifié le facteur responsable de l’apparition de larmes lorsqu’on coupe ou hache des oignons. Il s’agit d’une enzyme ‒ de type alliinase ‒ qui est séquestrée dans les cellules du végétal et qui, lors de la destruction de celles-ci, est libérée afin de transformer un précurseur, en l’occurrence un acide sulfénique, ce qui crée le facteur lacrymogène. Le professeur Imai a réussi à générer une variété d’oignon dans laquelle la concentration en alliinase est très faible.


Prix 2015, décerné à Callum Orlando et Colin Rason (Australie) pour l’invention d’une méthode permettant de dé-cuire partiellement des œufs. Le mélangeur vortex fluidique qui permet de liquéfier à nouveau le blanc d’œuf coagulé est utilisé pour augmenter l’efficacité du carboplatine, une molécule anticancéreuse utilisée notamment dans le traitement des cancers des ovaires et des cancers bronchiques.


Prix 2018, décerné à Paula Romão, Adília Alarcão et César Viana, pour avoir mesuré à quel degré la salive humaine était un bon agent de nettoyage pour des surfaces sales. 
 
 

Qu’on ne se méprenne pas pour autant…

Il est arrivé qu’un lauréat d’un prix Ig Nobel reçoive un prix Nobel authentique quelques années après ! Ainsi, Andre Geim, un chercheur néerlandais d’origine russe, illustra à l’Université Radboud de Nimègue un tel exploit. Il avait réussi avec l’aide d’aimants à faire léviter une grenouille, ce qui lui valut le prix Ig Nobel de physique en 2000. Dix ans plus tard, Gleim recevra un vrai prix Nobel de physique pour ses travaux sur le graphène qu’il avait isolé avec Konstantin Novoselov. Il s’agit de cristaux bidimensionnels (monoplans) de carbone dont l’empilement constitue le graphite.

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