Mathématiques

De l’urine dans votre jus d’orange ?

Nathan UYTTENDALE, alias Chat Sceptique • chatsceptique@gmail.com
   youtube.com/chatsceptique 

Jules César a-t-il fait pipi dans votre jus d’orange du matin ? Y trouve-t-on aussi de l’urine de dinosaure ? La réponse, étonnante, est oui ! C’est en tout cas ce qu’affirment les statisticiens. Pour comprendre comment ils sont arrivés à cette drôle de conclusion, nous devons apprendre à penser comme eux, plus précisément nous plonger dans la théorie des probabilités. Ne boudez pas, ça va bien se passer: vous lisez Athena   

Quelle est la probabilité qu’un évènement  (voir définitions ci-dessous) soit réalisé ? Il suffit de compter le nombre d’éléments dans le sous-ensemble lié et de diviser par le nombre d’éléments de l’univers. La probabilité d’obtenir un résultat pair au lancer d’un dé, c’est donc le nombre d’éléments du sous-ensemble {2, 4, 6} divisé par le nombre d’éléments de l’ensemble {1, 2, 3, 4, 5, 6}, c’est-à-dire 3 divisé par 6 ou encore ½. Nous avons 50% de chances d’obtenir un nombre pair !

Attention, il y a un prérequis pour pareil calcul: que chacun des résultats possibles de l’expérience aléatoire soit aussi probable que les autres (mot‑clé: équiprobable). Cela fonctionne bien avec un dé équilibré (toutes les faces sont équiprobables), mais beaucoup moins avec le chat qui sort peut-être dans 60% des cas quand on lui ouvre la porte et reste à l’intérieur dans 40% des cas: 60 vs. 40, les 2 résultats possibles de l’expérience aléatoire du chat ne sont pas équiprobables !

Notez un détail important: si les chances qu’un évènement se réalise sont de 70%, alors les chances qu’il ne se réalise PAS sont 100%-70%=30%. Si la probabilité d’obtenir la valeur 4 au dé vaut 1/6, alors les chances de ne PAS obtenir la valeur 4 sont 1-1/6 (ce qui fait 5/6).

Revenons-en à l’urine de Jules César. L’urine est très largement composée de molécules d’eau, les mêmes molécules qu’on trouve dans les lacs, les océans ou sous forme de glace et neige sur les sommets des montagnes. Et les molécules d’eau sont si petites qu’il y en a davantage sur Terre qu’il y a d’étoiles et de planètes dans toute notre galaxie ! Combien de molécules d’eau sur Terre au juste ? Pas 10 000, pas 100 000 000 000 000 000 000 000 000, mais dans les environs de 1046, c’est-à-dire le chiffre 1 suivi de 46 zéros. Si on admet que Jules César a uriné 2 litres par jour pendant 50 ans, cela concerne environ 1030 molécules qu’il aurait urinées durant sa vie entière: un nombre énorme bien que considérablement moindre que le nombre de molécules d’eau sur Terre.

Prenons une molécule d’eau au hasard sur Terre. Quelles sont les chances de tomber sur une des molécules urinées par Jules ? Le fait qu’on travaille avec des grands nombres ne change pas la théorie: on doit diviser 1030 par 1046, donnant 1/1016 ou encore 1/10 000 000 000 000 000. C’est incroyablement faible et on peut donc dire que les chances de ne PAS se retrouver avec une molécule de Jules sont 1-1/1016, ce qui fait presque 100%. Les calculs cesseraient ici si un verre de jus d’orange ne contenait qu’une unique molécule d’eau. Mais un verre de jus d’orange en contient environ 1024. Et ceci va tout bouleverser.

Faites vos jeux, rien ne va plus !

• Quelles sont les chances de faire un double 4 quand on lance un dé ?
à 1/6 x 1/6

•  Quelles sont les chances d’un triple 4 ?
à 1/6 x 1/6 x 1/6

• Quelles sont les chances de ne PAS obtenir la valeur 4 sur aucun des 3 lancers ?
à (1-1/6) x (1-1/6) x (1-1/6)

• Quelles sont les chances de ne PAS obtenir la valeur 4 sur 10 lancers ?
à (1-1/6)10

•  Quelles sont les chances de ne PAS tomber sur une molécule d’eau urinée par Jules César sur 1024 molécules ?
à (1-1/1016)24, ce qui fait pratiquement… 0%.

Comment est-ce possible alors qu’on vient de calculer que si on prend une molécule d’eau au hasard sur Terre, les chances qu’elle ait été urinée par Jules sont proches du néant ? Tout simplement parce que le verre de jus contient tellement de molécules qu’il devient certain qu’on gagnera le jackpot au moins une fois ! Le 1/1016 (probabilité de tomber sur une molécule de Jules) ne fait pas le poids face au 1024 (nombre de molécules dans le verre).

Pire: avec la même logique, on peut conclure que le verre contient aussi de l’urine de dinosaure !!! Dégouté ? Bonne nouvelle: la mémoire de l’eau n’a jamais été prouvée de façon convaincante… ce qui signifie que le passé des molécules d’eau d’un verre, qu’elles aient été bues par Jules ou par un dinosaure, est sans importance. En fait, le plus inquiétant dans un verre de jus d’orange, c’est la quantité de sucre très élevée, autant que dans un soda: avec modération, donc !

MATHS, STATS, PROBAS

La théorie des probabilités est souvent décrite comme une branche de la «statistique», elle-même souvent décrite comme une branche des mathématiques. La statistique a toutefois connu un essor si fulgurant depuis le 19e siècle qu’elle est de plus en plus souvent considérée comme une discipline à part entière, bénéficiant de ses propres centres de recherche et d’enseignement, comme c’est le cas à Louvain-la-Neuve où l’on trouve l’ISBA (Institut de Statistique, Biostatistique et sciences Actuarielles).

Les débuts de l’étude des probabilités correspondent aux premières observations du hasard dans les jeux ou dans les phénomènes climatiques par exemple, observations qu’on faisait déjà du temps de la Rome antique il y a 2 000 ans. Mais la formalisation mathématique actuelle n’est que très récente, elle date du début du 20e siècle avec le Russe Kolmogorov (1903-1987).

 
Quelques définitions

Une expérience aléatoire est définie comme toute expérience dont l’issue est impossible à déterminer à l’avance. L’exemple un peu nul souvent donné dans les livres de statistique est le lancer d’un dé à 6 faces: à moins que l’on triche, impossible de déterminer à l’avance si le dé tombera sur 1, 2 ou 6, c’est donc bien une expérience aléatoire. Il en est de même quand on ouvre la porte au chat à sa demande: va-t-il sortir ou juste nous narguer et rester à l’intérieur (1) ?

L’univers est l’ensemble des résultats possibles d’une expérience aléatoire. Dans le cas du dé, c’est l’ensemble
{1, 2, 3, 4, 5, 6}. Dans le cas du chat, c’est l’ensemble {est sorti, n’est pas sorti}.

Un évènement est tout sous-ensemble de l’univers. Par exemple, l’évènement {2, 4, 6} est bien un sous-ensemble de {1, 2, 3, 4, 5, 6}. En français, l’évènement {2, 4, 6}, c’est «obtenir un résultat pair quand on lance le dé». L’évènement est déclaré réalisé si le résultat de l’expérience aléatoire est effectivement un nombre pair, c’est-à-dire fait partie de l’ensemble {2, 4, 6}.

(1) Toute ressemblance avec une situation vécue, par l’auteur par exemple, est purement fortuite      

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