Dossier

Transparente et fragile comme du verre

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C’est une génération pas comme les autres, celle des enfants et adolescents nés après 2010. Imprégnés du monde virtuel, qu’ils sont les seuls à avoir toujours connu, ils tendent à y construire leur identité en se mettant en scène sur les réseaux sociaux. Cette génération vit également sous un flot ininterrompu d’informations anxiogènes. Elle est à la fois transparente, car ses membres sont enclins à tout dévoiler d’eux-mêmes, et fragile. Elle est comme le verre… 

Toutes les générations ont leurs spécificités, mais certaines se démarquent plus que d’autres de leurs devancières. C’est le cas de la «génération de verre», celle des enfants nés après 2010, avec cette particularité d’avoir grandi dans un monde entièrement digitalisé, de ne jamais avoir connu un monde sans réseaux sociaux. «Pour nombre de ces enfants, leur identité numérique a même précédé leur identité physique: un tiers des parents prennent l’initiative de diffuser dans l’espace numérique une photo de l’échographie prénatale de leur futur bébé», souligne le professeur Bruno Humbeeck, psychopédagogue et directeur de recherche au sein du service des Sciences de la famille à l’Université de Mons (UMons).

Dans La génération de verre (1), un essai publié cet hiver aux Éditions Mardaga, il insiste sur 2 caractéristiques cardinales de cette nouvelle génération: sa transparence et sa grande fragilité. C’est pourquoi elle éveille la métaphore du verre. Cette génération a toujours été immergée dans un univers où la publication de contenus numériques a pratiquement été érigée en règle, où chacun, ou presque, ressent le besoin, pour exister vraiment, d’alimenter le monde virtuel de tous. «Dans un tel monde, écrit le professeur Humbeeck, l’image publique, l’image privée et l’image sociale de soi ont tendance à former un véritable nœud au sein duquel il est devenu de plus en plus difficile de distinguer l’une de l’autre.» La dérive consistant à devenir transparent en livrant tout de soi sur les réseaux sociaux, ce que nous avons vécu, ce que nous faisons, ce que nous pensons, mais aussi nos fantasmes ou encore des parties «intimes» de notre corps, fait florès. Et puisqu’elle a baigné dès sa naissance dans le monde numérique, la génération de verre est sans surprise celle qui s’est le plus inféodée à cette norme d’un partage quasi illimité de soi.

Le professeur Humbeeck évoque le risque d’une «tyrannie de la transparence» qui mélange pernicieusement ce qui relève de l’intimité et ce qui tient de l’intime. L’intimité appartient à la vie privée, mais certaines de ses composantes sont susceptibles d’être rendues publiques quand les révéler n’est pas de nature à nuire à la construction identitaire de la personne concernée ni à constituer un véritable danger pour elle. Exemple: le ou la ministre qui en vient à révéler ses revenus. L’intime, en revanche, est confiné dans des frontières qui doivent rester hermétiques et intangibles, quels que soient la pression sociale exercée et le caractère plus ou moins permissif de la société. Ainsi, nulle pression sociale ne peut inciter ou obliger quelqu’un à exposer sa nudité, à faire part de ses fantasmes et pratiques sexuels ou à se mettre en scène dans des conduites à caractère sexuel. Sous le poids des réseaux sociaux, qui ont instillé une culture du «grand déballage», les enfants et adolescents de la génération de verre manifestent une forte propension à ne plus opérer de distinction entre l’intimité et le monde intime, mettant par là même en grand danger leur construction identitaire et l’estime de soi. «Plus encore que l’exposition de l’intimité, l’effraction de l’intime produit un ébranlement de l’identité dont il est parfois difficile de se relever quand l’image publique broie les frontières dont l’image de soi entendait précisément préserver l’étanchéité», dit Bruno Humbeeck dans son livre.

 
Se mettre en scène

La construction de l’identité se réalise à travers un processus dont la finalité est double: ressembler aux membres de groupes – les groupes d’appartenance – auxquels on aspire à être intégré et s’en singulariser suffisamment pour pouvoir se prétendre unique. L’adolescent se livre ainsi à un exercice d’équilibriste, de sorte que ses comportements peuvent parfois sembler paradoxaux, contradictoires, et éveiller de l’étonnement, de la réprobation ou de la dérision chez les adultes. Par exemple, lorsqu’il cherche à faire valoir son originalité par des postures antisystème, mais succombe parallèlement à des effets de mode en se cantonnant notamment dans des marques en vogue sur le plan vestimentaire. Mais l’essentiel n’est sans doute pas là. Sous l’empire des réseaux sociaux, l’image que l’on donne de soi est reine; l’identité tend à se restreindre à la sphère virtuelle et l’estime de soi, qui se bâtit théoriquement sur l’image de soi, la connaissance de soi et l’amour de soi, fait largement fi des 2 dernières composantes, spécialement sous l’égide de réseaux comme TikTok, alors que, de surcroît, la première, l’image de soi, est triturée pour attirer le «chaland». Car pour la génération de verre, la préoccupation n’est pas tant de se présenter, mais de se vendre. Il faut être vu et recueillir un maximum de «likes». Ainsi que l’explique le professeur Humbeeck, les adolescents ont complètement changé de paradigme. Qu’écrit-il à ce sujet ? «Nourris aux écrans depuis leur naissance, les adolescents ne sont plus ces bêtes sauvages qu’il fallait traquer patiemment en se tenant à l’affût pour espérer les photographier. Ils se sont parfois métamorphosés en bêtes de foire avides d’être pris en photo et toujours prêts à réaliser une mise en scène d’eux-mêmes qui les met en valeur et les donne en spectacle.»

Dans leur propension presque irrépressible à attirer l’attention sur les réseaux sociaux, les jeunes de la génération de verre sont très friands de «réels», de courtes vidéos où ils se produisent afin de toucher un public virtuel aussi large que possible et, mieux encore, de le fidéliser. Pour parvenir à leurs fins, ils s’adonnent fréquemment au jeu d’une surenchère quelquefois sans limite. Les défis, les conduites à risque constituent un invariant culturel qui a traversé toutes les époques. Pensons à La course des dégonflés, la scène mythique de La fureur de vivre où Jim Stark, le personnage interprété par James Dean, et son rival se lancent le défi de sauter le plus tard possible de leurs voitures fonçant tout droit vers le bord d’une falaise. La nouveauté est qu’à l’heure des réseaux sociaux, les défis se déroulent devant un public potentiellement énorme et que ceux qui jettent le gant éprouvent généralement le sentiment de perdre la face. «Sur TikTok, par exemple, les conduites à risque peuvent devenir particulièrement dangereuses», indique Bruno Humbeeck.

Pour le psychopédagogue, les réseaux sociaux s’acquittent moins d’une fonction de communication que d’installation du prestige de soi. Il conseille aux parents de prendre connaissance du tutoriel qu’Instagram propose aux adolescents d’une douzaine d’années pour réaliser des «réels». Quelques points: mettre une musique tendance, proposer un call-to action (passage à l’action), interagir en répondant aux commentaires des spectateurs, inciter à rejouer la vidéo («Il faut donc capter l’attention à tout prix et en faire toujours plus»), utiliser des filtres pour faire effet… Des filtres: oui, il est conseillé de trafiquer les images pour camoufler les défauts et imperfections de son corps. «Ces images falsifiées ne correspondent évidemment pas à la connaissance effective que l’adolescent à de lui et mettent en avant des qualités qu’il sait ne pas posséder», précise le professeur Humbeeck. D’où une estime de soi vacillante d’autant que dans son élaboration, seules quelques miettes ont été laissées tant à la connaissance de soi qu’à l’amour de soi. Et si l’adolescent ou l’adolescente finit parfois par être dupe de son image idéalisée, les retours de manivelle risquent d’être sévères. Par exemple, en cas de rupture amoureuse lorsque son ex-compagne ou son ex-compagnon exhibe dans l’espace numérique son bonheur d’être avec un ou une autre. «Les difficultés qu’éprouvent les adolescents à réguler l’envie, la honte, l’humiliation… sont plus intenses chez ceux qui sont nés après 2010 car ils ont toujours connu l’omniprésence des réseaux sociaux sans que ni l’école ni la famille ne leur aient appris à gérer leur image», estime le professeur Humbeeck.

Fulgurance
informationnelle

La seconde grande caractéristique de la  génération de verre est sa fragilité. Elle résulte  en partie de la première, la transparence, eu  égard aux conséquences délétères que celle-ci  peut engendrer. Mais elle s’enracine  également, et surtout, dans des crises  majeures, très anxiogènes, qui se sont  imposées à cette génération alors que ses  membres, encore mal assurés sur leur socle,  étaient à l’âge où l’on cherche à se construire  une identité. Le premier traumatisme qui  ébranla particulièrement les jeunes nés après  2010 fut sans conteste la pandémie de la  Covid-19 avec les mutations de son virus et  ses rebonds qui pouvaient laisser craindre  qu’«on n’en sortirait jamais». Vint ensuite la  guerre en Ukraine, un conflit qui se déroule à  nos portes et dont certains avancent qu’il  pourrait les franchir. «Jusqu’alors, les images  de guerres concernaient des époques ou des  pays différents des nôtres, africains par  exemple. Cette fois, ces différences sont  abolies et règne un sentiment de proximité  générateur d’anxiété», commente Bruno Humbeeck. Au choc créé par la  pandémie et au spectre d’une guerre qui nous toucherait directement s’ajoute l’idée  d’une planète en plein essoufflement, qu’il  faut sauver. L’éco-anxiété constitue un  troisième vecteur de profond malaise, auquel  se greffe encore une forme d’anxiété plus  individuelle découlant des incertitudes  générées par la crise économique et un  univers socioprofessionnel en mutation,  lequel, selon le professeur Humbeeck, «rend naturellement flous tous les projets  d’avenir trop précis dans la mesure où 80% des métiers qui seront disponibles sur le  marché de l’emploi dans 10 ans ne sont pas  encore connus». Probablement, les enfants et  adolescents de la génération de verre sont-ils  encore trop jeunes pour théoriser de telles données; il n’empêche qu’elles  imprègnent le climat ambiant. Aussi, contrairement à leurs homologues des  générations précédentes, y compris la «génération Z», ultime devancière de la  génération de verre, les jeunes nés après 2010  peinent-ils à se prononcer hic et nunc sur le  choix d’un métier qu’ils ambitionneraient  d’embrasser lorsqu’ils seront adultes. 

Un phénomène inédit contribue fortement à  la fragilisation de cette jeune génération qui a été accoutumée dès son éclosion à une  exposition continue aux écrans: le flux  incessant d’informations qui lui (et nous)  parviennent en temps réel et qu’elle capte sans prendre le recul nécessaire pour les  analyser et les hiérarchiser, mais dont elle  incorpore la charge d’anxiété. «Le vrai danger  n’est pas l’accumulation d’informations, mais  leur superficialité», soutient Bruno Humbeeck.  Quand on scrolle, on peut  passer de l’image de détresse d’une mère à Gaza à celle d’une anecdote loufoque. Nos  neurones miroirs, ceux qui nous permettent de décrypter et «ressentir» les  émotions d’autrui, n’ont plus le temps de  fonctionner adéquatement dans ce climat de  fulgurance informationnelle, à telle enseigne qu’on assiste à ce qu’il est convenu  d’appeler une «dérégulation empathique», toute information, importante  ou futile, tendant à être traitée de manière identique. Ce phénomène est  particulièrement saillant chez les jeunes de la génération de verre. Non encore arrivé à  maturité, leur cerveau contient davantage de  matière grise (neurones) que celui des adultes,  mais moins de matière blanche, de  connexions entre régions cérébrales et au sein  de ces dernières. Autrement dit, le cerveau de  l’adolescent est à même de collecter des  informations à foison, mais est moins apte à  les relier les unes aux autres, à autoriser une  distance critique. Dès lors, le jeune risque  d’être prompt à adhérer aux théories  complotistes qui lui sont proposées, d’autant  qu’il gravite essentiellement dans l’entre-soi que les algorithmes des réseaux sociaux lui  ont attribué et qui entretiennent chez lui la  conviction que le monde est son monde.  «Nous n’avons pas bien mesuré la  transformation sociétale qui s’est opérée en  quelques années. Du bulletin d’information le  soir à 20 h, nous sommes passés à une pluie  continue d’informations sur Internet et sur les  réseaux sociaux. Face à ce  bouleversement, l’enseignement doit changer  de nature. Il ne doit pas surajouter des informations à celles que l’adolescent a  déjà recueillies, mais lui apprendre à creuser  les savoirs, ce qui est le support de la véritable  érudition», souligne le professeur Humbeeck. 

HYPOSENSIBILITÉ
OU HYPERSENSIBILITÉ ?

Vu le bombardement incessant  d’informations dont ils font l’objet et  leur peur d’en manquer certaines à  l’intérieur de leur algorithme, leur  «bulle informationnelle», les  adolescents de la génération de verre  ont des neurones miroirs (les «neurones de l’empathie») qui  peinent à remplir leur fonction. Faut-il  en déduire que la rétivité de ces  neurones à générer des émotions  empathiques dans ce contexte de  surinformation exacerbé forge une  génération d’humains froids, insensibles ? La question se  justifie d’autant plus qu’à travers les  défis qu’ils encouragent, les réseaux  sociaux portent au pinacle l’image du  héros hyposensible que  l’adolescent est alors enclin à  assimiler à un idéal à atteindre dans  le monde virtuel. «Dans la réalité,  toutefois, ces adolescents ne sont  absolument pas hyposensibles, mais  souvent hypersensibles, explique le  professeur Humbeeck. 

C’est même la raison pour laquelle on stigmatise leur anxiété, celle-ci n’étant jamais que le reflet d’une sensibilité à l’environnement et aux signaux qu’il émet. Ces jeunes ont d’ailleurs une appétence pour les spectacles de la nature et le merveilleux comme en témoigne leur intérêt pour la série de films Harry Potter, par exemple.» Le psychopédagogue considère que les adultes – parents et enseignants – doivent nourrir l’enchantement d’une génération consciente des difficultés du monde actuel plutôt que de suivre l’industrie pharmaceutique dans sa tendance à proposer des molécules destinées à éteindre l’anxiété à tout prix, même quand elle ne s’avère pas invasive. «En voulant pathologiser toute forme d’anxiété, on risque de créer une génération qui s’imaginera qu’elle est malade et engendrer chez elle des formes d’hyposensibilité», insiste-t-il.

 
Des mots très durs

La génération de verre est en proie à une anxiété qui la fragilise. Néanmoins, il ne faudrait pas que celle-ci soit systématiquement perçue comme un symptôme de pathologie mentale. Il convient de faire la part des choses entre une anxiété lucide qui représente un indice d’intelligence et d’adaptation dans une société anxiogène et une anxiété invasive qui perturbe le bon fonctionnement de l’adolescent, le jetant en pâture à une anxiété généralisée, des phobies, des attaques de panique ou encore des TOC. Mais plus que ses adolescents, c’est la société actuelle qui est malade. «L’anxiété qui les fragilise relève d’un questionnement légitime témoignant d’une intelligence inédite», affirme notre interlocuteur. Et d’ajouter: «Les adultes doivent se garder de pathologiser cette génération et s’interroger avec elle sur les facteurs anxiogènes propres à notre époque, et ce, sans entretenir un climat de morosité susceptible de faire d’une génération fragile une génération désenchantée. L’optimisme béat est à proscrire, mais un optimisme intelligent est à prôner.»

Transparents et fragiles, les jeunes de la génération de verre sont de surcroît stigmatisés à outrance. D’aucuns parlent d’une «génération sacrifiée», de «googelisation des cerveaux» ou encore d’une «génération de crétins». En 2019, le neuroscientifique Michel Desmurget publiait d’ailleurs au Seuil un essai intitulé La fabrique du crétin digital. Le contenu de l’ouvrage était cependant plus nuancé que son titre. Il n’empêche que de nombreux adultes, qui envisagent avec superficialité les questions soulevées par la génération de verre, ont le sentiment que les enfants et adolescents qui la constituent ne s’intéressent qu’aux réseaux sociaux et ne s’occupent que de futilités.

Les mots très durs qui s’abattent sur ces jeunes ne peuvent que renforcer leur fragilité et éroder leur estime de soi. L’expression «génération sacrifiée», par exemple, fait principalement allusion à la suspension de périodes de cours dans les écoles durant la pandémie de la Covid‑19. Certains se sont empressés de brandir les résultats des enquêtes internationales PISA (2), en perpétuel déclin, pour soutenir l’idée d’une forme de décadence. «En réalité, les retraits d’instruction ne provoquent aucune mise en veilleuse de l’intelligence mais simplement des retards qui se résorbent sans peine dans la durée et ne provoquent un véritable dégât que si, en ne se souciant pas des plus fragiles, on remet le système en mouvement trop brutalement sans souci d’évaluation et de remédiation», écrit Bruno Humbeeck. En outre, juger inférieure la génération qui suit la sienne est un réflexe vieux comme le monde; il a pour but de consacrer la supériorité de sa propre génération. Mais dans le cas de la génération de verre, la stigmatisation est plus dommageable car, nous l’avons vu, les circonstances l’ont rendue particulièrement anxieuse. Pandémie, guerre en Europe, planète en danger: pas seulement ! Le trait est grossi à la fois par la surabondance de l’information mais aussi par son caractère essentiellement visuel. Or, l’image alimente davantage l’anxiété – et partant, la fragilité – que les autres modes de communication, lesquels sont plus aptes à l’analyse des situations et événements. «Des images de villes détruites qui ressemblent à Bruxelles sont très déstabilisantes pour un enfant ou un adolescent, surtout si elles sont diffusées à l’envi», précise le professeur Humbeeck.

Selon lui, il importe que les parents et les enseignants admettent qu’à l’heure actuelle, les jeunes sont traversés par des émotions plus intenses que celles qui ont touché leurs prédécesseurs. Dans son essai, il soulève également une interrogation: ne doit-on pas revoir à la baisse nos ambitions en matière de bonheur ? La quête d’un bonheur intense, auquel on pourrait attribuer une cote de 9 sur 10, paraît globalement illusoire, mais surtout à notre époque. Nonante pour cent des jeunes issus de la «bof génération» (3), cette génération peu engagée, se déclaraient relativement ou très heureux, contre 45% seulement de leurs homologues de la génération de verre. Pourquoi ? Sans doute parce que ces derniers s’imaginent qu’on attend d’eux une forme de «félicité» en total décalage avec les paramètres du monde actuel.

Les «gardiens du seuil»

Face à la transparence, fondation supposée du prestige de soi par réseaux sociaux interposés, l’éducation doit se modifier en profondeur pour tenir compte des réalités nouvelles et ainsi devenir le vecteur d’une gestion responsable de l’image de soi, à même d’établir une scission entre l’intime, dont les frontières doivent demeurer cadenassées, et l’intimité. À cette fin, l’auteur de La génération de verre préconise une présence parentale virtuelle afin de sortir les adolescents de l’illusion d’un entre-soi que leur confèrent des réseaux comme TikTok. Il faut faire en sorte que cette présence soit discrète mais apparaisse comme possible, fût-elle rare. Un contrôle indirect visant à ce que l’adolescent pense à s’assurer que chaque image qu’il diffuse sur les réseaux sociaux puisse être jugée acceptable par ses parents. «Dans le cas contraire, mieux vaut faire part de son malaise plutôt qu’employer des formules telles que ″Tu devrais avoir honte de t’afficher de cette manière !″. En effet, une attaque frontale risque de susciter chez le jeune un repli défensif éventuellement rehaussé d’agressivité», pense Bruno Humbeeck. De même, une intervention directe dans l’espace numérique de l’adolescent n’est pas appropriée. Cette intrusion dans le groupe qu’il forme avec ses pairs serait vécue comme éminemment intrusive et humiliante. Quant aux dégâts sur l’estime de soi que peut occasionner la dissonance entre l’image idéalisée de l’adolescent par le jeu des filtres, d’une part, et son image réelle, d’autre part, ils doivent pousser les parents à toujours valoriser la seconde – «Nous, nous te préférons tel que tu es dans la réalité

Transparents et fragiles, les jeunes de la génération de verre sont de surcroît stigmatisés à outrance. D’aucuns parlent d’une «génération sacrifiée», de «googelisation des cerveaux» ou encore d’une «génération de crétins»

Interdire l’accès d’un adolescent aux réseaux sociaux aurait, entre autres conséquences, de le marginaliser. Il est préférable que les parents définissent des limites, soient ce que le psychopédagogue de l’UMons appelle les «gardiens du seuil». Surtout que, souvent désorientés, les adolescents de la génération de verre sont demandeurs de repères. Avec eux, le mépris, la raillerie, le désintérêt, le dénigrement ne sont pas de mise. Ainsi que le souligne Bruno Humbeeck dans son livre, 4 principes directeurs devraient guider l’action des parents (et, à un autre échelon, de l’école): «être disponible sans être envahissant, partager l’anxiété en restaurant la confiance, être intéressé par tout ce que vit l’adolescent sans paraître intrusif, être tolérant sans se révéler permissif». C’est alors que le verre aura toutes les chances de briller et de s’iriser.

(1) Bruno Humbeeck, La génération de verre, Éditions Mardaga, 2024.

(2) Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est une vaste enquête organisée tous les 3 ans par l’OCDE. Il évalue les savoirs et compétences des jeunes de 15 ans en lecture, mathématiques et sciences.

(3) Génération de ceux qui ont eu entre 15 et 20 ans au début des années 1980 et qui s’est passionnée pour le «live-aid» sans pour autant se soucier de la famine au Darfour…

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