Espace

Quoi de neuf dans l’espace ?

Théo PIRARD  •  theopirard@yahoo.fr

ESA, ESA-Arianespace, Belgacom, CASC

Depuis 1968, l’Europe spatiale est bien présente en Wallonie. Elle a
décidé de renforcer cette présence autour de nouvelles activités pour
l’éducation et la sécurité. Dans une cuvette naturelle, à l’orée du village
ardennais de Redu (commune de Libin), l’ESA (European Space Agency)
exploite depuis un demi-siècle une station pour la poursuite, le contrôle de
satellites et leurs tests sur orbite. Ainsi Redu, qui fait partie de la commune
de Libin, s’est donné la vocation d’être au service de l’Europe dans l’espace

Le 3 juillet, une célébration d’anniversaire pour les 50 ans de l’ESA à Redu était l’occasion d’officialiser l’ESEC (European space Security & Education Centre), nouvelle appellation pour l’infrastructure de la station. Celle-ci n’a pas cessé de diversifier ses missions avec le soutien de l’État belge. Ce qui l’oblige à s’agrandir. 

Qu’en est-il de cet agrandissement ?

Un important chantier est en cours à l’ESEC. Un nouveau bâtiment, baptisé Sirius, sort de terre. Il doit, durant l’été 2019, remplacer le premier cœur de la station qui datait de 1968. Il servira à ­abriter les salles d’opérations, les salles techniques et le personnel ESA, ainsi que les contractants dans une construction respectueuse de l’environnement (grâce à des panneaux solaires), conçue dans une optique d’optimisation (avec un parking) pour le bien-être des équipes qui s’y relaieront. Ce bâtiment était nécessaire pour permettre la continuité des opérations à Redu dans les meilleures conditions. L’ancien édifice va être l’objet d’une importante rénovation, car il accueillera des activités pour des tiers, comme les sociétés Rhea, Vitrociset, Rss (Redu Space Services), Créaction…, ainsi que pour de nouveaux projets de l’ESA.

Jeunes ingénieurs et chercheurs d’Europe : rendez-vous à Transinne-Libin pour une formation en technologie spatiale. Photos ESA

Quel rôle joue l’ESEC de Redu, désormais pôle d’attraction pour des industries de pointe dans le domaine spatial ?

Le centre spatial de Redu assure le contrôle et l’exploitation des Proba, les plus petits satellites opérationnels de l’ESA: Proba-1 (lancé en octobre 2001) pour des images de la surface terrestre, Proba-2 pour des observations de l’activité solaire, Proba-V(egetation) pour un suivi quotidien de notre environnement. Il est surtout chargé des tests sur orbite de chaque satellite de navigation Galileo, une fois qu’il est largué dans l’espace.

 Au sein de l’ESA, afin de protéger le flux important des données, l’ESEC a la mission cruciale d’innover en matière de cybersécurité avec des solutions de la société Rhea de Wavre. Il s’agit de tirer parti de l’expérience d’un groupe canadien spécialisé dans la sécurisation de systèmes informatiques fort complexes. L’ESA entend y faire naître un modèle de référence en matière de cybersécurité. Par ailleurs, RSS (Redu Space Services) sur le site de l’ESEC gère un parc d’antennes paraboliques pour SES. Il s’agit de l’infrastructure de secours pour l’opérateur grand-ducal d’une flotte de plus de 60 satellites pour les télécommunications et la télévision. C’est un bel exemple de coopération spatiale, qui devrait se renforcer entre une province et un Grand Duché du même nom.

Savez-vous que le cadre pittoresque de Redu est devenu un lieu de formation et d’échanges pour se familiariser aux exigences de la technologie pour l’espace ?

L’objectif, en confrontant les prochains ingénieurs et chercheurs aux impératifs de la dimension spatiale, est de préparer la relève pour des emplois de pointe en Europe. D’où l’initiative prise par l’ESA de développer à Redu des séminaires pratiques de quelques jours pour des étudiants provenant des États membres, suite à des appels à candidatures. Tel est l’objet de l’ESA Academy, qui a pris forme au Centre de Redu et connaît un succès grandissant. Vu l’environnement de plus en plus sécurisé du site de l’ESEC, comme les activités éducatives s’y trouvaient à l’étroit, il a fallu aménager un lieu plus ouvert et plus spacieux. Ainsi a vu le jour l’ESEC Galaxia de Transinne-­Libin, juste à côté de l’Euro Space Center et du nouveau Galileo ILS (Integrated Logistics ­Support) Centre. On y aménage un atelier Cubesat pour se familiariser aux procédures d’intégration et d’essais de nano-satellites.

Mais encore… 

Projet d’agence spatiale de l’Union… ?

La Commission européenne prévoit d’investir 16 milliards ­d’euros du Cadre Financier Pluri­annuel 2021-2027 pour ses programmes dans ­l’espace. 9,7 milliards d’euros seront dédiés au système Galileo (navigation), 5,8 milliards d’euros aux missions Copernicus (télédétection), 0,5 milliard d’euros à des projets d’innovation technologique. Pour leur gestion, il est question de mettre sur pied une gouvernance unifiée et simplifiée avec l’Agence de l’UE (Union Européenne) pour le programme spatial. Il s’agira en fait d’élargir des compétences de l’actuelle GSA (European Global Navigation Satellite Systems Agency) qui a son siège à Prague. Du côté de la Commission, on précise que «étant donné son expertise inégalée, l’ESA (Agence Spatiale Européenne), de nature intergouvernementale, restera un partenaire important dans la mise en œuvre opérationnelle et technique du programme spatial de l’UE».

Village du futur à la station de Lessive ?

En septembre 1972, la Rtt (Régie des Télégraphes et Téléphones), entretemps devenue Belgacom puis Proximus, inaugurait en grande pompe son fleuron pour les télécommunications par satellites. De grandes paraboles blanches, pointées vers l’espace, sont toujours visibles depuis l’autoroute E411. L’infrastructure était acquise en 2007 par Bss (Belgium Satellite) pour des connexions avec des pays en Afrique. Cette filiale belge d’un groupe indien était en faillite 10 ans plus tard. L’ensemble du site boisé et son patrimoine technologique sont ­passés dans les mains de l’homme d’affaires liégeois Christophe Nihon. Celui-ci projette d’y aménager «un village intergénérationnel» qui, tourné vers l’avenir, doit comprendre une école à pédagogie active, une maison de repos et un parc de bungalows. Il lui faut réunir un premier investissement de 25 millions d’euros.

Du made in China sur la face cachée de la Lune…

Le 20 mai, la Cast (China Academy of Space Technology) a de nouveau démontré ses ambitions en lançant avec succès vers la Lune un satellite de télécommunications, baptisé Queqiao. Placé sur un point d’équilibre Lagrange n°2 entre 65 000 et 80 000 km au-delà de notre satellite naturel, il servira, grâce à son antenne de 4,2 m de diamètre, de relais de données entre la Terre et l’engin lunaire Chang’e-4 qui se posera au Pôle Sud, du côté de la face cachée, en décembre prochain. L’objectif de cette mission, considérée comme une première, est de rééditer le succès de Chang’e-3 qui, 5 ans plus tôt, avait atterri sur la Lune et y avait déposé le rover Yutu. Celui-ci s’est immobilisé après avoir parcouru quelque 114 m… En 2019, le monde célèbrera les 50 ans de l’Homme sur Lune. Pékin prévoit de célébrer cet anniversaire: sa sonde Chang’e-5 ira automatiquement prélever quelques kilos d’échantillons du sol lunaire et les fera revenir sur le territoire chinois. Si c’est un succès, Chang’e-6 fera sans doute de même en 2020 sur un site de la face cachée.

Le système Galileo – 4 satellites préparés en juillet 2018 pour un lancement Ariane 5 – constitue le bel effort de l’Union dans l’espace. Photo ESA-Arianespace

Dépassée techniquement, la station de Lessive fait désormais partie d’un patrimoine à sauvegarder. Photo Belgacom

Le drapeau chinois, avec l’atterrisseur Chang’e-3, est sur la Lune. Photo CASC


Déploiement, le 10 août, depuis l’Iss (International Space Station), de Cubesats pour le Bhoutan, la Malaisie, le Philippines.


Révolution sur orbite: constellations de nano- et micro-satellites

Savez-vous que la Wallonie est sur orbite, entre 440 et 660 km, avec le Cubesat Oufti (Orbital Utility For Telecommunications/Technology Innovation) ? Lancé le 25 avril 2016 du Centre Spatial guyanais, le nano-satellite d’à peine 1 kg avait été conçu et réalisé par des étudiants de l’ULiege (Université de Liège) et d’Helmo (Haute École Libre Mosane). S’il a émis des bip-bips jusqu’au 7 mai 2016, il n’a pu activer la mission prévue de télécommunications en mode numérique pour la communauté des radio-amateurs. Oufti fait désormais partie des débris spatiaux pour une vingtaine d’années. Le résultat est néanmoins convaincant: en participant avec un projet pédagogique à l’odyssée mondiale des Cubesats, les Liégeois ont mis en évidence leur savoir-faire pour l’espace

NASA-ESA, Iceye, Rocket Lab

C’est durant 1999 que le concept ­Cubesat a été élaboré en Californie par Bob Twiggs et Jordi Puig-Suari, professeurs de la Cal Poly San Luis Obispo. Ils ont proposé une unité standard de forme cubique – 1 l de volume, 1 kg de masse, 1 W de puissance – pour des expériences peu coûteuses sur orbite. Cette solution économique, qui devait familiariser aux exigences du milieu spatial, a surtout mis ­l’espace à la ­portée du plus grand nombre grâce à l’emploi de composants «sur étagère». L’idée a essaimé sur l’ensemble du globe, permettant à des groupes d’étudiants de hisser sur orbite le pavillon de leur pays, à de jeunes investisseurs d’envisager des activités commerciales dans la mise en œuvre de nouvelles applications. Ni plus ni moins, elle a permis de «libérer» l’accès à la dimension spatiale en faisant prendre conscience des performances de la miniaturisation pour de nouvelles initiatives dans l’exploitation de l’espace. Il faut ­s’inquiéter de la pollution de l’environnement autour de la Terre: un modus vivendi recommande que les Cubesats aient une durée de vie orbitale limitée à 25 années. 

Solutions low cost

Une constellation de Cubesats a concrétisé la coopération à des fins scientifiques entre équipes de chercheurs du monde entier: QB50 pour l’étude in situ de la basse thermosphère entre 90 et 320 km autour de la Terre, la zone où a lieu la rentrée atmosphérique des objets spatiaux. Ce système, qui devait comporter une cinquantaine de nano-satellites (4 à 5 kg) dotés de senseurs identiques, était initié par le Vki (Von Karman ­Institute) de Rhode-Saint-Genèse (près de Bruxelles) avec un financement de la Commission européenne. Une trentaine ont été mis en orbite durant 2017 depuis l’Iss (International Space Station) et grâce à un lancement de la fusée indienne Pslv. Leurs mesures sont en cours de traitement. Financés par la Nasa (National Aeronautics & Space Administration), 2 Cubesats de13,5 kg participent à l’exploration martienne: les MarCO (Mars Cube One) ont, le 5 mai dernier, mis le cap sur la Planète Rouge aux côtés de la sonde Insight dont ils doivent relayer les données durant sa descente sur Mars le 26 novembre prochain.

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Le phénomène Cubesat bat son plein. En faisant prendre conscience de l’intérêt d’équipements miniaturisés sur orbite, il a contribué à l’essor du NewSpace, qui prend de l’ampleur. Ce nouvel âge du spatial, qui caractérise cette décennie, donne lieu à une mainmise de l’entreprise privée sur ­l’espace par le biais d’atouts technologiques low cost, avec des systèmes spatiaux les moins ­coûteux. Dans les 10 prochaines années, on va assister à l’important déploiement autour de la Terre de milliers de nano- et micro-satellites. Comme le prévoient 2 études récentes de consultants spécialisés dans le business spatial: l’Européen Euroconsult fait état d’environ 7 000 petits satellites qui seront lancés au cours des 10 années à venir, tandis que l’Américain Frost & Sullivan avance le chiffre de 11 740 pour la période 2018-2030 ! Ces estimations se réfèrent à des projets – encore spéculatifs – de constellations comprenant des centaines, voire des milliers de nano- ou micro-­satellites. Il s’agit de faire en sorte que ­chacun, sur l’ensemble du globe, puisse avoir recours aux TIC (Technologies de l’Information et de la Communication), qui envahissent désormais notre quotidien.

Démonstrateurs techno

Avec l’avènement du spatial bon marché, qui démontre la faisabilité d’effectuer des missions complexes avec des systèmes spatiaux miniaturisés, la démocratisation de l’espace fait éclore sur orbite des applications de plus en plus diversifiées. Sous forme de projets de constellations avec un grand nombre d’acteurs qui se manifestent dans le monde, principalement aux États-Unis, en Chine et en Europe. Trois grands axes sont privilégiés par ces acteurs intéressés par la manne céleste de ces applications, misant sur la disponibilité immédiate de l’information.

Vue d’artiste du micro-satellite radar Iceye-X1 que l’on doit à une initiative privée en Finlande. Photo Iceye

•       Les télécommunications à haut débit doivent faire face à un afflux sans cesse croissant d’échanges de données à l’échelle mondiale, ainsi que de nouveaux besoins numériques avec le développement des réseaux 4G et 5G. L’espace, avec l’emploi de satellites sur des orbites basses ou moyennes, permet d’accélérer le trafic Internet, tout en le mettant à la portée de tous, y compris dans les mobiles.

•       L’observation de la Terre doit permettre une surveillance quasi-continue de notre environnement, jusque dans des régions inaccessibles. Le survol régulier des mêmes zones avec une flotte de satellites, soit optiques soit radars, donne lieu à une vision permanente, jour après jour, des activités humaines, des ressources alimentaires, du couvert végétal, d’étendues sinistrées lors de tempêtes, tsunami, séismes…

  • •       La collecte d’informations à partir de capteurs terrestres ou dans le cadre de services IoT (Internet of Things) ou M2M (Machine-to-Machine) apporte une autre dimension dans la gestion d’infrastructures, de réseaux, des transports, de la mobilité, des secours…
  • Des prototypes de démonstration pour les nouveaux systèmes ont déjà été satellisés ou sont en préparation. Il s’agit pour ces constellations de ­tester de puissants logiciels avec des algorithmes d’intelligence artificielle. L’objectif est par ailleurs d’attirer l’attention de financiers pour qu’ils ­investissent ­davantage dans des défis innovants, voire qu’ils spéculent sur leur ­réussite… Un bel exemple est donné par l’entreprise finlandaise Iceye qui, avec un soutien de la Commission européenne, projette une constellation de micro-satellites SAR (Synthetic Aperture Radar) d’à peine 100 kg. Le 12 ­janvier dernier, était lancé le démonstrateur Iceye-X1 avec un Pslv indien. Ses premiers clichés d’étendues de glaces lui a valu d’établir un ­partenariat avec l’ESA (European Space Agency). Il est prévu de satelliser une douzaine de petits Iceye avant 2020.

Nouveaux acteurs

Sous l’impulsion technologique des satellites petits et très petits, l’industrie des systèmes spatiaux connaît une sérieuse métamorphose. Face à la nouvelle donne qui l’oblige à réduire les coûts, il lui faut revoir ses modes de production: impression 3D, fabrication robotisée, tests à la chaîne… Dans les années 70, l’Université britannique de Surrey à Guildford se ­montrait pionnière dans la réalisation et l’utilisation de micro-satellites en ­mettant sur pied la société Sstl (Surrey Satellite Technology Ltd). Celle-ci est devenue une référence avec ses produits, qui ont démontré la pertinence de petits satellites de télédétection. Avec la miniaturisation des satellites, se ­multiplient les fabricants de nano- et micro-satellites. En Europe, on a Isis (Innovative Solutions In Space) aux Pays-Bas, Gomspace au Danemark, AAC Microtec/Clyde Space en Suède/Royaume-Uni, qui commercialisent une capacité de production en grande série.

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Les moyens de lancement ont dû suivre la tendance en se mettant à la mode des petits satellites. Jusqu’à présent, pour leur mise sur orbite, ils ont recours à des lanceurs bien rodés: le Pslv indien et le Soyouz russe proposent des services à bas coût comme passagers aux côtés d’un satellite plus important. Afin de personnaliser la satellisation en fonction de la mission à réaliser – notamment pour le déploiement d’une constellation -, de nouveaux systèmes se positionnent sur ce marché. Parmi les lanceurs de petite taille qui prennent forme aux États-Unis et pour lesquels 2018 constituait une année de vérité, on a: Electron de Rocket Lab (à partir de la Nouvelle Zélande), Launcher One de Virgin Orbit (au moyen d’un Boeing 747), Vector-R de Vector Space Systems (depuis Cape Canaveral). Leur mise au point se révèle plus ardue, ce qui remet en cause un planning serré. De quoi inquiéter les investisseurs: leur carnet de commandes peine à décoller… 

Le lanceur Electron est proposé par Rocket Lab pour la réalisation de constellation de petits satellites. Photo Rocket Lab

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