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Faux souvenirs: quand
notre mémoire nous leurre

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Il arrive fréquemment que notre mémoire nous joue de mauvais tours. Parfois, elle se révèle labile, de sorte que nous oublions des «choses». Parfois, nos souvenirs présentent une réalité approximative, voire très déformée. Mais parfois aussi, notre cerveau construit de toutes pièces le souvenir d’événements qui ne se sont jamais produits. Ces faux souvenirs ne sont pas toujours anodins quant aux conséquences qu’ils engendrent

  

Nos souvenirs sont-ils enfermés dans un «tiroir» de notre cerveau dont nous les extrairions pour nous en rappeler le contenu ? Non, selon la théorie constructiviste qui s’est imposée dans les années 1990, ils sont à chaque fois reconstruits. Aussi peuvent-ils faire l’objet de «distorsions» allant de la déformation de détails particuliers d’un événement («La voiture accidentée était bleue», alors qu’elle était verte) jusqu’à la production de faux souvenirs, c’est-à-dire la remémoration d’événements qui n’ont jamais eu lieu.

La question des faux souvenirs ne commença vraiment à attiser l’attention des chercheurs en psychologie qu’avec l’émergence des conceptions constructivistes. Mais l’élément le plus déterminant à l’origine de l’intérêt suscité par cette problématique fut sans conteste un phénomène troublant connu aujourd’hui sous le nom de «guerre des faux souvenirs». De quoi s’agissait-il ? D’une «épidémie» soudaine de souvenirs retrouvés d’abus sexuels subis par des femmes durant leur enfance. Elle disloqua des milliers de familles aux États-Unis, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Nouvelle-Zélande.

À l’époque, les psychologues se divisèrent en 2 camps, les uns considérant que des actes aussi marquants que des abus sexuels ne pouvaient être inventés, d’autres estimant au contraire qu’ils pouvaient être la résultante, dans certains cas, d’une pure construction mentale. Les faits donnèrent raison aux tenants de la seconde hypothèse, l’irréalité de certains récits s’étant avérée évidente. «En effet, commente Serge Brédart, professeur de psychologie cognitive à l’Université de Liège, il était question de rites sataniques avec meurtres d’enfants, de sacrifices humains, etc. Le FBI enquêta, mais ne trouva jamais rien.» Nous étions clairement face à de faux souvenirs, ce qui n’enlève évidemment rien à l’existence d’abus sexuels infantiles ni à l’exactitude des récits qu’en fournissent les victimes lorsqu’elles s’en sont toujours souvenues ou ont spontanément récupéré des souvenirs précédemment oubliés.

Comme le souligne Hedwige Dehon, chercheuse au sein de l’unité de recherche en psychologie et neurosciences cognitives (PsyNCog) de l’Université de Liège, le point commun à toutes les femmes qui rapportèrent de faux souvenirs d’abus sexuels infantiles est qu’elles avaient participé à un même type de psychothérapie, où les patientes étaient invitées à construire des scénarios plausibles de ce qui aurait pu leur être arrivé. Il apparut que le thérapeute jouait un rôle crucial dans l’éclosion des faux souvenirs relatés, en particulier lorsqu’il suggérait l’existence éventuelle d’abus sexuels dont la patiente aurait été la victime durant son enfance et qu’il l’invitait à s’imaginer cette situation.

Au fur et à mesure de la thérapie, une représentation se forgeait, toujours plus riche en détails, de sorte que l’hypothèse proposée franchissait la barrière de la plausibilité, cette «dynamique» étant favorisée en outre par l’aura dont jouissait le thérapeute auprès de la patiente et le climat particulier entretenu à l’époque par de nombreux livres et magazines grand public présentant les abus sexuels sur les enfants comme endémiques.

En s’appuyant sur la présentation d’une photo truquée, des psychologues aguerris peuvent faire naître un faux souvenir chez environ 50% des individus.

  

Le vent dans la nacelle

On sait aujourd’hui que 3 conditions sont nécessaires à l’émergence d’un faux souvenir. Primo, le sujet doit accepter la plausibilité de l’événement concerné. Secundo, il doit s’en construire une représentation mentale. Tertio, il doit commettre une erreur quant à la source de l’information récupérée; en d’autres termes, cette dernière doit lui apparaître comme issue du passé et non comme le résultat d’un travail mental récent, telle une rêverie ou une activité d’imagerie.

Lors des premières études menées en laboratoire, notamment par Ira Hyman, de la Western Washington University, les expérimentateurs recouraient presque exclusivement à des narrations de récits «fabriqués» («Votre mère nous a dit que…») pour induire de faux souvenirs. Bien qu’aucun participant n’acceptât le faux souvenir lors du premier entretien, nombre de sujets se laissaient piéger au bout de quelques séances. Au début des années 2000, un groupe d’auteurs conduit par Kimberly Wade, de l’Université de Warwick, en Angleterre, parvint à un résultat analogue à partir de la présentation de photos. Ainsi, cette équipe de chercheurs réussit à convaincre environ la moitié des volontaires qui s’étaient prêtés à une de ses expériences qu’ils avaient effectué un vol en montgolfière dans leur enfance, alors qu’ils n’étaient jamais montés dans un ballon. Chacun se voyait présenter des photos de famille dont une, truquée, où il était à bord d’une montgolfière aux côtés de son père. Tout le monde peut s’imaginer en train de voler en montgolfière. Et par ailleurs, la photo truquée asseyait la plausibilité d’avoir participé à un tel vol. Mais ce n’était pas suffisant pour qu’éclose un faux souvenir. Encore fallait-il générer une erreur de source. Kimberly Wade et son groupe y parvinrent chez de nombreux sujets en les invitant à réfléchir durant quelques jours à ce vol en ballon auquel ils auraient pris part. «Ça nous intéresserait de savoir si de petits détails vous reviennent à ­propos de cet événement», leur disait-on.

Dans 50% des cas environ, les personnes testées affirmèrent alors avoir retrouvé des bribes de souvenir. Elles finissaient donc par croire que l’événement était bien réel. Certaines en vinrent même à dire qu’elles se souvenaient du souffle du vent dans la nacelle ou que leur grand-mère avait pris une photo du décollage, par exemple. «À force d’essayer de se remettre en situation afin de découvrir des détails accréditant la réalité de l’événement, les sujets en venaient à produire une imagerie tellement féconde qu’elle acquérait une série de propriétés très similaires à celles d’un véritable souvenir, dont une des caractéristiques réside souvent dans la richesse des détails perceptifs (visuels, auditifs, olfactifs…), contextuels et autres liés à l’événement vécu», explique Serge Brédart.

Les chercheurs estimaient néanmoins que l’éclosion de faux souvenirs «spontanés», c’est-à-dire dans la vie quotidienne, était rare et qu’elle était le fruit presque exclusif d’une suggestion organisée expérimentalement ou induite par certaines pratiques psychothérapeutiques. En cela, ils se trompaient, de récents travaux ayant mis en évidence l’existence bien réelle de faux souvenirs dans la vie courante.

Les résultats d’une expérience dont le premier auteur était Stephen Lindsay, de l’Université de Victoria, au Canada, révèlent en outre que le simple fait de présenter une photo de classe parallèlement à l’énoncé d’un événement fictif censé s’être déroulé durant la période de la scolarité peut générer un faux souvenir. «Autrement dit, un indice général, sans lien direct avec l’événement fabriqué, peut donc suffire à faire éclore un tel souvenir», indique Hedwige Dehon.

  

Séparations conflictuelles

Les expériences où des récits sont utilisés comme appâts ont montré que les personnes les plus suggestibles sont les plus enclines à créer de faux souvenirs. Ce constat est en accord avec le fait bien connu que les enfants, généralement plus fragiles à la suggestion que les adultes, ont en moyenne un taux plus élevé de faux souvenirs que leurs aînés et donc une plus grande vulnérabilité au phénomène.

Hedwige Dehon évoque à ce propos une expérience célèbre où il était demandé à des enfants de penser à plusieurs reprises à des événements qui, en fait, ne leur étaient jamais arrivés. Par exemple, s’être coincé le doigt dans un piège à souris et avoir dû aller à l’hôpital pour le faire libérer. «Après 10 sessions, plus de la moitié des enfants rapportaient de fausses histoires à propos de ces événements, souligne la psychologue. Et ces histoires avaient été tellement embellies de détails que les experts du témoignage d’enfants furent dans l’incapacité de distinguer ces inventions d’avec des récits relatant de véritables souvenirs.»

Lors d’une séparation conflictuelle au sein d’un couple de parents, la suggestibilité de l’enfant peut déboucher sur des témoignages erronés fondés sur de faux souvenirs et ce, soit en raison du climat ambiant, soit à la suite d’une manipulation orchestrée par l’un des parents. Dans le premier cas, le phénomène peut se produire du fait que l’enfant enregistre de façon récurrente des informations susceptibles d’être la source de reconstructions mentales. Imaginons une maman qui dit régulièrement à des proches, en présence de sa petite fille, des choses comme: «C’est dégueulasse ce que son père a fait. Il a encore été dur avec elle, il l’a secouée comme un prunier pour qu’elle descende plus vite de la voiture.» L’enfant risque alors de bâtir, autour de séances de dénigrement répétées, de faux souvenirs où son père apparaîtra comme un être violent même s’il ne l’est pas.

Dans ce cas, il n’y a pas intention de manipuler l’enfant. Au contraire de ce qu’on observe dans le syndrome d’aliénation parentale, œuvre de pervers narcissiques cherchant à obtenir à tout prix la garde de l’enfant et à nuire à leur ex-conjoint ou conjointe. «Selon une étude du psychiatre allemand Wilfrid Von Boch-Galhau, plus de 90% des allégations d’abus sexuel exprimées dans un contexte de litige relatif au droit de garde ne se confirment pas», indique Hedwige Dehon. Et d’ajouter: «D’après une autre étude, réalisée par Richard Warshak (Université du Texas), certains enfants sont conscients d’inventer des faits, de leur propre chef ou sous l’influence du parent aliénant; d’autres amplifient un acte isolé pour en faire un abus; d’autres enfin, à travers le questionnement suggestif et la manipulation du parent aliénant, croient réellement avoir été victimes d’abus.» Ce qui, encore une fois, n’enlève rien à la réalité de tous les actes sordides qui ont pu être commis.

En psychothérapie, pourrait-on concevoir de mettre à mal, entre autres par le biais de la suggestibilité que peut induire l’hypnose, les souvenirs d’événements traumatiques à l’origine d’une importante souffrance psychique chez un patient, de les transformer en souvenirs auxquels on ne croit plus ? Certains y pensent. Mais se dressent devant eux une question éthique préalable: a-t-on le droit de réécrire l’histoire des individus, fût-ce dans un but thérapeutique ?

  

Manipuler la mémoire ?

Ainsi que cela est apparu au grand jour dans les années 1990, certaines psychothérapies peuvent favoriser l’émergence de faux souvenirs. Plusieurs études semblent indiquer que l’implantation de ceux-ci est d’autant plus aisée qu’ils portent sur des événements à coloration émotionnelle négative. S’être perdu dans un centre commercial étant enfant, par exemple. «Or, dans la dépression, un des effets du trouble de l’humeur est que les expériences négatives sont plus accessibles et reviennent spontanément à l’esprit. Il en va de même dans le stress post-traumatique où le facteur clé n’est cependant plus l’humeur, mais la peur, la perception d’une menace. À force d’être régulièrement récupérés et de présenter la même tonalité émotionnelle, ces souvenirs d’expériences négatives sont fortement interconnectés», fait remarquer Hedwige Dehon.

Une hypothèse est que cette situation pourrait être un terreau fertile à l’éclosion de faux souvenirs, en particulier à l’occasion de psychothérapies. Effectivement, lors de celles-ci, le ­professionnel travaille classiquement sur les souvenirs des patients dépressifs ou atteints de stress post-traumatique. Précisément, des travaux ont montré que les personnes qui s’engagent dans une psychothérapie sont plus susceptibles que d’autres de croire qu’elles ont été victimes d’expériences traumatiques dans l’enfance, mais qu’elles les ont oubliées – maltraitance physique ou sexuelle, le plus souvent. De surcroît, elles sont persuadées que la psychothérapie pourrait leur permettre de récupérer ces souvenirs douloureux qui justifieraient leur détresse psychologique. «Ces attentes les rendraient alors particulièrement vulnérables aux suggestions dont la plausibilité se verrait accrue du simple fait d’avoir été énoncées par un spécialiste», explique Hedwige Dehon.

La première condition (plausibilité) du développement d’un faux souvenir est ainsi rencontrée. Le sujet va ensuite s’interroger, chercher des détails qui corroboreraient l’événement envisagé et ce, avec d’autant plus de zèle que le thérapeute l’y aura invité. Des associations d’idées risquent de s’opérer avec génération de détails qui assoiront la plausibilité de l’événement. La probabilité de réalisation de ce processus est accrue par les particularités du fonctionnement mnésique des patients dépressifs ou atteints de stress post-traumatique, mais aussi par le recours en thérapie à des techniques comme l’hypnose ou l’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires (EMDR). «En effet, elles pourraient renforcer la suggestibilité ou les difficultés de retrouver la source des souvenirs induits lors des séances de thérapie», commente notre interlocutrice.

Trois problèmes se dévoilent en première analyse. Primo, si le patient porte plainte pour des maltraitances physiques ou sexuelles et qu’à la lumière des informations disponibles, ces faits sont considérés comme inventés, il estimera qu’on ne lui reconnaît pas le statut de victime. Ce qui sera très préjudiciable à son évolution sur le plan thérapeutique. Secundo, si explication lui est donnée que c’est une technique psychothérapeutique qui a contribué à l’émergence d’un faux souvenir, on assistera à un effondrement de sa confiance envers le professionnel qui était censé l’aider, mais qui est à l’origine d’une initiative contreproductive. Tertio se pose un problème éthique d’une ampleur considérable lorsque la génération de faux souvenirs en thérapie aboutit à des soupçons et plaintes injustifiés ainsi qu’à des arrestations sans fondement.

Pour certains psychologues, une piste thérapeutique envisageable dans la dépression serait d’induire de faux souvenirs améliorant l’estime de soi et dans le stress post-traumatique, de faux souvenirs aptes à réduire le sentiment permanent d’existence d’une menace. Hedwige Dehon émet des réserves à ce sujet. «D’une part, explique-t-elle, a-t-on le droit de manipuler la mémoire du patient et donc le patient lui-même, fût-ce pour améliorer son bien-être ? D’autre part, si de tels souvenirs finissent par lui apparaître erronés, il perdra toute confiance dans les initiatives thérapeutiques.» Demeure en outre le problème éthique susmentionné.

Témoignages
d’enfants: attention, danger

Par le passé, nombre d’experts des tribunaux considéraient que des enfants abusés physiquement ou sexuellement ne rapportent pas spontanément les faits traumatisants dont ils ont pu être les victimes. Aussi ces experts avaient-ils souvent tendance à recourir à des questions fermées et à des suggestions répétées lorsqu’ils recueillaient le témoignage d’enfants. Sans le savoir, ils risquaient ainsi de tracer le sillon de faux souvenirs. Depuis une vingtaine d’années, les experts, mieux formés, évitent généralement ce piège – pas toujours cependant – et s’efforcent de s’en tenir à des questions ouvertes.

En Belgique, les auditions d’enfants sont désormais vidéo-filmées et retranscrites. De la sorte, non seulement on garde une trace des questions qui ont été posées et des réponses qui y ont été apportées, mais l’on perçoit également l’intonation de la voix des intervenants et l’on visualise l’attitude de l’enfant, la caméra étant braquée sur lui. Selon Hedwige Dehon, le système serait plus performant encore si une seconde caméra permettait d’apprécier le regard, la gestuelle et les mimiques de l’interrogateur.

Une chose est certaine: lors de l’audition d’un enfant dans le cadre d’un conflit parental, la prudence est de mise tant au niveau de la véracité du témoignage lui-même qu’à celui des méthodes mises en œuvre pour le susciter.

  

Qui a eu le bras cassé ?

Depuis une trentaine d’années, divers travaux se sont penchés sur l’exactitude de la mémoire humaine. Ce n’est toutefois qu’en 2010 qu’un phénomène ignoré jusque-là, les «non-believed memories» (NBM – les souvenirs auxquels on ne croit plus), fut mis en évidence et suscita l’initiation de travaux scientifiques dont le nombre actuel demeure néanmoins limité à une douzaine. En clair, un NBM se réfère à la représentation mentale d’un événement qu’un individu a pensé avoir vécu, avant d’en nier l’existence par la suite bien qu’il en garde une représentation extrêmement claire et vivace. «Celle-ci demeure riche en détails visuels, auditifs et autres, alors même que le sujet ne croit plus qu’il s’agit d’un vrai souvenir, commente le professeur Brédart. Or, les psychologues ont toujours considéré que la précision d’un souvenir constituait un indicateur attestant sa probable réalité.» De quelques études réalisées en Grande-Bretagne, au Canada, à Liège et à Maastricht, il ressort que le pourcentage d’individus ayant été sujets à des souvenirs auxquels ils ne croient plus gravite partout autour de 20%.

Dans un article publié en 2010 dans la revue Psychological Science, le groupe de Guiliana Mazzoni, du département de psychologie de l’Université de Hull (Angleterre), nous fournit un exemple éloquent de NBM. Le voici en substance. En discutant de souvenirs d’enfance avec votre frère, vous évoquez le jour où, étant tombé d’un arbre, vous vous êtes cassé le bras. Vous revoyez parfaitement la scène, les détails de l’accident affluent dans votre esprit – le bruit du vent dans les feuilles, votre chute, etc. Votre frère est pour le moins étonné de votre récit. Et il vous affirme que c’est lui qui s’est brisé le bras en tombant d’un arbre. Chacun campe sur sa position et pour ­trancher la question, vous faites appel à l’arbitrage de votre mère. Elle n’a aucune hésitation: c’est bien votre frère, et non vous, qui a été accidenté. De surcroît, elle vous montre des photos où il a le bras dans le plâtre et un document d’hôpital où figure son prénom. Vu tous ces éléments probants, il ne vous reste plus qu’à admettre que votre souvenir était faux.

Lors d’une séparation conflictuelle au sein d’un couple de parents, la suggestibilité de l’enfant peut déboucher sur des témoignages erronés fondés sur de faux souvenirs.

Devant les représentations très précises qu’un individu peut conserver de ce qui lui apparaît finalement comme un faux souvenir, on doit reconnaître que contrairement aux conceptions théoriques antérieures, la précision d’un souvenir spontané, c’est-à-dire non induit par suggestion expérimentalement ou en psychothérapie, n’est pas le gage de la réalité de l’épisode relaté, mais qu’un second élément, en l’occurrence un processus d’attribution où le sujet confère ou non un statut de souvenir authentique à ses représentations, doit être pris en considération. «Intervient donc une dimension de métacognition, souligne le professeur Brédart. Autrement dit, l’individu porte un jugement sur sa propre cognition et peut être amené de la sorte à mettre en doute ce qu’il avait appréhendé initialement comme un souvenir.»

  

Une fourmi géante

Quelles sont les raisons qui, nourrissant la réflexion métacognitive, sont susceptibles de pousser une personne à ne plus croire à un «souvenir» ? Il peut s’agir de l’impact d’un consensus social selon lequel les événements relatés seraient faux. Ou d’une preuve matérielle qui vient contredire le contenu de la narration. Ces 2 facteurs se retrouvent dans l’exemple du bras cassé proposé par Guiliana Mazzoni. Une autre cause est l’absence de plausibilité de l’événement. Ainsi, une personne avait le souvenir d’avoir été confrontée durant son enfance à une fourmi d’une vingtaine de centimètres. Plus tard, sa seule réflexion personnelle l’a conduite à conclure que ce n’était pas possible.

Un autre facteur susceptible de conduire à l’abandon d’un pseudo-souvenir tient à des incohérences dans les caractéristiques internes de la représentation sur laquelle il repose. Par exemple, se voir d’abord dans un lieu X puis, au cours de la même scène, dans un lieu Y. Le sujet écartera alors l’idée d’un souvenir au profit de celle d’un rêve ou de faits imaginés. «Il arrive aussi que malgré la cohérence de la représentation, le sujet éprouve le sentiment que le souvenir pourrait être faux, émaner d’une rêverie ou plus largement d’un état de conscience modifié», explique Serge Brédart.

Cela étant, rien n’exclut que certains NBM soient de vrais souvenirs. De fait, à la suite de la pression de son entourage, qui en tirerait un avantage, un individu peut perdre toute confiance dans le souvenir d’un événement pourtant réel. À ce stade, il serait intéressant d’étudier les éventuels facteurs de personnalité caractérisant les personnes qui, sans preuve matérielle irréfutable ou incohérence manifeste au sein d’une représentation, sont enclines à remettre en cause le bien-fondé d’un souvenir. «Probablement, une personnalité plus suggestible est-elle davantage sensible à l’abandon de souvenirs sous la pression sociale», dit le professeur Brédart. Ce qui nous ramène entre autres au cas des enfants manipulés par un parent dans le cadre d’un divorce conflictuel.

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