Chimie

Le chat de Schrödinger

Paul DEPOVERE • depovere@voo.be

D’après Dhatfield/Wiki

Erwin Schrödinger est ce célèbre physicien viennois, nobélisé en 1933, qui formula la fameuse équation qui porte son nom et constitue l’expression mathématique fondamentale de la mécanique quantique. Ses innovations scientifiques s’accompagnaient toujours de considérations philosophiques illustrant les concepts abordés. Le paradoxe du chat en est un exemple

  

L’équation dite de Schrödinger fut formulée en 1926 par ce savant alors qu’atteint de tuberculose, il se trouvait dans un sanatorium en Suisse. Celle-ci, qui décrit l’évolution des fonctions d’onde associées à l’état des particules atomiques, représente sans conteste la base essentielle sur laquelle repose toute la physique quantique. Afin de convaincre Albert Einstein de l’exactitude de son point de vue, il imagina, en 1935, une expérience de pensée, purement fictive, qui sera appelée plus tard le paradoxe du chat de Schrödinger.

Un chat est confiné dans une grande boîte fermée et opaque, dans laquelle a été installé le dispositif diabolique suivant: un échantillon d’une substance radioactive a été placé à côté d’un compteur Geiger (instrument qui sert à mesurer certains rayonnements ionisants) en quantité tellement faible que, durant l’heure à venir, il y a une chance sur deux qu’un atome de l’élément radioactif se désintègre. Ce compteur est relié à un mécanisme qui, lorsqu’une désintégration est détectée, déclenche le pivotement d’un marteau qui viendrait briser un flacon contenant de l’acide cyanhydrique, lequel entraînerait la mort inéluctable du chat. Par conséquent, si on abandonne ce système à lui-même pendant une heure, on peut affirmer que ce chat sera toujours bien vivant si, entre-temps, aucun atome ne s’est désintégré. Par contre, on devrait le retrouver mort si une seule désintégration avait eu lieu dans cet intervalle de temps. Par ailleurs, l’opacité de la boîte fait qu’un observateur ignore de l’extérieur si un tel phénomène aléatoire s’y est produit et si oui, quand.

Schrödinger voulait attirer l’attention de ses collègues sur les paradoxes de la physique quantique dès qu’on se reporte à un niveau macroscopique, c’est-à-dire à l’échelle humaine. Selon toute logique, ledit chat doit nécessairement être soit vivant, soit mort. En revanche, d’après les règles de la mécanique quantique, le système total qui se trouve dans cette enceinte correspond à une superposition de 2 états, l’un avec un chat vivant et l’autre avec un chat mort.

Ainsi, dans le monde quantique de l’atome (qui se justifie grâce aux mathématiques), un électron peut se trouver simultanément à plusieurs endroits. Les fonctions d’onde correspondent de fait à des probabilités: tel électron a x% de chance de se trouver ici, y% d’être là, etc. C’est pourquoi Schrödinger s’autorise à affirmer que si son chat était de nature quantique, il devrait nécessairement être à la fois vivant et mort. Au bout de l’heure, lorsqu’il se décidera à ouvrir la boîte pour savoir ce qu’il en est, la situation ambiguë (l’animal «brouillé» vivant-mort, sans équivalent dans le monde réel) va se résoudre instantanément. On parle de «décohérence quantique».

  

Que conclure de tout cela ?

La superposition quantique ne concerne que les objets quantiques, c’est-à-dire ceux qui correspondent à l’échelle atomique. Seuls ces objets-là peuvent, d’un point de vue mathématique, se situer simultanément à plusieurs endroits, selon des amplitudes de probabilité. De surcroît, selon les auteurs de l’interprétation de Copenhague (parmi lesquels Niels Bohr et Werner Heisenberg), il ne faut pas chercher à interpréter ni à illustrer de manière physique, évidente, la superposition quantique, a fortiori lorsqu’il s’agit d’objets macroscopiques. Autrement dit, on ne peut pas donner un sens physique à un système quantique avant sa mesure ! En somme, ce n’est que lorsqu’on cherche à découvrir l’état dans lequel l’objet se trouve qu’il s’en choisit un de manière aléatoire. Ainsi, du fait que l’atome radioactif a une chance sur deux de se désintégrer dans l’heure, l’état quantique de celui-ci doit être décrit par une fonction mathématique qui superpose 50% d’un terme relatif à l’atome intact et 50% d’un autre terme lié à l’atome désintégré. Et ce n’est qu’au moment où on entreprend de connaître le résultat que la fonction «s’effondre» sur l’un des 2 états possibles et que l’on connaît la vérité. Soit un atome s’est désintégré, soit rien de tel ne s’est passé ! De ce fait, si on transpose le comportement quantique d’un atome radioactif à un objet macroscopique, en l’occurrence ici un chat dans un environnement particulier, il est tentant – mais aberrant, d’où le paradoxe – de considérer, par extrapolation, que la fonction qui décrit ledit chat comprend une superposition de 2 états (l’état vivant et l’état mort). Il suffit ensuite de postuler que lorsqu’on ouvrira la boîte pour savoir ce qu’il est advenu de l’animal, la fonction s’effondrera sur l’un des 2 états possibles (à raison de 50%): soit mort, soit vivant.

En revanche, selon la théorie des univers multiples développée en 1957 par Hugh Everett alors qu’il était encore étudiant à l’Université de Princeton, il est parfaitement possible de fournir une interprétation physique justifiant l’état de superposition ainsi que la décohérence quantique. Selon Everett, la vraie question qui se pose est: comment le monde macroscopique particulier résultant de l’expérience du chat émerge-t-il des superpositions décrites par la mécanique quantique ? Pour lui, il est illogique d’exclure les systèmes macroscopiques des lois quantiques. Dès lors, les superpositions quantiques devraient correspondre à des univers multiples (comprenant cette fois l’observateur, ce qui veut dire qu’on élargit la mécanique quantique à l’échelle macroscopique) qui coexistent en évoluant de manière indépendante. Ainsi, le résultat final d’une mesure correspondrait à une superposition des différentes issues de celle-ci, exactement comme des branches d’un univers qui s’est ramifié. Et étant donné que l’observateur présent dans chacun de ces univers ne peut prendre conscience que de ce qui se passe dans le sien, il est incapable de percevoir ces superpositions du monde macroscopique. Il pense être seul. Bref, le chat de Schrödinger, considéré comme un objet quantique, devrait être mort dans un monde et vivant dans un autre monde parallèle, résultant d’une bifurcation. L’interprétation d’Everett suggère donc l’apparition d’une multiplicité de mondes, ayant des destinées particulières dans un unique univers quantique, décrit par une unique équation de Schrödinger impliquant une fonction d’onde universelle !

Si cette théorie des univers multiples était correcte, il s’ensuivrait que l’organisation apparemment artificielle du cosmos n’aurait plus de secret pour nous. On serait en droit de supposer que tous les arrangements possibles de matière et d’énergie sont représentés quelque part dans le nombre infini d’univers. Et ce n’est que dans une infime proportion de ceux-ci que les paramètres sont réglés avec une précision telle que des organismes vivants (nous en l’occurrence), c’est-à-dire des observateurs, ont pu apparaître. Autrement dit, notre Univers est remarquable en ce sens que nous l’avons choisi du fait de notre propre existence !

En conclusion, cette expérience du chat est devenue classique car elle met en évidence la fracture existant entre les objets du monde quantique, qui peuvent se trouver dans une superposition d’états, et ceux du monde macroscopique, obligés de se soumettre au déterminisme.

Le mécanisme imaginé par Erwin Schrödinger lie l’état du chat (mort ou vivant) à l’état des atomes radioactifs, de sorte que le chat serait simultanément dans 2 états (mort et vivant) jusqu’à ce que l’ouverture de la boîte (l’observation) déclenche un choix entre les 2 états.

Si l’on est généralement prêt, d’un point de vue quantique, à accepter ce genre de situation (plusieurs états simultanés) pour une particule, l’esprit refuse de faire de même pour une situation qui comprend un sujet plus familier (macroscopique), comme un chat.

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