Chimie

Tableau de Mendeleïev : enfin complet !

Paul DEPOVERE • depovere@voo.be

© RIANovosti/BELGAIMAGE , © 2018IUPAC 

Vous l’ignorez peut-être mais ce souvenir cauchemardesque pour certains doit en réalité être considéré comme la merveille fondamentale de l’Univers. À présent, toutes les cases sont remplies, ce qui conforte le caractère génial de la classification des éléments entreprise par ce brillant chimiste ! Où que l’on regarde dans l’Univers, les éléments chimiques sont ceux qui se retrouvent dans ce fameux tableau ! 

  

Vers la fin des années 1860, Dmitri Mendeleïev, un professeur de chimie russe, cherchait tout simplement à rédiger un manuel dans lequel figureraient tous les éléments connus à son époque (environ 60) selon une présentation logique. En fait, en les alignant dans l’ordre croissant des poids atomiques, il remarqua que les propriétés de ceux-ci évoluaient progressivement pour redevenir, à un moment donné, presque identiques à celles du premier élément de la ligne précédente. Ainsi retrouva-t-il dans chaque colonne des éléments caractérisés par des propriétés semblables. Mendeleïev constata donc que chaque rangée horizontale (période) débutait par un métal alcalin aux propriétés très caractéristiques et se terminait par un halogène aux propriétés diamétralement opposées. Ce faisant, en veillant de la sorte à regrouper sous forme de colonnes (familles) des éléments dont les propriétés étaient similaires (congénères), Mendeleïev n’hésita pas à laisser des places vides dans son tableau, voire à ne pas tenir compte de la valeur annoncée de certains poids atomiques [en plaçant notamment le tellure (Te) avant l’iode (I), voir «128 ?» et «127» sur le timbre-poste ci-dessous] ! Ainsi, entre le potassium (K) et le brome (Br), Mendeleïev ne disposait pas d’assez d’éléments pour remplir les cases vacantes. Guidé par le caractère récurrent des propriétés des éléments, il décida par exemple de laisser une case vide sous l’aluminium (Al) et une autre sous le silicium (Si), tout en décrivant avec précision les propriétés de ces 2 éléments qu’il fallait selon lui encore découvrir. Il s’agira du gallium (Ga), découvert en 1875 par Paul-Émile Lecoq de Boisbaudran, et du germanium (Ge), découvert en 1886 par Clemens A. Winkler. Mendeleïev eut ainsi la satisfaction de voir son système de classification corroboré par de telles découvertes. Bien sûr, par la suite, bon nombre d’autres éléments vinrent s’ajouter dans ce tableau, à commencer par une nouvelle famille, en l’occurrence celle des gaz rares [hélium (He), néon (Ne), argon (Ar), etc.] que Mendeleïev n’avait pas prévue.

Timbre de l’URSS commémorant le centenaire de la découverte du caractère périodique des éléments par Dmitri I. Mendeleïev. Le timbre figure ici sur une feuille laissant entrevoir la première ébauche de classification, telle qu’elle a été écrite le 17 février 1869

Actuellement, la version classique du tableau périodique des éléments se présente sous une forme beaucoup plus lisible car on en connaît la mélodie secrète, en particulier l’ordre selon lequel les électrons viennent se placer (Aufbauprinzip) dans les orbitales dites s, p, d et f – pouvant abriter, respectivement, 2, 6, 10 et 14 électrons – des atomes de numéro atomique Z de plus en plus élevé. Pour rappel, ce numéro atomique est celui de la case dans laquelle se situe tout élément considéré, lequel correspond au nombre de protons logés dans son noyau, de même qu’au nombre d’électrons présents dans la variété neutre dudit élément. La signification physique de ce numéro, responsable des propriétés chimiques de l’élément correspondant, fut découverte en 1913 par Henry Moseley, un physicien britannique. Celui-ci connut une fin tragique puisqu’il fut tué par balle à seulement 27 ans, soit 2 ans plus tard lors de l’expédition des Dardanelles. Ce numéro Z confirma l’ordre et les lacunes du tableau de Mendeleïev et fut à l’origine des découvertes du technétium (Tc, 43), du prométhéum (Pm, 61), du hafnium (Hf, 72) et du rhénium (Re, 75).

Moyen mnémotechnique relatif au remplissage électronique des divers éléments successifs

Sans entrer dans des détails quelque peu subtils bien que fort simples en définitive, c’est cet ordre de remplissage des électrons qui conditionne le nombre et le positionnement des cases. Il se résume à: 1s → 2s → 2p → 3s → 3p → 4s → 3d → 4p → 5s → 4d → 5p → 6s → 4f → 5d → 6p → 7s, etc., où le numéro figurant devant la lettre indique la période concernée. Et c’est ainsi qu’apparaissent des «blocs» dits s, p, d et f, correspondant ainsi à 2, 6, 10 et 14 familles d’éléments (voir groupes 1-2, 13-18, 3-12 et lanthanides/actinides dans le tableau).

La chasse aux éléments superlourds

Jusqu’il y a peu, les tableaux périodiques s’arrêtaient à l’élément 112, c’est-à-dire à la case du copernicium (Cn). Mais au-delà, 6 cases vides subsistaient, localisées en dessous de Tl, Pb, Bi, Po, At et Rn, dans le bloc p. Entre-temps, seulement quelques atomes, au mieux des éléments les plus lourds (113 à 118), furent identifiés, eu égard à leur durée de vie extrêmement courte. En voici la liste, avec leurs noms et symboles, récemment adoptés officiellement par l’IUPAC (Union internationale de chimie pure et appliquée): 113, nihonium (Nh); 114, flérovium (Fl); 115, moscovium (Mc); 116, livermorium (Lv); 117, tennesse (en francais, plutôt que tennessine) (Ts) et 118, oganesson (Og).

En fait, si on parvenait à obtenir des éléments encore plus lourds, il faudrait ajouter une huitième période au tableau périodique, avec 2 éléments (119 et 120) dans le bloc s, suivis de 18 cases dans un nouveau bloc où interviendraient des orbitales g, précédant les classiques orbitales f, d et p. Cela porterait à 50 le nombre d’éléments superlourds à synthétiser pour combler cette nouvelle période. Tout ceci s’inscrit dans le cadre de la recherche de nouveaux éléments possédant des «nombres magiques» de protons et de neutrons et se situant dans des «îlots de stabilité». Mais ceci est une autre histoire !

Plus d’infos

La classification périodique des éléments – La Merveille fondamentale de l’Univers, Paul Depovere, 3e édition, De Boeck Supérieur, à paraître début 2020.

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