Espace

Arianespace,le pari européen

Théo PIRARD  • theopirard@yahoo.fr

© ESA-David Ducros

Le transport spatial pour des activités commerciales avec des satellites de télécommunications a constitué un atout pour l’Europe de l’espace, qui a dû faire preuve d’originalité et d’audace. Ainsi le 26 mars 1980, la société française Arianespace voyait le jour sous l’impulsion du CNES (Centre National d’Études Spatiales), principal actionnaire aux côtés des industriels du programme et de banquiers français. Aujourd’hui, Arianespace est détenue à 73,69% par ArianeGroup, co-entreprise d’Airbus (maître d’œuvre) et de Safran (motoriste). C’est toujours – malgré une concurrence accrue de nouveaux lanceurs – la référence dans le monde pour l’accès à l’orbite géostationnaire exploitée par les satellites commerciaux de télécommunications et de télévision

Ces 5 lanceurs «made in Europe» vont cohabiter pour l’offre de services ArianespaceAriane 5, Vega, puis Ariane 6.2, Vega-C et Ariane 6.4

   

Il y a 40 ans, l’avènement d’Arianespace comme premier partenariat public-privé dans l’espace se révélait un pari audacieux d’envergure européenne. Une affaire digne des initiatives nombreuses qu’on connaît actuellement avec le phénomène New Space de privatisation du milieu spatial. Le 24 décembre 1979, l’ESA, grâce au CNES, procédait au vol de démonstration de la première fusée Ariane: succès complet ! Les industriels belges – Sabca, Etca (aujourd’hui Thales Alenia Space Belgium), FN Moteurs (à présent Safran Aero Boosters) – ont contribué à cette «première» de l’Europe spatiale; on les compte parmi les actionnaires de la société Arianespace.

 
Cap sur le géostationnaire !

L’envol réussi de la première Ariane allait mettre un terme au dessein américain de mainmise sur le business spatial. Afin de privilégier l’essor de leur industrie des satellites, les États-Unis empêchaient que des satellites réalisés en Europe dans un but commercial puissent être mis en orbite par des lanceurs américains. Il s’agissait surtout des Thor-Delta et des Atlas, qui étaient dérivés de missiles du Département de la Défense. Par ailleurs, la Nasa entendait privilégier l’emploi du Space Shuttle avec la navette pilotée réutilisable, mais la mise au point de ce système révolutionnaire se révélait alors plus laborieuse et coûteuse que prévu. Le premier vol du Space Shuttle n’eut lieu qu’en avril 1981. Les Américains avaient dissuadé les Européens d’entreprendre le développement du lanceur Ariane qui, de leur avis, faisait appel à une technologie d’un autre âge.

Dans les années 70, la France, qui ne pouvait accepter le monopole américain, avait convaincu la jeune ESA d’investir dans le programme Ariane qui offrirait un accès européen à l’espace. Le nombre restreint des missions scientifiques et technologiques en Europe spatiale pouvait-il justifier pareil investissement ? Pour avoir un lanceur compétitif, on devait le produire en grande série… Il fallait impérativement se tourner vers les opérateurs commerciaux de relais géostationnaires pour les télécommunications afin de leur proposer, avec Ariane, un intéressant service de lancement. C’est ce qu’ont compris 2 brillants ingénieurs qui occupaient les postes clés du programme Ariane: le Français Frédéric d’Allest (CNES) et le Belge Raymond Orye (ESA), tous 2 responsables du programme européen des lanceurs. Comme l’ESA ne pouvait se charger d’une production en série pour des lancements commerciaux, il était impératif d’organiser une entité spécifique pour commercialiser le lanceur européen. Encouragés par un premier contrat signé dès 1978 avec l’opérateur global Intelsat, avant que la première Ariane ait volé, les promoteurs d’Ariane allaient de l’avant avec la mise sur pied d’Arianespace

  

Percée réussie pour la famille Ariane 4

L’objectif de la société française de transport spatial fut de mettre tout en œuvre pour offrir un outil performant d’accès à l’orbite géostationnaire. C’est le 23 mai 1984 qu’Arianespace, avec la 9e Ariane, inaugure la première ligne commerciale de transport spatial pour la mise en orbite de transfert géostationnaire du satellite Spacenet-1 (1,2 t) pour le nouvel opérateur américain Gte (General Telephone & Electronics). Ce lancement faisait suite à 2 vols qui avaient servi à Intelsat. Le maître atout d’Arianespace fut d’offrir à ses clients un service flexible, «sur mesure». Le lancement double – 2 satellites à la fois – a constitué sa grande originalité pour partager le coût entre 2 opérateurs.

Très vite, il a fallu augmenter les performances du lanceur européen vu que la masse des satellites, en même temps que leurs performances, ne cessaient de croître. L’ESA a développé pour Arianespace la famille modulaire des Ariane 4, capables d’injecter jusqu’à 4,7 t de satellites géostationnaires. Pas moins de 113 succès sont à l’actif d’Ariane 4 entre 1988 et 2003. Malgré ce beau bilan, l’ESA décidait d’investir dans le puissant lanceur Ariane 5, dont le concept s’inspirait de celui du Space Shuttle américain: de la propulsion cryogénique (hydrogène-oxygène liquides) avec 2 moteurs à poudre pour satelliser jusqu’à 10,5 t en orbite de transfert ! Au début des années 1990, il était question de lui confier la navette européenne Hermès et une petite station Columbus. Mais suite à l’implosion de l’Union Soviétique et les possibilités de coopération avec la Russie spatiale, ces ambitieux projets ont tourné court. 

Le 18 février dernier, le 106e vol
réussi d’Ariane 5 a permis de placer sur orbite de transfert géostationnaire le
JCSat-17 (Japon) et le GEO Kompsat-2B (Corée). (Photo Arianespace/CSG)

Compléments
Vega-Soyouz pour Ariane 5

Le premier lancement partiellement réussi d’Ariane 5 remonte au 30 octobre 1997. Jusqu’au 18 février dernier, 106 Ariane 5 ont permis des satellisations. Les performances élevées du nouveau lanceur d’Arianespace le rendaient moins flexible pour des missions commerciales, plus difficile à rentabiliser. Il fallut, avec des aménagements sur la base de Kourou (Guyane française), compléter Ariane 5 avec le petit lanceur Vega de conception italienne et le lanceur moyen Soyouz de l’industrie russe. Néanmoins, Ariane 5 a pu tenir la dragée haute au lanceur Proton commercialisé par la société russo-américaine Ils (International Launch Services) avec un premier vol, le 2 décembre 1997, pour le satellite Astra-1G de l’opérateur luxembourgeois SES.

C’est surtout l’actuelle métamorphose du New Space qui vient bousculer le trio Ariane 5-Soyouz-Vega d’Arianespace. Les Européens n’ont pas assez pris au sérieux la montée en puissance de l’entreprise SpaceX de l’audacieux Elon Musk. Sa fusée à 2 étages Falcon 9, qui vole depuis le 4 juin 2010, a réussi 82 lancements jusqu’à ce 18 mars, avec des versions sans cesse améliorées. Capable de placer 8 t en orbite de transfert géostationnaire, voire de servir à des missions habitées, le lanceur de SpaceX a démontré la possibilité de réutiliser son premier étage dans de bonnes conditions. Arianespace n’avait pas cru bon de considérer la pertinence économique de cette réutilisation. Face à Falcon 9, l’ESA et ArianeGroup ont réagi en décidant de financer le programme Ariane 6 dès décembre 2014, lequel doit redonner un nouveau souffle à la flexibilité d’Arianespace.

Avec Ariane 6, il est question d’un duo moins coûteux, plus facile à rentabiliser qu’Ariane 5. Deux modèles de lanceurs, les Ariane 6.2 (5 t en orbite de transfert) et Ariane 6.4 (11 t), seront mis en œuvre avec intégration à l’horizontale depuis le nouvel ELA-4 (Ensemble de Lancement n°4) du Centre spatial guyanais. Mais pour son 40anniversaire, Arianespace doit affronter la crise du covid-19 qui a mis à l’arrêt ses installations de lancements. Ce qui repousse à 2021 le premier lancement d’Ariane 6.2. Il lui faut par ailleurs encaisser la procédure de mise en faillite de l’important client One Web qui lui avait confié les lancements de sa méga-constellation de satellites pour un Internet global. L’année prochaine, la concurrence américaine risquera d’être fort ardue pour Arianespace. Outre le Falcon 9 de SpaceX, on devrait avoir le New Glenn de Blue Origin (Amazon), le Vulcan-Centaur d’Ula (United launch Alliance) et l’OmegA de Northrop-Grumman

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