Société

Stress
post-traumatique: quand le contrôle de la mémoire fait défaut

Anne-Catherine De Bast

Anthony Tran/Unsplash, Polina Zimmerman/Pexels, Gustavo Fring/Pexels, Gerd
Altmann/Pixabay

Une odeur, une image, un rêve. Il suffit d’un détail pour que les personnes souffrant de stress post-traumatique voient resurgir des souvenirs intrusifs angoissants. Longtemps attribuée à une défaillance de la mémoire, cette résurgence de pensées serait aussi liée aux mécanismes cérébraux qui en assurent le contrôle. L’opportunité d’identifier de nouvelles pistes de traitement

Les fans de séries américaines en entendent souvent parler, du «PTSD», pour Post Traumatic Stress Disorder. En français, on parle de syndrome de stress post-traumatique. Un nom difficile à répéter sans bafouiller, pour évoquer un trouble qui prend de plus en plus de place dans la société, à l’heure où la recherche de bien-être psychique, émotionnel et cognitif des personnes n’est plus remise en question.

On le sait, certains événements laissent des traces. Des cicatrices visibles, mais aussi émotionnelles, plus difficiles à cerner, à soigner. Le stress post-traumatique est de celles-là. Il s’agit d’un trouble anxieux sévère, qui se développe à la suite d’une expérience vécue comme traumatisante et génératrice d’une détresse importante.

Les causes ne manquent pas: un accident, la perte d’un proche, une situation angoissante. Un vol à l’arrachée dans la rue, une agression «banale», une attaque terroriste de grande ampleur telle que les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles ou ceux du 13 novembre 2015 à Paris. Des événements qui marquent ceux qui les vivent, mais aussi leurs proches, et parfois même toute la société, dans des cas comme ceux-là.

  

 
Mieux comprendre la mémoire humaine

Pour tenter de mieux comprendre les mécanismes du syndrome de stress post-traumatique et ainsi mieux les traiter, l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS-France) et Hesam Université (Paris) ont lancé un programme de recherche transdisciplinaire, baptisé «Programme 13-novembre». La population touchée de près ou de loin par les attentats est si large qu’il est permis de comparer les réactions des sujets, et donc d’en tirer des conclusions permettant de faire avancer la recherche.

L’objectif du programme: étudier la construction et l’évolution de la mémoire individuelle et collective de ces événements traumatiques, et mieux comprendre les facteurs protégeant les individus du stress post-traumatique. Un volet de ce programme, l’étude d’imagerie cérébrale Remember, s’intéresse aux réseaux cérébraux impliqués dans le trouble de stress post-traumatique et permet d’aller plus loin dans la compréhension de la mémoire humaine. Cette étude se penche sur une question qui intrigue les neuroscientifiques depuis toujours: pourquoi certaines personnes ayant vécu un traumatisme souffrent-elles de stress post-traumatique, alors que d’autres n’en développent pas ? Par ailleurs, existe-t-il un lien entre les mécanismes de contrôle de notre mémoire et la capacité de résilience des personnes ? Autrement dit: peut-on mieux comprendre les souvenirs intrusifs, qui perturbent les individus au point de leur faire revivre sans cesse l’événement traumatique ? Quels sont les mécanismes mis en place par les autres pour rebondir après le traumatisme ?

  
Modéliser les images

Alison Mary, chercheuse à l’ULB, a participé à l’étude d’imagerie cérébrale Remember. «L’originalité de cette étude, c’est qu’elle se penche sur un dysfonctionnement des mécanismes qui permettent de contrôler la mémoire, indique-t-elle. Elle se focalise sur les facteurs de protection et les marqueurs cérébraux associés à la résilience au traumatisme. Les autres études sont généralement orientées sur un dysfonctionnement de la mémoire. Ici, nous proposons une nouvelle approche

Concrètement, l’étude d’imagerie cérébrale Remember émet l’hypothèse que les souvenirs intrusifs, ces images qui reviennent en mémoire des victimes de manière inopinée et les plongent dans l’angoisse, seraient liés à un dysfonctionnement des réseaux cérébraux impliqués dans le contrôle de la mémoire. Pour la vérifier ou l’infirmer, un groupe de 175 individus a été étudié. Parmi eux, 102 ont vécu les attentats, dont 55 ont développé un stress post-traumatique et 47 ne l’ont pas fait. «On trouve dans ce groupe de 102 individus des personnes qui étaient au Bataclan lors des attentats, mais aussi des parents et des proches de victimes, précise la chercheuse. On peut développer un stress post-traumatique en ayant un ami décédé ou qui a vécu quelque chose de très grave, sans avoir vécu soi-même le traumatisme.» Quant aux 73 autres individus, ils n’ont pas été exposés aux attentats.

Pour modéliser la résurgence des souvenirs intrusifs constatée chez les volontaires souffrant de stress post-traumatique sans les exposer aux images choquantes des attentats, les scientifiques ont opté pour un protocole de recherche en imagerie cérébrale s’appuyant sur la méthode Think/No-think. Une méthode qui vise à associer des mots indices avec des objets n’ayant aucun rapport les uns avec les autres. «Dans un premier temps, on a demandé aux personnes d’apprendre ces associations, explique Alison Mary. Lorsqu’elles étaient confrontées à un mot, elles repensaient automatiquement à l’objet qui y était lié. Ensuite, nous avons étudié la capacité des participants à bloquer cette intrusion, à chasser l’image qui se présentait dans leur esprit contre leur gré lorsqu’elles découvraient le mot indice. Il y a alors 2 possibilités: le participant arrive à bloquer l’intrusion ou il n’y arrive pas. L’objectif était de comparer dans ces conditions ce qu’il se passe dans le cerveau quand il y a intrusion ou non, au sein des 3 groupes de personnes. Il s’agissait de comprendre quelles sont les capacités du cerveau à contrôler notre mémoire quand il y a intrusion.»

  

Les 4 principaux symptômes du stress post-traumatique

Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) se développe parfois chez des individus ayant été confrontés à des événements choquants, dangereux ou effrayants. Historiquement, c’est auprès des militaires revenant du front qu’ont été menés les premiers diagnostics. Mais le trouble de stress post-traumatique peut toucher n’importe qui, et survenir après toutes sortes de traumatismes: une catastrophe naturelle, le décès d’un proche, une agression,… Le TSPT peut apparaître juste après un traumatisme ou des années plus tard. Il se manifeste par plusieurs symptômes, variables d’un individu à l’autre, dont quatre principaux:

Les souvenirs intrusifs sont les symptômes les plus caractéristiques. Ils se manifestent pas des images mentales, des cauchemars, des odeurs ou des sensations associées aux éléments vécus. Ils surgissent de manière inopinée et répétée, bouleversent la vie quotidienne des personnes et provoquent des émotions telles que la détresse, la culpabilité, la peur ou encore la colère.

Les personnes qui en souffrent ont tendance à favoriser des comportements d’évitement et d’isolement, pour fuir tout ce qui pourrait éveiller le souvenir du traumatisme.

Elles développent des altérations négatives cognitives et des pensées noires, qui persistent sur le long terme.

Elles sont régulièrement hyperréactives, agressives et hypervigilantes, en réponse à des stimuli environnementaux perçus de manière disproportionnée.

Des symptômes physiques provoqués par le rappel de l’événement peuvent accompagner cet état, comme des tensions musculaires ou une accélération du rythme cardiaque.

Le TSPT peut affecter les personnes directement touchées par le traumatisme ou qui en sont témoins, ou des personnes indirectement touchées comme les membres de la famille d’une personne ayant vécu l’événement traumatique. Les personnes exposées de manière répétée à des images aversives liées au traumatisme, telles que le personnel soignant ou les membres de la police, peuvent aussi en souffrir.

  

  
Bloquer les souvenirs intrusifs

Pour cela, les chercheurs ont analysé les connexions cérébrales entres les régions de contrôle, situées dans le cortex frontal, et les régions des souvenirs, telles que l’hippocampe. «Nous avons étudié la connectivité cérébrale des participants, soit la manière de communiquer des différentes régions du cerveau. Nous voulions voir comment une région peut inhiber ou lancer l’activité d’une autre. Nous avons regardé comment le cortex préfrontal agissait pour inhiber l’activité des régions de la mémoire et s’il y avait des différences selon qu’il y avait ou non intrusion. Nous avons constaté que les individus sains étaient capables d’engager des mécanismes de contrôle efficaces plus importants en présence d’une intrusion que les individus souffrant d’un stress post-traumatique. Ces derniers ne sont pas capables de le faire, ils ont un dysfonctionnement de cette capacité à contrôler la mémoire, alors que les individus sains utilisent ce mécanisme à l’occasion d’une intrusion. Concrètement, les personnes souffrant de stress post-traumatique, surutilisent leurs mécanismes de contrôle comme si elles étaient toujours en attente d’avoir une intrusion, elles utilisent leurs ressources cérébrales de la même manière qu’elles aient ou non une intrusion. On ne constate donc aucune différence au niveau de leur connectivité cérébrale, contrairement aux individus sains qui agissent de manière réactive en stimulant leurs mécanismes de contrôle en réaction à une intrusion.»

L’étude permet donc d’affirmer que les patients souffrant de stress post-traumatique présentent une défaillance des mécanismes qui permettent de supprimer et de réguler l’activité des régions de la mémoire lors d’une intrusion, et notamment de l’activité de l’hippocampe. La persistance du souvenir traumatique ne serait pas seulement due à un dysfonctionnement de la mémoire, mais aussi des mécanismes qui en assurent le contrôle. 

«Dans notre étude, nous suggérons que le mécanisme de suppression des souvenirs n’est pas intrinsèquement mauvais et à l’origine des intrusions comme on le croyait, explique Pierre Gagnepain, chercheur Inserm et responsable scientifique de l’étude Remember. En revanche, son dysfonctionnement l’est. Si on prend pour analogie les freins d’une voiture, ce n’est pas le fait de freiner, ou dans le cas qui nous occupe, de supprimer les souvenirs qui pose problème, mais le fait que le système de freinage soit défaillant, ce qui conduit à sa surutilisation».

Les chercheurs ne sont pas en mesure de préciser actuellement si ces difficultés de contrôle étaient présentes avant le traumatisme ou si elles en sont la conséquence.

«Les intrusions de la mémoire sont involontaires, constate Alison Mary. C’est généralement un élément de la vie quotidienne, non menaçant, un indice, un bruit, une odeur qui fait ressurgir le souvenir de manière involontaire. Il crée un sentiment désagréable, du stress, de la peur… Il faut trouver un moyen de rendre de nouveau efficace ces mécanismes de contrôle pour que ces intrusions automatiques ne ressurgissent plus, pour faire en sorte que ce passé traumatisant ne vienne plus envahir le quotidien.»

De nouvelles pistes
thérapeutiques

Les résultats de l’étude Remember pourraient permettre de mettre en place de nouvelles pistes thérapeutiques complémentaires à celles qui sont déjà appliquées.

Actuellement, la majorité des thérapies existantes consistent à proposer aux patients de recontextualiser les souvenirs problématiques de manière à réduire le sentiment de peur qu’ils suscitent. «Les thérapies actuelles, notamment cognitivo-comportementales, sont axées sur le traumatisme, souligne Alison Mary. On demande aux personnes de revenir volontairement sur un souvenir désagréable dans un contexte sûr. Ce type de thérapie cognitive et comportementale pourrait être complété par une autre forme de thérapie, qui n’impliquerait pas pour les patients de se confronter au traumatisme. Les 2 éléments sont importants, complémentaires: diminuer la peur mais aussi contrôler la mémoire». Travailler sur les mécanismes de contrôle de la mémoire pourrait ainsi faciliter le traitement du souvenir traumatique dans les thérapies classiques. «Cela reste encore très théorique, ce sont des hypothèses de recherche qui nécessitent d’être testées. Les chercheurs cliniciens pourraient utiliser ces théories pour essayer d’améliorer les thérapies, mais c’est une autre étape de la recherche à franchir.»

Les résultats du projet Remember ouvrent d’ailleurs la porte à la réalisation de plusieurs études, destinées à les compléter. Les données collectées lors des sessions d’imagerie cérébrale seront réutilisées pour des analyses spécifiques des altérations de l’hippocampe, zone clé de l’intrusion des souvenirs. L’évolution des participants à l’étude sera également suivie sur le long terme. Les résultats de l’étude Remember seront également confrontés à ceux du programme 13-novembre, qui étudie plus largement l’évolution du souvenir traumatique aux niveaux collectif et individuel.

COVID 19: 
À quoi s’attendre ?

Difficile d’évoquer le trouble de stress post-traumatique sans se demander quel sera l’effet de la pandémie de coronavirus sur la population. «La situation actuelle peut bien sûr générer du stress et des angoisses, explique Alison Mary. Au point de développer un stress post-traumatique ? C’est possible, notamment auprès des personnes qui ont été hospitalisées, ou dont un proche est décédé. Le risque psychologique pour les ainés qui ont vécu isolés de leurs proches durant toute cette période n’est pas non plus à négliger. L’un des critères du stress post-traumatique est un stress qui menace l’intégrité de la personne. Le Covid-19 peut générer une peur de mourir, une peur d’être attaqué personnellement. De premières études sur les conséquences psychologiques du Covid et du confinement commencent à sortir… Certaines de ces études montrent notamment que dans la population générale, les symptômes dépressifs, anxieux, les troubles du sommeil mais également des symptômes proches de ce que l’on observe dans le trouble de stress post-traumatique sont en nette augmentation

Le trouble de stress post-traumatique menace aussi le personnel soignant, qui se trouve en première ligne, fatigué, stressé, confronté à une pathologie inconnue et à des images peu habituelles. La mort et la maladie font certes partie de leur quotidien, mais les circonstances inédites touchent également ces soignants prétendument «habitués» à les côtoyer. Ils ont souvent peur d’être contaminés, mais peut-être encore plus d’être porteurs et de contaminer les autres. Ces conditions particulières peuvent les pousser à refouler leurs sentiments, à tirer sur la corde au point qu’elle finisse par craquer.

Ce n’est pas rare: la multiplication de cas de stress post-traumatique est régulièrement observée auprès des professionnels de la santé durant ou à la suite d’épidémies. «Le risque est immense, si rien n’est fait alors un membre du personnel soignant sur deux est susceptible de développer des symptômes de stress post-traumatique, indiquait Xavier Noël, professeur de psychopathologies à l’ULB et chercheur qualifié FNRS au micro de la RTBF. Ces symptômes, ce sont notamment des peurs intenses, des réactions physiologiques fortes comme la tachycardie ou la transpiration, des difficultés de concentration, des troubles du sommeil ou encore des flashbacks qui font revivre le traumatisme vécu. Autant dire des symptômes qui amèneront à des incapacités de travail ».

La plupart des hôpitaux ont demandé à des psychologues d’intervenir dans les unités Covid ou ont mis en place des permanences téléphoniques et/ou des groupes de parole. Un suivi à assurer d’autant que les symptômes risquent d’apparaître plus tard, après l’épidémie, une fois que l’attention aura été relâchée.

  

  

  

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