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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

©BELGA/AFP, Ekaterina Bolovtsova/Pexels, Yury Kim/Pexels, ©Reinhard Dirscherl

Des requins mélomanes ?

Si les requins en général ont une fâcheuse réputation de tueurs – imméritée pour de nombreuses espèces – ils la doivent à 2 espèces en particulier: le grand requin blanc et le requin-tigre. Le premier n’est plus à présenter: il a fait l’objet de suffisamment de films pour qu’on se fasse une idée (souvent exagérée, tout de même) de sa férocité. Et puis, il y a l’autre: le requin-tigre qui partage avec le précédent la taille (plusieurs mètres de long) et l’appétit (voir photo ci-dessus). Mais si le premier est un prédateur exclusif, le second est nettement moins sélectif. Il mange (ou plutôt avale) tout, à tel point qu’il a été qualifié de poubelle des mers. On a en effet retrouvé dans son estomac ce qui est logique d’y trouver, mais aussi un certain nombre de rejets dont l’homme sait se montrer coupable: matières plastiques sous toutes leurs formes, objets métalliques et même pneus. Tout ça peut rester un certain temps dans le tube digestif de l’animal, qui régurgitera au besoin. Du coup, ce requin devient un objet d’étude intéressant pour quantifier et qualifier les effets de la pollution des mers et océans.

À chaque fois qu’un spécimen vient s’échouer sur une plage et qu’un examen est possible, un inventaire du contenu digestif est opéré. Il est généralement sans surprise, sauf que des scientifiques y ont régulièrement retrouvé des restes d’oiseaux terrestres. Ce qui leur a posé question puisque, jusqu’à preuve du contraire, le requin-tigre n’est pas habilité à se mouvoir sur terre. Plusieurs hypothèses ont donc été émises, soumises ensuite à validation. L’une d’entre elles était que ces nettoyeurs voraces étaient peut-être sensibles au chant (et sans doute surtout au cri) des oiseaux volant à proximité de la surface de l’eau et prêts à s’y poser. L’idée était d’autant plus crédible que c’est au cours des périodes de migration aviaire que les observations ont été faites.

Il semble qu’il n’en est rien, et que la réalité est bien plus sommaire: au cours de leur long périple migratoire, les oiseaux peuvent se poser sur l’eau le temps de reprendre quelques forces ou y sont rabattus par les bourrasques de violents orages. C’est le moment choisi par le prédateur, qui n’a donc pas l’oreille musicale mais une bonne vue, pour croquer sa proie. Des proies faciles, finalement. Tout comme les jeunes requins, dont ils font aussi leur ordinaire. L’appétit n’a ni morale ni oreilles…

   Ecologyhttp://doi.org/c55f (2019)

Quel est le plus petit de tous les ongulés ? 

Un chevrotain à dos argenté vietnamien d’à peine 5 kg et de la taille d’un lapin. On pensait le Tragulus versicolor disparu. Jusqu’en 2018 en tout cas, puisqu’une équipe de naturalistes, épaulée par des pisteurs locaux, a pu prendre des clichés de l’animal. À l’évidence, ce tout petit herbivore gracile est toujours bien présent, mais sa taille, le mimétisme de sa robe et sa discrétion naturelle l’ont mis à l’abri de tous les humains, y compris de ceux qui ne lui veulent aucun mal. Ce n’est que grâce à des caméras à déclenchement automatique discrètement placées, que les scientifiques à sa recherche ont pu le voir. Qu’elle soit toujours présente ne signifie pas que l’espèce soit hors de danger; elle reste sur la liste rouge des espèces en danger d’extinction. Même si cela n’est pas encore précisé, il y a fort à parier que dans la foulée de cette redécouverte, un programme de conservation va être mis en place pour permettre à cet herbivore poids plume de poursuivre sa vie terrestre. Celui que l’on appelle en anglais mouse deer (ou cerf souris, c’est dire !) n’est pas à l’abri de la prédation, y compris et peut-être surtout, celle qu’opèrent les carnivores des sous-bois ainsi que les oiseaux de proie, qui sont plus gros que lui…

Une victoire ne signifie certes pas que la guerre est gagnée, mais cela en prend tout de même la voie.

   Nature, 2019; 575: 263

Plancton à l’agonie 

Si les pesticides ont généralement mauvaise presse, les néonicotinoïdes figurent dans le peloton de tête de ceux qui sont le plus souvent pointés du doigt. Ce sont aussi ceux qui sont les plus largement utilisés depuis une vingtaine d’années, tant pour traiter les cultures que le bétail en batterie ou en stabulation. Il s’agit de toxiques puissants du système nerveux central qui agissent déjà à faibles doses tant le produit peut être concentré. Mais une autre de leurs propriétés chimiques est leur faible biodégradabilité, ce qui en fait des toxiques rémanents qui s’accumulent dans les différentes sphères de l’écosystème, menant à l’intoxication d’espèces qui n’étaient a priori pas visées. On sait à cet égard ce qu’il en est de la diminution des populations d’abeilles mellifères, même si l’implication directe des pesticides reste controversée.

Une étude japonaise récemment publiée apporte son écot à la responsabilité des pesticides incriminés, mais cette fois sur les populations d’anguilles et de saumons. Largement appréciés au Japon comme ailleurs, ces poissons ont fait l’objet d’une évaluation des densités de population dans un lac où ils sont classiquement pêchés. Il va de soi, une fois de plus, que ces espèces n’ont en aucun cas été visées par l’usage des néonicotinamides. L’effet, manifeste et néanmoins avéré, est forcément indirect. Il tient, comme évoqué plus haut, à la rémanence de ces produits et à leur dégradation très lente. Résultat: ils s’accumulent puis sont entraînés par les eaux superficielles qui les emmènent en aval; dans le Lac Shinji, en particulier où l’étude a été menée. On a pu démontrer, évaluations chiffrées à l’appui, que depuis le début de l’utilisation de ces pesticides en 1993, la biomasse du plancton de printemps a chuté de 83%. Conséquence: la chaîne alimentaire aquatique s’en est trouvée totalement perturbée et, en bout de course, la pêche des saumons est passée, dans le même temps, de 240 à 22 tonnes, soit une réduction de plus de 90%. Rien n’interdit par ailleurs que ces mêmes poissons aient concentré des pesticides dans leur propre chair: néonicotinamides ou autres. À ce titre, on sait que les organochlorés, dont l’utilisation est bannie chez nous depuis 1972, se retrouvent toujours dans des poissons à chair grasse, notamment parce que ces molécules se fixent aux graisses et que leur durée de vie est de l’ordre de 100 ans.

Vu de l’extérieur et avec un brin de cynisme, on pourrait affirmer que cela ressemble à un «retour à l’envoyeur» sauf que les consommateurs des poissons ou ceux qui en sont frustrés ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui ont fait usage des pesticides. Et quand bien même on interdirait l’usage de ces poisons environnementaux, il en reste assez dans le sol et dans les eaux pour en «profiter» malheureusement longtemps encore malheureusement. 

   Science, 2019 ; 366 : 620-623

Sommeil
ou… sommeil bercé ?

En cette période de rentrée, la qualité du sommeil fait partie des sujets les plus fréquemment abordés dans les conversations. Et il est difficile de savoir ce qui constitue un «bon» ou au «mauvais» sommeil, chacun ayant des besoins ou simplement des aspirations différentes. Si une durée de 7h30 à 8h est jugée normale pour un adulte, on sait que pour quelques-uns, 4h suffisent quand d’autres se plaignent de s’être éveillés 1 ou 2 fois pendant une durée d’alitement de 10 ou 11h. On ne peut donc exclure une évaluation très subjective de ce que peut être un bon sommeil et pour beaucoup de contemporains occidentaux, les anxiolytiques, hypnotiques et somnifères sont régulièrement appelés à la rescousse.

Cela n’empêche pas les spécialistes du sommeil de tenter d’offrir à celui-ci un paramétrage plus objectivable pour, au besoin, focaliser sur une problématique spécifique sur laquelle agir de façon ponctuelle. C’est notamment ce qui constitue l’objectif des laboratoires du sommeil implantés dans les hôpitaux.

Les membres d’une équipe genevoise a semble-t-il décidé d’aborder le problème d’une toute autre façon. Ils sont partis du «lit des anges», une invention amérindienne que l’on appelle plus couramment aujourd’hui le hamac; cette couche dotée de 2 points d’ancrage permettait, à l’origine, de bercer les jeunes enfants. On sait à quel point de nombreux adultes, marins ou pas, ont repris depuis la bonne formule à leur bénéfice.

À l’évidence, une fréquence de bercement particulière, évaluée à 0,25 Hertz par les scientifiques, permet non seulement un endormissement plus rapide, mais aussi un sommeil de meilleure qualité avec, à la clé, une amélioration du score d’apprentissage. Tout cela fait l’objet d’études très paramétrées, tant chez la souris qu’avec le concours de cobayes humains. Les différentes phases du sommeil ont été décomposées, surveillées de près et la mémorisation a fait l’objet de tests qui ont permis de vérifier les aptitudes mnémoniques des sujets humains soumis ou non au bercement.

Ces observations ont conduit les chercheurs suisses à faire construire un lit suspendu, animé d’un balancement en rapport avec la fréquence optimale retenue; ce qui mène à lui faire opérer une oscillation horizontale de 10 cm en 4 secondes aller et retour. C’est très lent et à défaut de pouvoir le supporter toute une nuit, une simple sieste permet également d’en tirer profit.

Un autre travail de recherche totalement indépendant de celui qui vient d’être rapporté et lui aussi récemment publié, apporte peut-être un élément additionnel d’explication. Sans entrer dans le détail de ce qui est tout de même une étude neurophysiologique, il apparaît que le sommeil permet un flux actif de liquide cérébrospinal, lequel flux a pour objet de débarrasser les différentes zones du cerveau (3e et 4e ventricule, plexus choroïde, etc.) des métabolites qui s’y sont accumulés. Le bercement pourrait tout simplement, et sur un rythme lent, amplifier cette «clairance» naturelle.

Voilà en tout cas un terrain additionnel d’évaluation pour ceux qui ont le sommeil difficile. Et si leur problème passait dorénavant par là plutôt que par le recours aux benzodiazépines ?  

   Médecine/science, 2019; 8-9: 622-624
   Science, 2019; 366: 572-573

De la santé au travail

Il est difficile de remettre en cause les bienfaits du travail tant celui-ci apparaît comme un élément incontournable et fondateur de notre système social. Il permet d’accéder à un statut, à l’intégration dans un milieu social et donne accès aussi à un salaire sur lequel tous les prélèvements sont possibles ensuite. Pour le meilleur (sécurité sociale) comme pour le pire (à chacun de voir). Les implications de l’activité professionnelle vont bien entendu au-delà de cette seule évocation; on peut s’en plaindre pour le stress qu’elle impose et les complications diverses qu’elle génère, mais c’est apparemment quand elle fait défaut qu’on s’en plaint le plus. Il n’en reste pas moins vrai que le travail quel qu’il soit, s’il apporte des satisfactions de tous genres, est aussi le vecteurs de soucis dont on ne prend bien souvent conscience qu’a posteriori et qui portent un nom clair et limpide: maladies professionnelles.

Le magazine Médecine/sciences y consacrait il y a peu un éditorial, pointant les différences de risques associés à la condition sociale. Car selon qu’on est cadre ou ouvrier/salarié, on n’est pas confronté aux mêmes risques; lesquels sont souvent accrus, dans le second cas, par des facteurs aggravants liés au tabagisme ou à l’abus d’alcool. Ce n’est bien entendu pas systématique, mais dans un registre épidémiologique, les différences sont nettes. Quelques exemples peuvent être pointés au passage. Si par exemple on estimait à 2% la proportion des cadres exposés à des produits cancérogènes pendant les heures de travail, la proportion atteindrait 25% chez les ouvriers qualifiés. La pénibilité «mécanique» concernerait 10% des femmes et des hommes du premier groupe, pour 70% du second. Contrairement à une idée reçue, le stress ressenti irait dans le même sens: il concernerait 12% des membres du premier groupe, 2 fois plus des représentants du second.

Globalement, toutes conditions confondues, on estime que 15% des cancers du poumon (soit 1/6e environ) chez les hommes seraient liés à une exposition prolongée à l’amiante et 10% de tous les cancers à des cancérogènes liés à l’activité professionnelle. Au total, les extrapolations portent à une valeur située entre 5 et 7% la proportion des décès directement liés à un facteur professionnel. Ce ne sont que quelques valeurs reprises d’études françaises valables, mais on peut raisonnablement penser que pour les Belges, les réalités ne sont guère différentes. Il va de soi que certains chiffres s’inscrivent dans le temps: l’exposition à l’amiante a pu concerner davantage d’individus dans le passé qu’aujourd’hui. Mais on ne peut que constater qu’il reste toujours un risque d’exposition à «quoi que ce soit» de toxique. Et que ce risque mérite une information et une prise de conscience en relation avec le travail effectué; une réalité qui semble distinguer les niveaux sociaux évoqués.

Sans jugement de valeur. Mais il demeure que sur le long terme, mieux vaut une activité professionnelle dûment évaluée pour le risque sanitaire qu’elle présente, quitte à en changer si ce risque est jugé trop élevé. C’est aussi un équilibre coût/bénéfice sur lequel il est utile de prendre le temps de se pencher, tant dans le registre économique que politique.

   Médecine/sciences 2019: 6-7: 495-496 

BIO ZOOM

À l’instar de Thor, dieu nordique du tonnerre, on dirait que ce mollusque a fait appel à la
foudre ! Il n’en est rien, Ctenoides ales, ou lime électrique, produit un phénomène d’arc électrique au niveau des bords de son manteau externe, extrêmement réflectifs. Lorsque le mollusque déploie ses lèvres, ce miroir d’1 mm de large est exposé et reflète la lumière ambiante (surtout bleue), comme une boule disco ! Ceci s’explique par le fait que la partie interne des bordures de la lime est couverte de minuscules sphères de silice, un minéral utilisé entre autres pour la fabrication du verre. 

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