Chimie

Priestley
et Lavoisier : pour et contre le phlogistique

Paul Depovere • depovere@voo.be

PIXABAY,© Illustration de Eve & Langlois

La science progresse parfois à reculons. Tel fut le cas avec la théorie du phlogistique conçue par J. J. Becher (1635-1682) et développée par G. Stahl (1660-1734), médecin du roi de Prusse et chimiste à ses heures perdues. Le phlogistique est un principe d’inflammabilité censé intervenir lors de la combustion et dont l’existence fut défendue avec obstination par Joseph Priestley (1733-1804) avant d’être écartée définitivement par Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794)

  

On peut dire que l’histoire du phlogistique – un élément-flamme issu de la théorie aristotélicienne des 4 éléments (air, eau, terre, feu) – imprégna de manière malencontreuse la chimie du 18e siècle. Ainsi, le charbon de bois était considéré comme fort riche en phlogistique qu’il perd en brûlant, alors qu’il ne subsiste que des cendres (c’est-à-dire l’élément «terreux») dont la masse est négligeable. Cependant, d’autres expériences, impliquant la calcination de métaux tel le mercure, aboutissaient au contraire à une augmentation de la masse engagée, alors que du phlogistique avait dû s’en échapper. Ceci amena les partisans de cette théorie à affirmer que le phlogistique pouvait, dans certains cas, être caractérisé par une masse négative !

 
L’oxygène et son rôle lors des combustions

C’est dans ce contexte qu’un théologien britannique, Joseph Priestley, passionné de chimie, s’inspira des expériences effectuées par Jan Baptist van Helmont (1579-1644) à Bruxelles et par Joseph Black (1728-1799) en Écosse. Il s’intéressa notamment à la couche d’air qui apparaissait au-dessus des cuves de fermentation de bière. Cet air, qu’il qualifia de «fixé», éteint les bougies allumées et fait mourir les petits animaux. En revanche, les plantes ont le pouvoir de rendre ce gaz propre à la respiration. Il s’agissait de dioxyde de carbone (CO2), que Priestley eut l’idée de dissoudre dans de l’eau, obtenant ainsi une agréable boisson gazeuse (1)

Le dispositif imaginé par Lavoisier pour réaliser la calcination du mercure

  

Poursuivant ses recherches relatives à la «chimie pneumatique», celui-ci eut, en 1774, l’idée saugrenue de faire converger les rayons du Soleil à l’aide d’une lentille convexe de 30 cm de diamètre vers un tube en verre contenant une poudre rouge (en fait de l’oxyde de mercure). Il remarqua le dégagement d’un air qu’il qualifiera de «déphlogistiqué», lequel rend plus brillante la flamme des bougies et permet à des souris de respirer plus facilement. Ayant rendu visite à Antoine Lavoisier – considéré comme le père de la chimie moderne (2) – pour lui relater sa découverte (3), ce dernier chercha à quantifier rigoureusement le phénomène décrit par son interlocuteur. Pour ce faire, il fit chauffer assez énergiquement du mercure dans une cornue qui communiquait avec une cloche dans laquelle se trouvait environ 1 l d’air. Après une dizaine de jours, il constata que le mercure avait arrêté de se recouvrir de poudre rouge (oxyde de mercure) et que ce volume d’air s’était réduit pour se stabiliser à 0,8 l. En fait, cet air résiduel était un gaz particulier provoquant l’extinction de la flamme d’une bougie et n’entretenant pas la vie (d’où, plus tard, l’appellation azote – du grec azôê, «qui ne permet pas la vie»). Lavoisier en déduisit que le gaz disparu avait forcément dû se combiner avec le mercure pour former le composé rouge. Pour le prouver, il récupéra cette poudre et entreprit de la chauffer modérément dans son dispositif expérimental. Il constata ainsi qu’elle se retransformait en mercure métallique et que le volume de gaz sous la cloche revenait à sa valeur initiale, permettant à nouveau à une bougie de brûler. Ainsi, le chimiste démontra que l’air était un mélange de gaz (composé pratiquement de 20% d’air vital O2, c’est-à-dire l’air déphlogistiqué qu’il appellera désormais oxygène) et de 80% d’azote (N2, air nitreux ou air phlogistiqué) et non un élément comme on le pensait jusqu’alors. Il en vint finalement à énoncer sa célèbre loi de la conservation de la masse des éléments chimiques que l’on peut résumer par «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme»

Au contraire des partisans du phlogistique, Lavoisier établit donc une séparation nette entre le devenir de la matière pondérable, invariable avant, pendant et après toute réaction, et l’intervention d’un fluide igné. En particulier, les combustions impliquent la consommation de l’oxygène de l’air et le corps brûlé (qu’il s’agisse par exemple de carbone ou d’un métal) augmente de poids au prorata de la quantité de l’oxygène absorbé. Cette assertion rendra obsolète la théorie du phlogistique et démontrera définitivement que ni l’air ni le feu ne sont des éléments. Selon Lavoisier, le nom d’élément n’est attribuable qu’à des corps simples qui ne peuvent plus être décomposés par des moyens chimiques ordinaires.

FEMME DE CHIMISTE ?

Marie-Anne Paulze (1758-1836) ne cessa d’aider activement son mari dans ses célèbres travaux de recherche. Elle apprit même à dessiner avec le peintre Jacques Louis David, ce qui lui permit de réaliser toutes les illustrations des appareillages utilisés (que l’on peut admirer dans le Traité élémentaire de chimie). 

Elle organisa également des «salons», recevant même de temps à autre la visite de Benjamin Franklin. Fort douée en langues, elle traduisit pour son mari le livre Essay on Phlogiston de R. Kirwan, ainsi que d’autres textes écrits par J. Priestley et H. Cavendish, tout en y relevant parfois des aberrations manifestes. Tout cela prouvait que ses connaissances en chimie étaient loin d’être minimales et qu’elle manifestait une grande curiosité scientifique.

Timbre d’Antoine Laurent de Lavoisier avec son épouse et collaboratrice, Marie-Anne Paulze, d’après une peinture de Jacques Louis David

La peinture de Jacques Louis David, 1788.

  
L’eau n’est pas un élément non plus

On doit au chimiste Henry Cavendish (1731-1810) la découverte de l’air inflammable (H2) en 1766, alors qu’il faisait réagir de l’acide sulfurique sur du zinc. Le 16 février 1785, Lavoisier chercha à prouver que l’eau n’était pas une substance élémentaire mais plutôt un corps composé. Pour ce faire, il réalisa à Paris, devant une assemblée de savants, la décomposition de l’eau en H2 et O2 en faisant passer ce liquide au travers d’un tube de fer (un canon de fusil dont on avait ôté la culasse) chauffé au rouge. De l’hydrogène apparut à la sortie tandis que l’oxygène s’était combiné au fer pour former du FeO. Puis, lors d’une autre expérience, il réunit ces 2 gaz – délivrés en proportions convenables (4) par 2 gazomètres – dans un ballon central vidé de son air pour ensuite les enflammer grâce à une étincelle électrique, ce qui eut pour effet de reformer exclusivement de l’eau. Tout était démontré ! Et la théorie farfelue du phlogistique justifiant les combustions devait être abandonnée au profit de l’intervention de l’oxygène. 

 

Le saviez-vous ?

(1) Un bijoutier genevois, Jacob Schweppe, s’inspira de la technique de Priestley et réussit à gazéifier l’eau à l’échelle industrielle, ce qui fera l’objet d’un brevet déposé en 1783. Il fondera,  à Londres, sa fabrique d’eau gazeuse Schweppe’s Soda Water. Cette boisson rencontrera un vif succès – notamment avec l’Indian Tonic à base de quinine. Plus tard, la marque adoptera tout simplement le nom Schweppes.

(2) C’est Lavoisier qui établit, avec divers collègues, une nouvelle nomenclature permettant d’appeler de manière rationnelle des substances telles que l’eau-forte, l’esprit de vitriol, etc. Devenu, dès 1778, fermier général – c’est-à-dire un agent habilité à percevoir des impôts -, il se rendit impopulaire durant la Terreur et fut guillotiné le 8 mai 1794, le jour même où son arrêt de mort fut prononcé.

(3) Il semble par ailleurs que Carl Wilhelm Scheele (1742-1786), un pharmacien suédois, ait découvert l’oxygène dès 1772 en calcinant du dioxyde de manganèse (MnO2), mais il aurait attendu 1777 avant de publier ses résultats.

(4) Il fallait toujours engager 2 volumes d’hydrogène pour 1 volume d’oxygène, ce qui démontrait que la réaction de synthèse de l’eau correspondait à l’équation
2 H2(g) + 1 O2(g) → 2 H2O(g).

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