Qui est-ce?

Youyou TU

Jacqueline Remits • jacqueline.remits@skynet.be

©AFP (titre), ©BELGAIMAGE (vignette)

Je suis…

Une chercheuse chinoise en pharmacie. Je termine mes études en faculté de pharmacie à l’Université de médecine de Pékin en 1955. J’enchaîne par une formation de plus de 2 ans sur les théories de la médecine chinoise traditionnelle à l’intention des experts occidentaux en la matière. En 1965, je suis nommée professeure assistante à l’Académie chinoise de médecine traditionnelle de Pékin. Dans les années 1950, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a lancé un ambitieux programme d’éradication du paludisme. Sans beaucoup de succès. La maladie reprend de plus belle dans de nombreuses régions du monde, notamment en Chine. En 1967, Mao Zedong me demande de trouver un nouveau remède dans la médecine traditionnelle chinoise et de diriger les recherches. Je pars dans la Province du Hainan, au sud du pays, où la maladie fait des ravages, pour en observer les effets. Je ne reverrai pas ma fille de 4 ans pendant 6 mois et durant cette absence, mon mari sera banni du pays et envoyé dans un camp de travail. Mais comme je l’ai raconté au New Scientist, je suis prête à sacrifier ma vie personnelle, mon travail est ma priorité. Assistée de 3 personnes, je voyage à travers toute la Chine en interrogeant les médecins pratiquant la médecine traditionnelle, collectant ainsi près de 2 000 remèdes à partir desquels mon équipe fabrique 380 extraits de plantes. En fin de compte, je trouve une réponse à mes interrogations dans un texte ancien, un manuscrit du 4e siècle dans lequel l’auteur conseille l’utilisation de l’armoise. Plus de 10 ans après cette découverte, en 1985, je suis nommée professeure titulaire, ensuite professeure-présidente, puis directrice de recherche et responsable du Centre de recherche-développement sur l’artémisinine à l’Académie de médecine chinoise traditionnelle, à Pékin. En 1984, je suis nommée «Éminent scientifique» par la nation chinoise, puis 10 ans plus tard, l’une des 10 femmes les plus éminentes par le gouvernement central et «Travailleur national d’avant-garde» par le Ministère national. En 2002, je suis reconnue comme «inventrice du nouveau siècle» par l’Office d’État de la propriété intellectuelle de la République populaire de Chine.

 
À cette époque…

En 1955, quand je suis diplômée, Albert Einstein pousse son dernier soupir aux États-Unis. Ce célèbre savant était surtout connu pour sa théorie de la relativité. En 1967, quand j’entame mon voyage de recherche, la première greffe de cœur est réalisée par le Professeur Christian Barnard au Cap, en Afrique du Sud. En 1972, quand je trouve le médicament antipaludique, le prix Nobel de médecine est remis à l’Américain Gérald Edelman et au Britannique Rodney Porter pour leurs travaux sur les réactions immunitaires. 

 
J’ai découvert…

Une nouvelle thérapie contre le paludisme (ou malaria). Pendant près de 50 ans, avec mon équipe, nous avons travaillé sur la recherche d’une molécule plus efficace que la quinine, car des résistances à celle-ci étaient apparues. Lors de notre périple, nous avons fini par découvrir les vertus de l’armoise annuelle, Artemisia annua, qui freine la croissance des parasites responsables de la malaria. Il restait à en extraire le principe actif, à le tester sur des animaux, puis sur l’homme. J’ai commencé sur moi-même avant de le tester sur de vrais patients. Et il a encore fallu 10 ans de recherche pour développer un traitement vraiment efficace. En 1972, un médicament antipaludique de structure complètement nouvelle, l’artémisinine, voit le jour. Il est le seul médicament provenant de Chine à avoir été reconnu dans le monde entier. Ces travaux de recherche contre le paludisme me vaudront de recevoir le prix Nobel de physiologie ou médecine en 2015.

Mon équipe et moi avons ensuite concentré nos recherches sur le traitement anti-malaria démontrant que la résistance partielle du parasite à l’artémisinine pouvait retarder la disparition de ce dernier dans le sang. En 2019, j’ai proposé de nouvelles solutions pour résoudre les problèmes de résistance à l’artémisinine et je soutiens que cette dernière reste le meilleur traitement pour combattre la malaria. J’ai obtenu de nouveaux résultats dans la recherche de ce principe actif de la plante armoise annuelle et de ses dérivés. J’ai aussi dirigé un groupe de recherche qui a mis au point 4 nouveaux médicaments de 1e catégorie. Tout au long de ma carrière, et grâce aux connaissances acquises au fil du temps, j’ai obtenu des résultats dans de nombreux domaines tels que la pharmaco-chimie, les techniques de traitement de la médecine chinoise traditionnelle, en particulier en combinant des textes anciens, des remèdes populaires et des méthodes scientifiques modernes.

 

Saviez-vous que…

Le mot «paludisme» vient du latin paludis qui signifie «marais», tandis que le mot «malaria» vient de l’italien mal’aria, qui veut dire «mauvais air». Très difficile à soigner, cette maladie, due à plusieurs espèces de parasites appartenant au genre Plasmodium, infecte le sang en détruisant les globules rouges. La conséquence la plus grave est l’anémie, associée à des fièvres intermittentes, et peut entraîner la mort.

Depuis le 17e siècle, la malaria était soignée grâce à l’écorce de quinquina rapportée du Pérou par les Jésuites, traitement amélioré en 1820 par des chimistes français qui en ont extrait le principe actif, la quinine. Dans les années 1930, la firme allemande Bayer, recherchant des molécules dérivées plus efficaces, a mis en vente la chloroquine, toujours utilisée et dont on parle beaucoup aujourd’hui.

Dans les années 1970, le Nord-Vietnam, en guerre avec son voisin du sud, a construit un réseau de tunnels afin de récupérer l’eau de pluie. Les moustiques du genre anophèle, vecteurs du paludisme, se sont reproduits dans cette eau stagnante et ont infecté l’armée nord-vietnamienne, au point que la maladie a tué plus que les armes. Les Nord-Vietnamiens se sont alors tournés vers la Chine lui demandant de trouver une solution. Et c’est en 1972 que Youyou Tu et son équipe ont découvert l’artémisinine.

Le médicament à base d’artémisinine a déjà sauvé la vie de millions de personnes dans le monde et reste le médicament le plus utilisé aujourd’hui. Il est toujours recommandé par l’OMS comme traitement le plus efficace et le plus sûr contre le paludisme, tout en étant bon marché. Même si cette maladie est en forte régression sur la planète grâce à l’action du Fonds mondial, elle touche encore aujourd’hui près de 200 millions de personnes par an et en tue plus de 500 000.

«D’après les autorités chinoises, aucun cas de malaria n’a été reporté en Chine depuis 2017 indiquant que l’épidémie semble y avoir été éradiquée», rapporte France Diplomatie. La Chine continue cependant ses recherches sur la prévention et le contrôle de la malaria afin de compléter son arsenal médicamenteux. «Les travaux de recherche menés par Youyou Tu sur la lutte contre la malaria sont à la fois révolutionnaires, remarquables et incommensurables», a déclaré le Dr Pedro L. Alonso, directeur du programme mondial de lutte antipaludique de l’OMS à Genève.

Les recherches de Youyou Tu ont été pleinement supportées par le gouvernement chinois qui en a fait le fer de lance de sa campagne de promotion de la médecine traditionnelle chinoise. «Les travaux menés sur l’artémisinine ont permis à cette médecine de bénéficier d’une meilleure attention et même de se voir consacrer un chapitre dans la 6e édition du magazine Oxford Medical Textbook», ajoute France Diplomatie.

 

Carte d’identité

Naissance 

30 décembre 1930, à Ningbo (Province de Zhejiang, Chine)

Nationalité

Chinoise

Situation familiale 

Mariée, 1 fille

 

 

Diplôme 

Pharmacologie à l’Université de médecine de Pékin, médecine traditionnelle chinoise au Centre pour les sciences de la santé de l’Université de Pékin

Champs de recherche 

Pharmacologie, médecine traditionnelle chinoise, traitement contre le paludisme

Distinctions 

Prix Albert-Lasker pour la recherche médicale clinique (2011); prix Nobel de physiologie ou médecine (2015)

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