Physique

Trous noirs d’été

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net

©A. Füzfa, UNamur, The GraL Collaboration

Nos chercheurs semblent aimer les trous noirs. Deux exemples récents viennent le rappeler, où ondes et mirages gravitationnels jouent un rôle de premier plan 

Évocation de la déformation de l’espace-temps autour de la boucle du Cygne par 2 trous noirs

 

Depuis leur première détection directe en 2015, les ondes gravitationnelles occupent régulièrement le devant de la scène. Rappelons qu’elles sont en quelque sorte à la force de gravitation ce que la lumière est à la force électromagnétique. Mais si l’onde lumineuse fait vibrer des charges électriques, l’onde gravitationnelle fait vibrer la matière et l’énergie; c’est donc une distorsion de l’espace-temps. Les détecter a demandé la construction d’«observatoires» gigantesques, des interféromètres et une minutie peu commune (lire par exemple Athena n° 332 et 345). Le Professeur André Füzfa, de l’UNamur, a pour sa part choisi une autre solution, nécessitant un investissement bien moindre (lire Athena n° 318). Rappelons que les recherches de celui-ci portent sur la génération de champs gravitationnels. Dans un article paru en 2016, il proposait de créer un champ gravitationnel à partir d’un champ magnétique intense, idée que le Professeur namurois a brevetée en 2018 et qui est en cours d’étude de réalisation (la construction d’un prototype n’a pas encore débuté). Pour détecter la présence d’un champ gravitationnel, il faut détecter la variation de courbure de l’espace-temps, ce que font justement les grands interféromètres pour mettre en évidence les ondes gravitationnelles. Le modèle proposé par André Füzfa est donc une antenne à ondes gravitationnelles; elle est composée d’une cavité métallique spécifique plongée dans un champ magnétique très intense. Lorsque l’onde gravitationnelle traverse l’antenne, elle fait siffler (résonner) la cavité dans le domaine des micro-ondes.

Mais quel rapport avec les trous noirs ? Aucun… sauf qu’un trou noir est un objet céleste tellement compact que la lumière elle-même ne peut s’en échapper, formé par exemple par l’explosion des étoiles très massives en supernova. Les masses et les énergies mises en jeu dans ces phénomènes en font des clients idéaux pour la génération (puis la détection) d’ondes gravitationnelles. C’est ce qui se produit par exemple lors de la fusion de 2 trous noirs. Ces ondes cependant ne provoquent pas seulement une distorsion de l’espace-temps mais aussi un très faible signal électromagnétique… qui pourrait être repéré par les antennes à ondes gravitationnelles du Professeur Füzfa. Les voici donc devenues détectrices de fusions de trous noirs… Mais pas n’importe lesquels. Professeur à l’ULB, Sébastien Clesse est un spécialiste d’une sorte particulière de trous noirs, ceux dits primordiaux. Ils ne seraient pas d’origine stellaire comme les précédents mais se seraient formés au tout début de l’univers (d’où leur nom) et constitueraient peut-être la matière noire que les astrophysiciens recherchent depuis des décennies sans encore l’avoir observée directement.

Dans leur article accepté par Physical Review D (1), les chercheurs belges proposent de repérer ces trous noirs hypothétiques grâce à l’antenne namuroise. Comment distinguer de tels trous noirs par rapport à ceux déjà détectés ? Ceux d’origine stellaire sont «grands», leur taille, proportionnelle à leur masse, étant d’au moins quelques kilomètres. Les trous noirs primordiaux, eux, seraient beaucoup plus petits, plutôt la taille d’une balle de tennis, voire une bille ! Cette différence affecte la fréquence des ondes gravitationnelles émises lors de leur fusion: ils émettent à très haute fréquence (de l’ordre de 100 MHz), ce que peut repérer l’antenne à ondes gravitationnelles alors que les ondes gravitationnelles détectées jusqu’à aujourd’hui, émanant de fusions de trous noirs d’origine stellaire, ont des fréquences beaucoup plus basses (entre 10 et 1 000 Hz), ce que détectent les grands interféromètres du type LIGO ou Virgo. 

Quatre des nouveaux quasars en forme de trèfle cosmique. Le point flou au milieu des images est la galaxie «lentille», dont la gravité divise la lumière du quasar derrière elle de manière à produire 4 images du quasar ou mirages gravitationnels.

 
Mirages gravitationnels

Après les ondes gravitationnelles, les mirages. C’est cette fois vers l’ULiège qu’il faut se tourner. L’intérêt des chercheurs liégeois – au premier rang desquels Jean Surdej, aujourd’hui Professeur honoraire – remonte au début des années 80, quand beaucoup doutaient encore de l’existence de ce phénomène prédit par Einstein lorsqu’il élaborait sa théorie de la relativité générale. Pour comprendre, imaginons ce que les chercheurs appellent des «ogres cosmiques», des quasars, objets parmi les plus lumineux de l’univers. Il s’agit de trous noirs supermassifs engloutissant matière et gaz au rythme de plusieurs dizaines de fois la terre par minute.

L’émission intense de lumière ne vient pas du trou noir mais bien de l’échauffement du gaz lors de sa chute vers le trou. Ce phénomène se passe dans le lointain de l’espace comme du temps, c’est-à-dire il y a une dizaine de milliards d’années lorsque les trous noirs étaient encore entourés d’une importante quantité de gaz et de matière. Nous en recevons la lumière seulement aujourd’hui. Au cours de tout ce temps et ce long périple, la lumière émise par le quasar a peut-être croisé une galaxie, amas de plusieurs milliards d’étoiles, et si l’alignement est optimal entre le quasar, la galaxie et nous, il se produit un phénomène de lentille gravitationnelle: la galaxie va amplifier la lumière d’origine, voire la déformer et en donner des images multiples. Ces images – fausses – du quasar sont appelées des mirages gravitationnels. Ils sont dus à la déformation de l’espace-temps au voisinage de la galaxie qui entraîne une déformation des rayons lumineux en provenance du quasar.

Un premier mirage a été découvert en 1979 (image double d’un quasar) et 6 ans plus tard, une première image quadruple (un trèfle à 4 feuilles) a été observée. Depuis lors, une soixantaine de ces trèfles seulement a été découverte. En 2002, Jean Surdej propose de chercher de tels objets cosmiques parmi les astres qui seront répertoriés par le futur observatoire spatial européen Gaia. Lancé en 2013, celui-ci a bien travaillé jusqu’à aujourd’hui et ce sont 2 milliards d’étoiles qui figurent à son catalogue. L’article (2) signé notamment par Jean Surdej et ses collègues liégeois Ludovic Delchambre et Dominique Sluse, relate la découverte de 12 nouveaux mirages gravitationnels de type «trèfles cosmiques à 4 feuilles», repérés dans le catalogue de Gaia. Ce qui, en soit, est déjà extraordinaire vu le petit nombre de ces objets. Mais ce qui l’est encore davantage, c’est la méthode qui a permis ces découvertes: des techniques d’intelligence artificielle. Les scientifiques ont en effet appris à des algorithmes informatiques à reconnaître ces trèfles à partir de divers critères de sélection. Trèfles cosmiques ou trous noirs primordiaux, nos chercheurs apportent leur pierre à la compréhension des fondements de l’univers.

(1) Detecting planetary-mass primordial black holes with resonant electromagnetic gravitational-wave detectors, Nicolas Herman, André Fűzfa, Léonard Lehoucq, and Sébastien Clesse;  Phys. Rev. D, june 2021.

(2) Gaia DR2 Gravitational Lens Systems. VI. Spectroscopic Confirmation and Modeling of Quadruply-Imaged Lensed Quasars; Stern et al., Gaia GraL; The Astrophysical Journal.

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