Espace

Quelle Europe face au New Space ? 

Théo PIRARD • theopirard@yahoo.fr 

Cnes-Esa, SpaceX

En à peine 2 décennies, le phénomène Internet a envahi notre quotidien, au point qu’on ne peut s’en libérer. Au départ, l’emploi du numérique avec PC, tablettes, smartphones, a séduit avec la découverte du monde merveilleux des technologies de l’information et de la communication. On ne peut plus se passer de cet outil à la portée d’un clic…

La nouvelle infrastructure Ela-4, en Guyane, doit servir aux lanceurs Ariane 6 dès 2020

 

Mine de rien, de manière insidieuse, ce sont des puissances privées qui, en multipliant les applications de toutes sortes, se sont développées aux États-Unis et ont pris peu à peu possession de nos modes de vie. Désormais, les écrans font partie de l’existence. Ils passent à la conquête du globe avec le déploiement au-dessus de nos têtes de satellites-relais de données, sous la forme de méga-constellations pour la prochaine décennie. Il s’agit d’initiatives ambitieuses que l’on doit à des sociétés concurrentes qui s’appellent One Web, Starlink ou Kuiper. Par ailleurs, afin de mieux connaître et comprendre, sous toutes les coutures et latitudes, les ressources et activités sur notre planète, on assiste à l’essor, sous l’impulsion de la libre entreprise, de petites constellations de micro-satellites. Même de petits lanceurs trouvent une raison d’être pour leur mise en orbite.

Cette mainmise grandissante du privé sur la dimension spatiale a reçu le nom de New Space. Il prend par ailleurs la forme de projets audacieux qui font rêver le monde entier. On se demande où vont s’arrêter les ambitions d’Elon Musk (SpaceX) et de Jeff Bezos (Blue Origin): développant des lanceurs réutilisables pour mieux contrôler l’odyssée de l’espace, les 2 hommes d’affaires veulent être partie prenante des programmes d’exploration de la Lune et du système solaire. Comme s’ils étaient là pour aider l’humanité à s’évader de la Terre… Les pouvoirs publics sont surpris, voire dépassés, par l’ampleur des moyens mis en œuvre: ils n’ont rien vu venir de cette déferlante qui tire grandement parti des ressources du numérique. Comment se positionne l’Europe pour défendre les intérêts de son industrie des systèmes spatiaux ? Dans les semaines à venir, elle doit débloquer des ressources budgétaires afin de sauvegarder et renforcer son savoir-faire pour l’espace: 13,9 milliards d’euros prévus pour la période 2020-2022 afin de financer les programmes de l’Esa (European Space Agency), quelque 14 milliards d’euros réservés à l’espace dans le projet du Cfp (Cadre financier pluriannuel) 2021-2017 de l’Union Européenne. Il faut y ajouter les budgets qu’envisagent les agences spatiales nationales, principalement en France, en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni. 

Un lancement du Blue Origin de Jeff Bezos

 
Lanceurs d’un nouveau type

Il y a 40 ans, cette Europe osait miser sur son lanceur Ariane pour défier une Amérique dominante sur la scène spatiale. D’un concept fort classique, la fusée de l’Esa (European Space Agency) réussissait son premier vol le 24 décembre 1979. Commercialisée par la société de transport spatial Arianespace, elle entendait rivaliser avec la navette révolutionnaire – parce que réutilisable – de la Nasa. Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 250 Ariane qui ont décollé du Centre Spatial Guyanais de Kourou. Elles ont permis à 380 satellites de gagner une position sur l’orbite géostationnaire. Le lanceur européen produit par ArianeGroup au sein d’Airbus et de Safran doit affronter une sérieuse concurrence américaine avec SpaceX, qui met en œuvre des Falcon 9 uniques au monde avec des premiers étages réutilisables. En 2021, le New Shepard développé par Blue Origin dans un certain secret entrera en service: parmi les clients qui se sont déjà manifestés pour des services de lancement, on trouve l’opérateur européen Eutelsat !

Alors que les SpaceX et Blue Origin sont en train de métamorphoser la célèbre base du Cape Canaveral, le Cnes (Centre National d’Études Spatiales) construit le complexe Ela-4 (Ensemble de Lancement n°4) pour la mise en œuvre des lanceurs Ariane 6.2 et 6.4 plus économiques, avec un soutien de la Commission européenne pour ses satellites. C’est la réplique de l’Europe face à de nouveaux concurrents qui font preuve d’une réactivité innovante. Mais pourra-t-elle suffire, alors que le marché des satellites géostationnaires ne suscite plus guère l’engouement ? L’Esa, avec le programme Ariane 6 dont le développement est en cours chez ArianeGroup pour un vol de démonstration à la fin de 2020, aurait dû miser davantage sur l’innovation, notamment en privilégiant les technologies de réutilisation des étages ou des propulseurs. Elon Musk avec SpaceX poursuit inexorablement son dessein d’exploration spatiale en se montrant, avec une certaine mégalomanie, proactif dans la maîtrise de systèmes performants pour le transport dans l’espace, sur la Lune ou sur Mars. Il a déjà en chantier un énorme super-lanceur qui sera constitué de 2 étages réutilisables: le Starship (150 t sur orbite) pour des missions habitées, des services cargo ou des ravitaillements sur orbite (voir photos ci-dessous), et l’élément de base Super Heavy (3 300 t au décollage) propulsé par 37 moteurs Raptor (fonctionnant au méthane et à l’oxygène liquide).

Le super-lanceur Starship VS le Falcon 1 de SpaceX

Un des rêves d’Elon Musk: ravitailler une base lunaire à l’aide de SpaceX

 
Satellites en grande série

En Europe, les opérateurs de satellites pour les télécommunications ont privilégié l’anneau de l’orbite géostationnaire (altitude de 35 800 km à l’aplomb de l’équateur). Les principaux fournisseurs de services de couverture globale sont SES au Grand Duché, Eutelsat en France et Inmarsat au Royaume-Uni. On vit à l’heure du déploiement de dizaines, centaines, voire milliers de satellites pour une connectivité globale à haut débit. Deux fabricants européens de satellites se sont mis à la mode de l’assemblage de satellites à la chaîne: Thales Alenia Space avec les satellites pour les constellations Globalstar, Iridium Next et O3b (SES) et Airbus Defence & Space comme fournisseur de la constellation OneWeb avec la production en série des microsats basés sur la plateforme Arrow.

Les applications sur orbite (connexions mobiles, observation continue, collecte de données) connaissent un réel engouement. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un candidat à l’affût de capitaux à risques n’annonce un projet innovant de constellations. Ce qui devrait, dans les années à venir, donner lieu à une prolifération de nano- et micro-satellites au-dessus de nos têtes. C’est le concept Cubesat qui, en tant que standard de référence, a fait prendre conscience des opportunités de réaliser de petits satellites à bas coût avec l’emploi de composants sur étagère. Du coup, le paysage industriel pour des systèmes spatiaux compacts et performants est en train de se remodeler avec de nouveaux fabricants connaissant un certain essor en Europe comme «spin-offs» de pôles universitaires: Isis (Innovative Solutions In Space) aux Pays-Bas, Gomspace au Danemark, AAC Clyde Space en Grande-Bretagne (Écosse), Hemeria/Nexeya en France. Ils sont devenus des références pour des solutions miniaturisées pouvant être satellisées en grappes pour exploiter l’espace. Le Portugal sur l’île de Santa Maria (Açores) et le Royaume-Uni en Écosse envisagent d’implanter des centres de lancement ! 

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