Physique

De l’hydrogène métallique

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net 

© J. Adam Fenster / University of Rochester, © Synchrotron Soleilgraphy

L’intitulé de l’article publié dans Nature en cette fin janvier ne manquait pas d’intriguer (1). Il y est en effet question d’hydrogène métallique et d’une découverte probable. Une incertitude qui en dit long sur la difficulté de l’expérience réalisée par des physiciens français 

L’échantillon d’hydrogène est contenu dans une presse à enclume de diamants… spécialement taillés sur mesure

  

L’hydrogène, on connaît et depuis longtemps ! C’est le chimiste Lavoisier qui a ainsi nommé ce gaz (H2) découvert en 1766 par Cavendish. Ce dernier l’avait appelé «air inflammable» tant il est vrai qu’il s’enflamme et explose au contact de l’oxygène – souvenons-nous de la catastrophe du dirigeable Hindenburg en 1937 -, mais Lavoisier a préféré le nom plus sympathique (et plus vrai) de gaz qui «engendre l’eau». L’élément hydrogène (H) est l’élément le plus abondant de tout l’univers visible (environ 75% en masse et 92% en nombre d’atomes), présent dans les étoiles et les planètes gazeuses mais aussi les nébuleuses et le gaz interstellaire. Les étoiles brillent parce qu’elles transforment des quantités folles d’hydrogène en hélium: environ 600 millions de tonnes par seconde en ce qui concerne le Soleil. Six cents millions de tonnes d’hydrogène qui ne deviennent que 596 millions de tonnes d’hélium, les 4 tonnes manquantes étant converties en énergie, source de vie sur Terre. Mieux encore, c’est l’hydrogène qui, en s’alliant avec l’oxygène, forme l’eau (la vie encore…) et avec le carbone ou l’azote, les composés du vivant (la vie toujours…). Bref sans ce gaz, le plus léger de tous, nous ne serions pas.

Son importance et son abondance en ont évidemment fait un objet d’études multiples, particulièrement en chimie. Pour les physiciens, c’est un peu la quintessence de la simplification. Sous son isotope (forme) le plus répandu, son atome n’est composé que d’un proton et un électron: 2 particules seulement, du pain béni pour la résolution des équations de mécanique quantique. Grâce à lui, on a pu expliquer bien des mécanismes atomiques.

 
Drôle de position

Pourtant, un petit détail vient toujours troubler ce portrait idyllique: sa position dans le tableau périodique des éléments de Mendeleïev. Numéro 1 du tableau, il est placé en haut de la première colonne, à gauche. Donc dans la colonne des… métaux alcalins. Or, il est tout sauf un métal: qu’il soit sous forme gazeuse, liquide ou solide, du moins dans des conditions de pression «normales», il ne conduit pas l’électricité, il est un isolant. Pourquoi alors l’avoir situé là dans le tableau périodique ? Sans doute parce qu’il partage certaines propriétés chimiques avec les autres éléments de cette colonne. Peut-être aussi parce que ces autres éléments sont des métaux dits mous, qui ont comme particularité de provoquer un dégagement d’hydrogène lorsqu’on les mélange à l’eau. Mais c’est aussi parce qu’on ne sait trop où le placer. Certaines versions du tableau isolent d’ailleurs l’hydrogène pour en faire un élément hors catégorie.

Et si, finalement, cette place parmi les métaux n’était pas si étrange ? Une interrogation qui se pose dès 1935 lorsque Eugène Wigner (prix Nobel) déduit de la résolution des équations d’onde de Schrödinger qu’à des pressions élevées (mais sans précision sur ce caractère élevé), le gaz d’hydrogène, isolant, allait se comporter soudainement comme un cristal métallique conducteur. Depuis lors, la course à l’obtention du métal hydrogène est lancée. Avec, à plusieurs reprises, des espoirs de réussite jamais totalement confirmés. En fait, on s’est vite rendu compte que pour atteindre ce phénomène, il faudrait des pressions très élevées, semblables à celles qui règnent au centre de la Terre et donc, pendant longtemps, inaccessibles en laboratoire. Mais ce qui a surtout relancé l’intérêt pour ce processus, c’est la découverte (théorique bien sûr), fin des années 1960, d’une propriété alléchante: cet hydrogène métallique serait non seulement conducteur mais même supraconducteur; et il le resterait à des températures et pressions ambiantes ! Autrement dit, il serait métastable. L’exemple bien connu de cette propriété est évidemment celui du diamant, qui n’est que du graphite (carbone) porté à très hautes températures et pressions. Pourtant, lorsque celles-ci redeviennent ambiantes, heureusement pour les bijoutiers, le diamant ne redevient pas du graphite, il reste un diamant pour des milliards d’années. Il en irait de même pour l’hydrogène. De quoi relancer les tentatives pour obtenir de l’hydrogène métallique.

L’équipe de chercheurs auprès du dispositif
expérimental qui a permis la mise en évidence de l’état métallique de
l’hydrogène. De gauche à droite: Florent Occelli, Paul Loubeyre et Paul Dumas

 
Quatre millions d’atmosphères

La dernière en date est celle de 3 chercheurs français du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et du Synchrotron Soleil. Ils ont compressé une petite quantité d’hydrogène gazeux dans un étau constitué de diamants qui, malgré leur résistance, ont tout de même tendance à casser lorsque la pression devient trop importante. Or, en sculptant ces diamants de manière précise grâce à un faisceau d’ions, les chercheurs sont parvenus à obtenir des diamants résistant à une pression supérieure à 4 millions d’atmosphères (environ 400 gigapascals – GPa, plus qu’au centre de la Terre). Ils ont ensuite procédé à une analyse optique de l’échantillon dans l’infra-rouge, ce qui a permis d’observer le changement de phase, signature du caractère métallique de l’échantillon, et de déterminer avec précision la pression d’apparition du phénomène (425 GPa). Le bémol contenu dans le titre de l’article provient du fait qu’ils ont obtenu un solide cristallin métallique dont les sites sont occupés par des molécules H2 et non par des atomes H comme Wigner l’avait décrit. Autres bémols: s’ils ont constaté la conductibilité de leur hydrogène métallique moléculaire, les chercheurs n’ont pu déterminer s’il était supraconducteur et surtout, ils ont constaté que leur échantillon n’était pas métastable.

On aura vite compris l’intérêt des scientifiques pour ce phénomène. Car si le caractère métastable du métal ainsi produit ainsi que sa supraconductivité devaient être prouvés, on disposerait donc pour la première fois d’un supraconducteur à température ambiante. De quoi bouleverser toute l’électronique, le transport du courant… mais aussi par exemple rendre courants les aimants supraconducteurs. Mais il pourrait aussi se révéler être un carburant particulièrement efficace. Car du fait de sa densité, il aura une efficacité énergétique bien supérieure à ce qu’on connaît. Une avancée majeure pour le stockage de l’hydrogène, ce qui constitue un enjeu énergétique important aujourd’hui. 

(1) Synchrotron infrared spectroscopic evidence of the probable transition to metal hydrogen, P. Loubeyre, F. Occelli et P. Dumas, Nature 577

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