Chimie

À la recherche de l’or noir : une torchère magique !

Paul DEPOVEREdepovere@voo.be

Pennsylvania Historical and Museum Commission, Drake Well Museum, Titusville, Penn

Le pétrole est cette huile visqueuse qui a résulté de la dégradation de la matière organique vivante dont la Terre était remplie voilà plusieurs centaines de millions d’années. Il s’agit d’un mélange inflammable contenant d’innombrables hydrocarbures différents, lequel provient d’affleurements naturels, mais aussi de puits forés selon une technique inventée depuis belle lurette par les Chinois…

Le premier puits de pétrole commercial au monde a vu le jour en 1859 à Titusville, en Pennsylvanie

À l’origine, ce pétrole permettait notamment de réaliser le calfatage (étanchéification) des bateaux, de momifier des cadavres, de confectionner du feu grégeois (mélange de salpêtre, de soufre et de bitume capable de brûler sur l’eau), voire de traiter certaines pathologies. Bien des siècles plus tard, au début des années 1850, un certain George H. Bissell, avocat en exercice à New York, apprit que le pétrole était extrêmement abondant en Pennsylvanie. Il se dit qu’on pourrait, en le distillant, récupérer la fraction appelée kérosène afin de l’employer en tant que combustible éclairant pour les lampes à huile (baptisé «pétrole lampant»), lesquelles étaient à cette époque alimentées par de l’huile de baleine. Après s’être assuré auprès de Benjamin Silliman Jr., professeur à l’Université Yale (1), de la possibilité de transposer la distillation du pétrole à l’échelle industrielle, il s’associa avec Jonathan G. Eveleth (avocat issu de l’Université Harvard) pour fonder la Pennsylvania Rock Oil Company (2). C’est finalement l’entrepreneur Edwin L. Drake qui produisit, le 27 août 1859, les premiers barils de pétrole à partir de sa tour de forage (derrick) à Oil Creek, près de Titusville (voir photo de titre). Ceci déclencha une véritable ruée vers l’or «noir», la région se couvrant d’une multitude de puits de pétrole. On considère actuellement George Bissell comme étant le «père de l’industrie pétrolière américaine», son associé Eveleth ayant perdu la vie à seulement 40 ans !

Vue générale de Funkville en 1864, Oil Creek, Pennsylvanie

Un tour de magie imprévu

Un très important gisement de gaz naturel fut découvert à Dexter, au Kansas, en 1903. Afin de fêter cette prospérité économique exceptionnelle qui s’offrait à eux, les habitants de la localité voulurent solennellement allumer la torchère avant de coiffer le puits, mais leurs gerbes de foin en feu furent en réalité chaque fois éteintes par le gaz. Ce comportement bizarre attira l’attention de quelques géologues présents à cette festivité, lesquels firent parvenir au département de chimie de l’Université du Kansas un échantillon de ce curieux gaz issu des profondeurs du sol. Et, en fait, les analyses révélèrent la présence prépondérante d’azote (ininflammable) avec seulement 15% de méthane (gaz naturel), mais aussi près de 2% d’hélium (issu du grec helios: soleil, car il n’était censé exister que dans notre Soleil), ce qui était remarquable.

Par la suite, d’autres échantillons de gaz naturel riche en hélium furent découverts, ce qui permit aux États-Unis de devenir le premier producteur mondial de ce gaz noble qu’on ne peut plus qualifier de rare. Découvrir la présence notoire d’un tel gaz sur Terre, en quantités inépuisables, enthousiasma les savants du monde entier. Celui-ci fut employé dès la Première Guerre mondiale comme gaz inerte capable d’assurer en toute sécurité la sustentation des ballons captifs, puis de dirigeables (3). L’isotope 4 de cet élément fut également à l’origine de découvertes exceptionnelles en physique fondamentale, notamment dans le domaine du froid (4)

Le dirigeable C-7 de la marine américaine 

Exploitation minière de l’hélium-3 lunaire

Si l’isotope 3 de l’hélium (composé de 2 protons et 1 neutron) est très peu abondant sur Terre, il est en revanche apparu dès les premiers instants de l’Univers et il intervient toujours dans la production colossale d’énergie par fusion nucléaire qui caractérise les étoiles (voir Athena n° 353). Par ailleurs, on estime qu’au moins 100 000 tonnes d’hélium-3 ont été déposées dans la poussière lunaire par les vents solaires. Enfin, il s’avère que cet isotope pourrait servir de carburant efficace pour réaliser la fusion nucléaire sur Terre dès le jour où cette technique sera fonctionnelle. Voilà pourquoi la Chine envisage très sérieusement d’envoyer bientôt une équipe de taïkonautes sur la Lune afin d’y prélever et de rapporter cet isotope si abondant et accessible. Au vu des potentialités disponibles dans une simple tonne d’hélium-3, il est permis d’espérer que la production d’énergie propre sur la Terre sera enfin résolue !

Les 2 isotopes stables de l’hélium sur Terre: l’hélium-4, très majoritaire, et l’hélium-3

(1) Il fut le premier à identifier dans le pétrole un certain nombre de fractions intéressantes parmi lesquelles le gaz naturel, l’éther de pétrole, l’essence, le kérosène, le gazole et le bitume. L’essence, considérée à cette époque comme un produit peu utile, ne servait que de détachant. Mais tout cela changea avec l’invention (par G. Daimler et C. Benz) des moteurs à combustion interne fonctionnant avec de l’essence, voire avec du gazole (sous l’égide de R. Diesel, disparu tragiquement lors d’une traversée de la mer du Nord). Cette demande de plus en plus pressante de carburants pour automobiles se traduira d’ailleurs par la mise au point de diverses techniques de craquage et de reformage des fractions plus lourdes du pétrole afin d’augmenter les rendements en produits valorisants.

(2) «Rock Oil» (huile de roche) désigne en français le pétrole, qui lui-même dérive du latin médiéval «petroleum» (huile de pierre).

(3) Le premier dirigeable gonflé à l’hélium fut le C-7 de la marine américaine, inauguré en 1921. Quant au LZ-129 Hindenburg, construit par la firme allemande Zeppelin pour assurer le transport transatlantique de passagers et dont la sustentation avait dû (en raison de l’embargo militaire des Américains) être assurée par de l’hydrogène au lieu d’hélium, il explosa le 6 mai 1937 lors de son atterrissage à Lakehurst dans le New Jersey. Ceci mit fin à ce moyen de déplacement.

(4) Lorsqu’on refroidit l’hélium-4, dont le noyau contient 2 protons et 2 neutrons, à très basse température (en dessous de 2,17 kelvins), ce liquide, plutôt que de se solidifier, subit une transition de phase et devient superfluide. Dénué de toute viscosité, il n’oppose alors plus aucune résistance à l’écoulement. De ce fait, lorsqu’on le place dans un récipient ouvert, on constate qu’il s’en échappe en remontant la paroi interne dudit récipient. L’hélium est la seule substance connue à ce jour capable d’exister sous 2 phases liquides différentes.

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