Société

Les sportives cirent les bancs

Anne-Catherine DE BAST • athena@spw.wallonie.be

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À chaque Coupe du monde, le football masculin est surmédiatisé. Le sport est-il vraiment une affaire d’hommes ? Les athlètes féminines ne sont pourtant pas rares. Mais les stéréotypes sont légion. Et les sportives manquent cruellement de reconnaissance, de médiatisation et de rémunération. Analyse

 
Les klaxons et les supporters se font plus discrets que d’ordinaire. La faute à l’hiver. Ou aux stades climatisés et à usage unique, aux milliers d’ouvriers morts sur les chantiers, aux conditions de travail déplorables, aux soupçons de corruption… C’est indéniable: l’image du Qatar a déteint sur celle de la Coupe du monde de football. Mais il en fallait plus pour ternir la motivation des afficionados du ballon rond… L’événement tant attendu aux 4 coins de la planète, le Saint des Saint, a bel et bien eu lieu !

En Belgique, quoi qu’il arrive, le foot reste le sport numéro 1. Que ce soit en termes de retransmission télévisée ou d’inscriptions dans les clubs sportifs, il a toujours la cote. Du moins quand il s’agit de sportifs masculins… Car les compétitions féminines, on en parle moins. Voire pas du tout. Une question de performance, de biologie, de culture, d’éducation, de motivation ? Pourquoi le sport est-il moins populaire auprès de la gent féminine ? Peut-être parce que justement, il est moins médiatisé. Pourquoi d’ailleurs ? Comme souvent, au-delà de l’aspect physique, le point de vue sociétal entre en jeu… «Dans la pratique sportive, dès le plus jeune âge, il existe des différences entre la participation des filles et celle des garçons, indique Géraldine Zeimers, professeure de management du sport à la faculté des sciences de la motricité de l’UCLouvain. Cette différence augmente avec l’âge. En 2020, on comptait 31% de femmes et 69% d’hommes inscrits dans un club sportif en Fédération Wallonie-Bruxelles. Malgré une égalité de la population, l’écart au niveau d’une pratique sportive est important !»

Des stéréotypes du passé

Les garçons ont tendance à aller plus facilement vers un sport comme le foot. Quant à la danse, elle est considérée comme une discipline de filles. Pourquoi ? Comme beaucoup d’autres aspects, cette représentation ressort d’une construction sociétale qui repose sur des stéréotypes. «Ce sont des pratiques héritées du passé, difficiles à changer. Nous portons le fruit de cet héritage, explique Géraldine Zeimers. Historiquement, le sport a été créé par des hommes pour des hommes. Les femmes en étaient écartées. Lorsqu’elles ont été autorisées à en faire, le cadre était bien défini, sous certaines conditions comme le huis-clos ou le port de certaines tenues peu pratiques, mais esthétiques. Elles avaient accès à des sports qui ne mettaient pas à mal l’image qu’on voulait promouvoir de la femme. Contrairement à des sports comme le foot, considérés comme plus virils et qui permettaient de mettre en évidence la virilité

Le football restera d’ailleurs interdit aux femmes jusque dans les années 70. Et même si depuis, leur condition dans la société a évolué en termes d’autonomie et d’indépendance, l’écart ne s’est pas complètement résorbé. «On a du mal à dépasser les barrières. Dans les clubs, les familles, écoles, il y a encore des idées reçues tenaces qui renforcent ces difficultés à permettre une participation égalitaire en matière de sport.» Les stéréotypes ont décidément la peau dure…

Pourtant, de l’autre côté de l’Atlantique, le football est un sport… féminin. Et là aussi, le succès du «soccer», l’autre nom du football, tire ses explications dans l’Histoire. «Aux États-Unis, c’est une loi pour l’égalité des chances qui est à l’origine de l’intérêt des filles pour le soccer, indique Boris Jidovtseff, professeur au département des sciences de la motricité de l’Université de Liège. Il n’existe pas de football américain féminin. Or pratiquer ce sport est un excellent moyen d’obtenir une bourse permettant d’aller à l’université. Les États-Unis ont développé le soccer pour donner aux filles des moyens de faire des études. Cela a fonctionné, à tel point qu’ils ont aujourd’hui la meilleure équipe de foot féminin du monde ! Ce succès donne envie aux petites filles de faire du foot, c’est valorisant pour elles

Le soccer serait donc un «sport de filles» ? Force est de constater que peu d’hommes le pratiquent outre-Atlantique. «On peut imaginer que lorsqu’un sport est identifié à un genre, on a plutôt tendance à le pratiquer ou non en fonction de notre propre genre, précise le Pr Jidovtseff. Aux États-Unis, les garçons font plus facilement du football américain, considéré comme plus viril. Ils vont peut-être faire du soccer, mais ils ne vont pas se sentir renforcés dans leur identité masculine. Dans le choix de la pratique d’un sport, il y a des facteurs culturels très forts. L’exemple du foot est interpellant.»

 

 

LES SPORTIFS, TOUJOURS PLUS FORTS QUE LES SPORTIVES ?

Au-delà de l’aspect culturel, les hommes et les femmes ne sont pas  capables des mêmes  performances. «La différenciation  est due aux hormones, indique le  Pr Jidovsteff. La testostérone est à  la base des différences physiques et  comportementales. La  différence qu’on peut voir dans les  compétitions est liée à la base  hormonale qui vient impliquer un  développement musculaire  permettant d’atteindre les  performances.» C’est biologique: les  hommes ont plus de force, plus  de puissance. Leur morphologie  leur permet de manière absolue  d’être plus performants dans un  grand nombre de domaines  physiques. «Mais il y a des  nuances… La souplesse, par  exemple, est meilleure chez les  femmes. Quand on regarde les  qualités d’endurance, les hommes  sont de prime abord plus  performants, mais plus la distance  augmente, plus la différence se  réduit. Il n’y a pas que le physique  qui peut expliquer cette diminution  de la différence, le mental joue  également un rôle. La performance  est multifactorielle: biomécanique,  neuromusculaire, mentale,  métabolique…»

Sur le plan physique, c’est la poussée de croissance de la puberté qui accentue cette différence entre homme et femme. Avant la puberté, les différences sont faibles. Il est d’ailleurs très courant de voir des filles plus rapides que les garçons dans des épreuves de vitesse.

 
Un manque de visibilité médiatique

Dans les médias, certains sports sont plus visibles que d’autres. Et dans presque tous les cas, ce sont les performances des hommes qui attirent les regards et les caméras. Mais des efforts sont consentis… On a vu les matchs des Red Flames, l’équipe nationale féminine de foot, lors du Championnat d’Europe de foot féminin, retransmis sur la RTBF en juillet dernier. Le tennis féminin occupe les ondes depuis des années lors des tournois du Grand Chelem. Les exploits athlétiques de Nafissatou Thiam sont suivis de près par les journalistes. De plus en plus, les performances sportives des femmes occupent l’antenne, c’est indiscutable. Mais on est loin d’une répartition égalitaire, surtout lorsqu’on voit la part du lion que se taille une discipline comme le football masculin dans les médias. «C’est la question de la demande et de la consommation, analyse Boris Jidovtseff. On retrouve un intérêt médiatique envers le sport et les performances chez les hommes. Les femmes regarderaient peut-être plus un sport pratiqué par des femmes, mais ce n’est pas sûr… Tout cela, c’est économique: si des millions de personnes regardent, les compétitions sont diffusées, il y a des sponsors et de l’argent

Les Red Flames, équipe nationale belge, célébrant leur victoire.
© BELGA

À la société de mettre des balises pour éviter les excès. Car les choix politiques peuvent influencer les tendances. «On l’a vu aux États-Unis: la décision prise a permis de changer complètement les pratiques sportives. C’est un raisonnement logique: plus de médiatisation apporte plus de sponsors, et donc plus de professionnalisation. Cela permet l’émergence de stars, ce qui donne plus d’envie de faire ce sport. L’approche égalitaire serait plus pertinente, mais elle doit répondre à l’offre et à la demande. Ce qu’on voit aujourd’hui dans les médias, ce sont les performances. La victoire est valorisante, et la compétition fait référence à un modèle plus masculin.»

Pour Géraldine Zeimers, cela va beaucoup plus loin: la médiatisation joue un rôle prépondérant dans la transmission des stéréotypes. «La société évolue, mais les discriminations persistent. Par exemple, les garçons occupent beaucoup d’espace dans les cours de récréation. Il est temps qu’elles soient ouvertes à tous, et à tous les sports. Émanciper grâce au sport permet de casser des stéréotypes. Certains garçons vont se rendre compte qu’il y a des filles plus fortes qu’eux. Cela remet leurs idées reçues en question. Pourquoi le foot serait-il masculin par essence ?»

Reste qu’une fille qui ambitionne de jouer au foot dans la cour de récré rencontrera toujours plus de difficultés qu’un garçon, au même titre qu’un garçon qui souhaite faire de la danse. Et cela se ressent sur la motivation… «C’est lié à la manière dont le sport est pensé, et à son accessibilité, ajoute l’enseignante. Mais il ne faut pas partir du principe que les filles sont moins motivées à faire du sport, cela ne doit pas être une raison pour dire qu’elles ne veulent pas en faire. Tout est lié à des raisons plus générales. Il n’est pas normal que les enfants, filles et garçons, n’aient pas les mêmes possibilités de faire du sport.»

Argent, politique et mentalité

À l’heure actuelle, on compte 35% de sportives sous contrat Fédération Wallonie-Bruxelles pour 65% d’hommes. Quant aux salaires, aux primes et aux indemnités, ils ne sont pas égalitaires non plus. «La différence de rémunération repose sur le fait que les salaires en Belgique restent inégaux, avec un écart de 9,2% de moyenne, précise Géraldine Zeimers. La société a tendance à considérer que la performance sportive d’une athlète est moindre que celle d’un athlète. Les courses féminines et masculines n’ont en général pas lieu en même temps, elles ne sont pas mises en évidence de la même manière. Et par manque de visibilité, les sponsors ne suivent pas… Une sportive pratiquant une discipline peu médiatisée, comme par exemple le triathlon, va avoir beaucoup de difficultés à sortir du lot. De plus, les sponsors leurs proposent des contrats différents. Il est arrivé que certaines marques rompent le contrat de leurs athlètes parce qu’elles étaient enceintes… Il commence à y avoir du changement, mais les écarts restent flagrants, tant au niveau de la médiatisation que de la rémunération.»

Globalement, les femmes sont moins représentées à tous les niveaux, qu’on parle de sportives, de fédérations, d’entraineuses ou de préparatrices physiques. Par exemple, les femmes ne sont que 29% dans les conseils d’administration. Pour faire évoluer les choses, il serait donc nécessaire de favoriser la diversité dans les instances, y assurer une représentation plus égalitaire. «Ce n’est pas typique à la Belgique, le même écart est visible au niveau international, constate le Pr Zeimers. Mais certains pays font des efforts. Ils imposent des quotas dans les CA, mènent des campagnes de sensibilisation. Cela a pour conséquence une amélioration dans la prise de décision. Quand un CA est plus égalitaire et mixte, les décisions sont différentes.»

Ici aussi, pour Géraldine Zeimers, il ne faut pas partir du principe que les femmes ne sont pas intéressées à siéger dans ces instances. Mais plutôt réfléchir à ce qui les empêche d’y assister, comme des raisons familiales ou le fait que des administrateurs plus anciens ne soient pas prêts à céder leur place. «C’est un enjeu plus large qui dépasse le monde du sport. Il faut investir et considérer qu’il peut y avoir un retour sur investissement. C’est un enjeu de santé publique et de société. Si on veut une société juste, il faut dépasser ces barrières, se remettre en question et combattre ces stéréotypes

En parallèle, peut-être est-il temps de faire évoluer la forme actuelle du sport, qui valorise la victoire plutôt que la pratique. «Le sport est un bon moyen de bouger, d’être en mouvement, bien dans peau», conclut Boris Jidovtseff. Sa représentation actuelle, orientée sur la victoire, ne répond pas aux besoins de bon nombre de personnes. «Dans le sport, on retrouve la compétition, mais on peut aussi retrouver un besoin fondamental de partager quelque chose, une dimension sociale. Il y a un changement dans les pratiques qui doit être développé et répondre à un besoin. Avoir des outils de valorisation qui ne sont pas liés à la performance.» Reste à voir si les sponsors sont également prêts à se remettre en question.

 
 

TENUE CORRECTE EXIGÉE ! CORRECTE, C’EST A DIRE ?

Joue-t-on mieux au beach volley lorsqu’on porte un bikini ? Est-on plus performante quand on joue en blanc ? Cela fait un moment que les sportives tirent la sonnette d’alarme: les tenues inconfortables les pénalisent dans la pratique de leur sport. Et contre toute attente, il n’est pas si simple de faire évoluer les mentalités. «Ce sont les fédérations qui définissent les tenues officielles des sportifs et sportives, indique le Pr Géraldine Zeimers. Il suffit de regarder qui se trouve dans les instances… Il n’y a que peu de femmes représentées. Et les uns et les autres ne réfléchissent pas à la question de la même manière».

Les sportives vivent un paradoxe difficile à gérer: elles ont besoin de médiatisation. «Et il faut parfois jouer des codes pour être médiatisées, et donc jouer sur l’hypersexualisation. Mais ce ne sont pas des tenues qui permettent une meilleure performance. On n’a pas besoin d’être en culotte pour faire du beach volley ! C’est plus agréable d’être bien équipée, plutôt que d’être la plus sexy sur le terrain

Depuis toujours, les tenues sportives des femmes sont peu adaptées, à l’image de ces joueuses de tennis qui portaient autrefois un corset. Dans certains cas, elles doivent s’équiper comme les hommes car rien n’a été prévu pour leur morphologie. «Quand elles ne doivent pas porter des tenues hypersexualisées pour faire de !’audience, s’exclame l’enseignante. La danse, le tennis, le patinage artistique… Dans ces disciplines, les sportives ont des tenues qui mettent plus en évidence le corps pour le sexualiser que pour les performances sportives. Mais parfois, même si elles ne sont pas d’accord, ces femmes doivent oser s’opposer à leur fédération. Ce n’est pas simple !»

En 2018, la joueuse de tennis française Alizé Cornet s’était vu sanctionnée d’un avertissement pour avoir brièvement enlevé son t-shirt pour le remettre à l’endroit. Faut-il préciser que les joueurs, eux, changent de t-shirt sur le court sans que personne ne sourcille. Autre exemple: en 2021 aux Championnats d’Europe de beach handball, les joueuses norvégiennes ont écopé d’une amende de 1 500 euros pour avoir refusé de jouer en bikini. Cela a créé un tel tollé qu’elles ont fini par obtenir gain de cause: exit le bikini, le débardeur ajusté et le short tout de même «court et serré» sont désormais autorisés… (Très) petit pas par petit pas mais on avance…

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