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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

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Coraux du monde: même combat !

Régulièrement, la presse nous rapporte que l’une ou l’autre plage de coraux a blanchi, signe additionnel d’un effet du réchauffement du moment ou de celui de pollutions régionales. S’ils sont blancs, c’est qu’il ne reste plus que l’exosquelette calcaire des habitants, morts ou partis ailleurs (voir photo ci-dessus). Les habitants, ce sont les polypes: il s’agit d’animaux proches des étoiles de mer qui secrètent leur enveloppe protectrice et vivent en colonie. Bien sûr, il est toujours plus vendeur de prétendre qu’ils sont morts et que c’est forcément à cause du réchauffement climatique. Cela peut bien entendu être vrai, mais pas toujours. Un polype, ça peut aussi se détacher pour gagner d’autres lieux plus propices. On a mesuré que certaines colonies pouvaient, portées par un courant favorable, parcourir 1 500 km en l’espace d’une année. Et puis il y a l’expérience des atolls. Ce sont de petites îles qui s’enfoncent dans l’océan sous le poids des madrépores (coraux) qui se sont formés à sa périphérie. Si l’île s’enfonce, les coraux aussi, devant ainsi s’adapter à de nouvelles conditions environnementales. Et ils le font depuis la nuit des temps. Les spécialistes des Anthozoaires (des polypes ici) le savent bien, tout comme ils savent que la vie est par essence dynamique et capable de s’adapter. D’où une étude menée assez récemment sur l’atoll Clercke, situé au large de la côte Ouest de l’Australie. Des chercheurs ont étudié le génome et les conditions environnementales des polypes de la ceinture externe, mais aussi ceux des coraux implantés dans le lagon lui-même, dans un environnement plus fermé. Résultats: les gènes mis à contribution par les uns et les autres ne sont pas tous les mêmes. Ceux qui sont actifs dans le lagon font état d’une adaptation à une chaleur plus importante, chaleur à laquelle les polypes se montrent donc plus tolérants.

La vie, que ce soit celle de ces petits animaux marins ou celle de tous les autres, est faite d’une adaptation permanente à la faveur de processus épigénétiques. Aurait-on oublié qu’il y a aussi des saisons ? À ce propos, on lit aussi (voir Science, 2022; 376: 9) que l’élévation de la température de l’océan qui baigne la Grande barrière de corail (côte Est de l’Australie, cette fois) aurait causé un nouveau blanchiment d’une partie des madrépores; qui serait le 4e depuis 2016. Tiens: aurait-on simplement «oublié» de nous informer que les portions blanchies se seraient recolonisées entretemps ?

   ESci. Adv. 10.1126/sciadv.abl9185 et Science 2022 ; 376 : 471

Pourquoi la terre mouillée a-t-elle une odeur ? 

Arpenter la campagne, la forêt après la pluie permet de percevoir une agréable odeur de terre mouillée. En réalité, ce n’est pas la terre que l’on sent mais un ensemble de molécules combinées dont la plus abondante est la géosmine. Il s’agit d’une molécule produite par des bactéries; des actinobactéries et cyanobactéries édaphiques pour la plupart. Ce composé (un dérivé diméthylé de l’octahydronaphtalène pour les connaisseurs) est dégagé par ces micro-organismes lorsqu’ils libèrent leurs spores, leurs «organes» de multiplication. Ce n’est pas la seule substance diffusée par la pluie; le pétrichor en est une autre et la liste n’est pas close. Il s’agit d’une huile qui recouvre certaines feuilles. La chute de gouttes d’eau dessus entraine la volatilisation de certains de ses composants.

L’ensemble contribue donc à cette odeur si caractéristique d’après-pluie. Pour nous, humains, elle n’a pas d’autre signification. Mais pour les petits organismes du sol – consommateurs de bactéries, en particulier – elle indique que le garde-manger est ouvert… ou à éviter ! Un article récent vient en effet de préciser que le petit ver nématode bien connu des scientifiques tend à surveiller son alimentation lorsqu’il perçoit cette odeur, certaines actinobactéries étant toxiques pour lui. En revanche, la même odeur sonne le début du repas pour les collemboles (voir photo ci-contre), ces micro-insectes aptères qui raffolent des spores. Chacun y trouve une information qui lui convient. L’homme, lui, la retrouvera dans le bouquet de certains vins jugés terreux (dits «géosminés»), à condition qu’ils ne le soient pas trop. Et là, c’est juste une affaire de goût.

   Science, 2022; 376: 259 et Appl. Environ. Microbiol. 10.1128/aem.00093-22

 
Perturbations adultes 

Il y a quelques dizaines d’années, on découvrait qu’en plus de ceux qui étaient ouvertement réputés nuisibles pour la santé, plusieurs produits chimiques qui concourent à notre environnement immédiat étaient plus spécifiquement perturbateurs de notre système endocrinien. Parmi les premiers à être identifiés, les phtalates. Il s’agit d’assouplissants des matières plastiques que l’on retrouve dans nombre d’ustensiles à usage alimentaire et en contact avec notre alimentation (barquettes, etc.). C’est aussi à l’époque, faut-il le rappeler, qu’une diminution significative de la qualité du sperme humain a été notée.

Depuis cette époque, nombre d’études ont été menées et l’utilisation de plusieurs de ces produits réputés perturbateurs endocriniens a été réglementée ou interdite. On a en effet établi un lien entre certains de ces produits et une altération du profil hormonal des embryons et fœtus mâles en cours de développement utérin. Des effets ont déjà été notés à la naissance, comme une conformation anormale du pénis parfois, ainsi qu’une réduction de la distance ano-génitale. Et, à l’âge adulte, c’est l’altération du sperme qui a complété le tableau clinique d’altération endocrine et sexuelle.

Aujourd’hui, ce seraient plus de 800 produits qui seraient à ranger dans cette catégorie de perturbateurs, ce qui laisse entrevoir que de nombreuses études sont encore à envisager, notamment pour savoir si des altérations peuvent également survenir chez des adultes. De telles études sont en cours depuis un certain temps déjà avec le concours toujours aussi involontaire de souris en laboratoire. Une des dernières à avoir été publiées concerne l’effet d’un phtalate en particulier, bien présent dans notre environnement alimentaire immédiat; Il s’agit du di(2-ethylhexyl)phtalate. Une cohorte de souris en a reçu en complément alimentaire à la dose journalière tolérable, une autre à la dose «environnementale», celle à laquelle nous sommes soumis, une troisième à un mélange de différents phtalates à la même dose et le tout à été confronté à des souris témoins. Le traitement a été mené pendant 6 semaines tant avec des mâles que des femelles. La première attention a été portée aux comportements sexuels qui précèdent l’accouplement: émission et sensibilité aux phéromones, attirance par l’autre sexe, réponse par des cris du mâle ou position en lordose pré-copulatoire chez la femelle. Comme on pouvait s’y attendre, ces paramètres ont été altérés, tant pour le groupe qui a reçu les plus fortes doses que pour celui qui a été soumis au mélange.

Il serait un peu vain de faire la liste de tous les effets observés. Chez la femelle, il semble que le récepteur à la progestérone soit la cible préférentielle des perturbateurs testés; des effets compatibles avec ceux qui ont déjà été observés chez la femme. Et si la souris femelle semble plus sensible au perturbateur testé, c’est surtout à un niveau central (cérébral) que ce dernier opérerait. Outre ceux qui sont connus pour l’embryon et le fœtus, il existerait donc bien des effets perturbateurs marqués chez l’adulte aussi. Ce qui ne fait que renforcer l’attitude de prévention à avoir vis-à-vis de ces «faux-frères» chimiques.

   Médecine/sciences, 2021; 37(11): 973-976

Le sport dans la tête

Ceux qui le pratiquent disent que ça leur fait du bien. Les autres affirment que ça leur permet de faire l’économie de soucis multiples, articulaires et autres. Ils ont sans doute tous un peu raison. Mais, sans excès, la pratique du sport apparaît régulatrice de nombreuses fonctions métaboliques ainsi que, souvent, de la prise excessive de poids. Bref, s’astreindre de façon régulière et modérée à de l’exercice physique est le garant d’une saine hygiène de vie.

Voilà pour l’essentiel de ce dont bénéficie la partie somatique du corps. Mais qu’en est-il de la fonction cérébrale ? Un a priori laisse entendre qu’un bénéfice est à trouver de ce côté-là également. Encore faut-il en valider la réalité par des mesures et des tests. C’est ce qu’ont fait des chercheurs d’orientations multiples. Ils ont d’abord travaillé avec des souris soumises ou non à un exercice régulier. Ils ont recherché les différences qu’ils pouvaient noter dans le registre cérébral. Ils ont en particulier remarqué une différence dans le développement de l’hippocampe. Cette structure paire du cerveau tient un rôle important dans la mémoire et dans l’orientation spatiale. Elle se situe dans le lobe temporal médian, juste sous le cortex. Et l’examen comparatif de cette structure chez le rat a permis de mettre en évidence un effet neurogénétique plus important chez l’animal amené à pratiquer un exercice régulier que chez le témoin. à ce niveau.

L’examen biochimique a ensuite permis de mettre en évidence le fait que l’effet de l’activité physique sur la genèse de neurones dans l’hippocampe est traduit par la libération de la protéine de transport de sélénium antioxydant, la sélénoprotéine P (SEPP1). Cette observation a pu être confirmée par la négative grâce à des souris knockout, c’est-à-dire dont la transcription du gêne responsable de la synthèse de cette protéine a été inhibée. Si SEPP1 est impliquée, c’est également le cas de son récepteur désigné, la protéine 8. L’effet du sélénium a été confirmé par l’infusion directe de cet élément dans le cerveau des rongeurs expérimentaux: on a vu se multiplier le nombre de cellules précurseurs de neurones dans les hippocampes.

Le bénéfice de ces expériences est double: non seulement il confirme l’effet d’une pratique sportive (ou au moins physique) régulière sur le développement des hippocampes (centres de la mémoire), mais il met en évidence la médiation offerte par le sélénium et ses voies métaboliques. Inutile pour autant de se lancer sur les compléments alimentaires: non seulement on trouve des sources variées de cet oligoélément dans notre alimentation riche (70 microgrammes/jour constituant la dose recommandée), mais un excès – plus de 200 microgrammes quotidiens – pourrait avoir des effets négatifs, notamment sur la prostate. Les fruits secs sont des sources classiquement rapportées. Mais on en trouve aussi ailleurs.

Pratique sportive, sélénium et mémoire semble constituer un tiercé gagnant. En n’oubliant pas que la perte de mémoire peut aussi constituer un signe avant-coureur de la maladie d’Alzheimer…  

   Cell Metab, 2022; 34(3): 408-423

 
Le vieillissement par l’intérieur

Personne n’ignore que le seul fait de naître nous offre une fin inéluctable et chacun souhaite qu’elle soit la plus tardive possible. Dans cette perspective, de nombreuses dispositions sont connues que chacun a la liberté de mettre en œuvre; elles tiennent à l’hygiène de vie en général et à un exercice physique raisonné en particulier. Cela n’empêchera jamais la mort, mais sera probablement de nature à offrir une fin de vie peut-être plus longue ou en tout cas moins perturbée par les dérèglements multiples. Il n’empêche que le simple fait de vieillir est un des facteurs qui prédisposent à l’émergence de cancers. Ceux-ci surviennent le plus souvent après l’âge de 60 ans et Otto von Bismarck ne l’ignorait pas lorsqu’il a fixé l’âge de la retraite à 65 ans au 19e siècle. Non seulement la vie de labeur avait-elle, à l’époque, déjà pris son écot de vies humaines, les conflits avaient fait de même et l’usure des corps pas toujours bien entretenus faisait le reste. Nous n’en sommes plus là aujourd’hui; nous vivons plus longtemps mais la fin reste la même. C’est donc que nous portons en nous les ferments de notre fin de vie. En d’autres termes, nous sommes génétiquement et physiologiquement programmés pour cela. 

Simple hypothèse ? Pas du tout. Des recherches de plus en plus nombreuses nous en apportent la preuve. Nous sommes, on le sait, conditionnés par 20 000 gènes environ dont certains sont pléiotropes. C’est-à-dire ? Simplement qu’ils sont impliqués dans plusieurs processus différents. Rien d’anormal à cela sauf que certains d’entre eux le sont dans des processus antagonistes. C’est le cas de certains gènes qui favorisent la reproduction: ils entreraient aussi dans l’induction du vieillissement. D’un point de vue évolutif pour l’espèce, c’est tout bénéfice. Mais à titre individuel, c’est nettement moins drôle, vu que l’âge est générateur de misères diverses. Et on en trouve des signes multiples.

Connaissez vous par exemple l’acide méthylmalonique ? Il est présent dans toutes nos cellules, où il est impliqué dans un processus naturel de dégradation qui concerne en particulier la vitamine B12. Or, on a noté qu’il avait tendance à s’accumuler dans les cellules et le sérum de personnes vieillissantes. Cette accumulation aurait-elle un rôle néfaste ? On le pense. Si on ajoute en effet cet acide à des cellules cancéreuses en culture, on note d’emblée leur modification avec la production de marqueurs de progression métastatique. Un lien a pu être mis en évidence: il passerait par l’activation de facteurs de transcription comme SOX4 ou des facteurs de croissance tel que TGF-ß, soit autant d’éléments qui peuvent favoriser un développement tumoral.

Bref: nous sommes marqués par un destin mortifère jusqu’au cœur de nos cellules ! Que faire ? Sans doute pas grand-chose sauf à se placer dans les conditions qui permettent d’éviter l’éclosion de tumeur cancéreuses avant d’atteindre un âge élevé. On peut aussi espérer que la recherche va trouver le moyen d’annihiler les effets de cet encombrant acide qui a tendance à s’accumuler avec des effets potentiels peu réjouissants. D’ici-là, autant faire «avec» et s’offrir une bonne vie… C’est ce qui doit s’appeler une saine philosophie de vie !

   Médecine/sciences 2021; 37(12): 1176-1177
 
 

BIOZOOM

Elle a sans aucun doute inspiré certaines créatures de science-fiction tant elle est fascinante. La squille multicolore (Peacock mantis shrimp ou Odontodactylus scyllarus) vit dans les eaux tropicales des océans indo-pacifiques. Ne vous fiez pas à ses jolies couleurs, la squille mante paon est un prédateur féroce dotée d’un arsenal redoutable: des pinces en forme de marteau ou d’éperon  qu’elle peut lancer à 120km/h (pouvant briser la vitre d’un aquarium), une vision ultra sophistiquée  à 360° grâce à ses 2 yeux indépendants et orientables, qui distinguent une dizaine de nuances de couleurs de plus que les humains, ainsi que la lumière polarisée, les infrarouges et les UV. 

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