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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

Valeria_Aksakova/Freepik,
junaidrao/Flickr – Biozoom, ©Frank Vinken | dwb

De l’abondance des abeilles…

On sait à quel point les insectes en ­général, et les hyménoptères en ­particulier (abeilles bourdons, etc.), sont importants pour la pollinisation. Nombre d’exploitants, notamment horticoles, en sont conscients de même que ceux qui se sont reconvertis au «bio». Le changement d’habitudes dans l’exploitation des sols a aussi mené à réduire la taille des parcelles et à exploiter un plus grand nombre ­d’espèces végétales tant par opportunisme que parce qu’une biodiversité plus grande est a priori synonyme d’environnement plus équilibré.

Des chercheurs allemands ont eu l’idée de vérifier si cette modification du comportement avait déjà des effets sur le nombre d’abeilles présentes. Ils ont effectués un recensement dans 229 parcelles réparties dans 4 pays de l’Union européenne. Et les résultats rapportés, qui méritent d’être étayés par d’autres études du genre, sont, en partie du moins, surprenants.

Réduire la dimension des parcelles augmente le nombre des bordures, qu’elles soient plantées ou non de taillis. On en revient donc, dans certaines régions, à un paysage bocager qui multiplie les niches tant pour les insectes que pour les oiseaux. Et c’est payant pour le nombre d’abeilles dont le nombre augmente en proportion. En revanche, il apparaît que l’accroissement de la diversité spécifique des espèces cultivées réduit le nombre d’abeilles, ce qui est franchement étonnant et qui a confondu les responsables de l’étude menée. Soit des paramètres déterminants ont été omis ou mal évalués, soit la (ré)introduction d’espèces cultivées a été accompagnée, par précaution pour le rendement attendu, d’un traitement «appuyé» par des fertilisants et des herbicides.

Des études additionnelles devraient permettre d’en savoir un peu plus. Un constat: les plus belles intentions ne sont pas toujours dénuées d’effets pervers, on peut vouloir apporter un peu de diversité à la production, mais en mettant les meilleures chances de son côté pour en maximiser le rendement. Pour l’heure, la densité des abeilles semble être le témoin de ce mauvais choix. Rien n’est perdu pour autant: il est sans doute encore temps de rectifier le tir !

Proc. R. Soc. 2018 ; B 285, 20172242


Nausées
et vomissements: du nouveau ?

Les futures mères, dit-on, passent en début de grossesse et une fois sur deux par cette case physiologique désagréable, la moitié d’entre elles ne connaissant que les nausées, ce qui est déjà suffisamment dérangeant. Si ces désagréments ne sont en général pas dangereux pour la mère et l’enfant, ils n’en sont pas moins inconfortables et apparemment liés à cet état physiologique nouveau que connaît la femme enceinte. C’est le plus souvent en début de grossesse que ces manifestations de rejet se manifestent, entre la 6e et la 12e semaine. «Un mauvais moment à passer» qui n’a pratiquement jamais empêché une femme d’envisager une grossesse.

Les causes évoquées sont multiples. Elles tiennent aux modifications hormonales dont le corps de la femme est l’objet et peut-être à certains aliments ingérés qui ne conviendraient pas au futur enfant. On évoque également des prédispositions familiales ainsi que des effets de la fatigue, voire de troubles émotionnels qui peuvent ramener à la composante hormonale.

Passé le premier trimestre, tout cela appartient donc normalement au domaine des mauvais souvenirs. Sauf pour une petite frange de femmes (estimée à 3%) pour lesquelles ces désagréments peuvent prendre une dimension franchement pathologique. C’est l’hyperemesis gravidarium, dont aurait souffert Kate Middelton par exemple. Cette fois, il s’agit d’une situation qui peut compromettre la santé de la mère et de l’enfant, et aussi la survie de la grossesse. Les vomissements importants et parfois violents font perdre du poids à la future mère, essentiellement de l’eau mais aussi des ions. L’alimentation, quand elle devient possible, n’est plus compensatoire et une hospitalisation est imposée, afin d’assurer une hydratation forcée et d’éviter une dégradation de l’état général avec altération des fonctions hépatique et rénale, pour ne citer que celles-là.

L’expérience que l’on fait soi-même étant souvent la plus profitable, une généticienne américaine, qui a connu ce moment très difficile, a cherché à savoir s’il n’existait pas une ou plusieurs causes à identifier dans le génome. Elle a tablé sur la société de testage génétique «23 and me» et lui a demandé d’introduire un nouvel élément dans son enquête, celui qui lui permettait précisément d’avoir accès aux informations relatives à des femmes confrontées à la même situation. Après un examen ciblé des données récoltées, elle a pu faire ressortir que toutes les femmes concernées présentaient un dosage sanguin élevé pour une protéine particulière, appelée GDF15. Cet élément naturel est déjà connu pour avoir un taux accru en cas d’ischémie cardiaque ou de prédisposition à un malaise du même organe ainsi que dans quelques autres pathologies graves. Le voici désormais aussi associé à une problématique d’un tout autre ordre. Ce n’est encore pour le moment qu’une indication, mais elle semble significative et offre surtout une voie possible de traitement. Pour que toutes les grossesses se passent dorénavant au mieux ? Pour 3% des plus perturbées au moins, on peut le penser.

Science, 2018; 359: 1318 


junaidrao/Flickr

Itziar Areta/Flickr

Bio zoom

On dirait un tableau de Monet. Cette rivière, appelée Caño Cristales ou rivière arc-en-ciel, existe bel et bien. En Colombie. Dès juin jusque novembre, elle se pare de belles couleurs chatoyantes. Ce changement, elle le doit à Macarena clavigera, une plante aquatique endémique de la région, qui doit son intensité chromatique aux caroténoïdes, des pigments caractéristiques des organismes photosynthétiques protégeant les végétaux de l’oxydation et des UVA. Ils sont activés par la combinaison de l’action directe des rayons solaires et la baisse du niveau de l’eau. 

Mario Carvajal/Wiki

Peter Fitzgerald/Wiki


Quelle particularité présente le poisson africain Nothobranchius furzeri ?

Il est capable de passer de l’œuf à l’âge adulte en moins de 14 jours. Ce n’est pas tout: dans le même temps, il atteint la maturité sexuelle et est capable de se reproduire ! Cela en fait, du coup, le vertébré le plus rapide en la matière. 

Nothobranchius furzeri étudié en laboratoire.

En l’espace de quelques jours, les couleurs du killi turquoise s’affadissent (sujet à l’avant-plan), marquant son vieillissement.

  

Ce petit poisson du Mozambique – plus communément appelé killi turquoise – vit (le temps qu’il peut) dans les mares qui apparaissent pendant la saison des pluies; des mares dont l’existence passe rarement le cap de 3 semaines. Il lui faut donc faire vite et les acquis aléatoires de l’évolution lui ont permis de résoudre cette complexe problématique. Non seulement il peut se reproduire, mais il est capable de survivre ensuite en s’enkystant dans le sol dans l’attente des pluies suivantes. 

Comme il est plutôt joli (avec ses 6 cm de long, il ressemble un peu au guppy, un petit poisson tropical), il peut être conservé en aquarium où sa survie ne dépasse toutefois guère quelques mois. Mais cela donne aux scientifiques le temps d’étudier ses aptitudes exceptionnelles à un vieillissement rapide et d’en faire un modèle pour les maladies humaines (comme la progeria) qui présentent également un vieillissement anormalement accéléré. Bref, un petit poisson qui mérite d’être connu !

Curr. Biol, 2018; 28: R822-R824


Dégage !

Les cellules tirent leur énergie de petits organites intégrés, partiellement autonomes, appelés mitochondries. Leur nombre est plus ou moins important en fonction de la demande énergétique de la cellule-hôte. Ce qu’on sait peut-être moins, c’est que toutes les mitochondries d’un individu, quel que soit son sexe, ont une seule origine: elle est maternelle. C’est en effet l’ovule fondateur, riche de milliers de copies de cet organite, qui en est le fournisseur exclusif.

Sauf que plus modestement, le spermatozoïde paternel en apporte tout de même quelques dizaines lui aussi. Elles lui sont nécessaires pour alimenter le battement vigoureux du flagelle qui assure sa locomotion. Or, 2 lignées d’origines différentes ne sont jamais retrouvées dans les cellules d’un même individu. C’est donc qu’une des 2 est éliminée et on aura compris que c’est celle qui est (très) inférieure en nombre qui fait les frais de cette élimination.

On ne sait toujours pas en détail comment l’ovule originel procède, après fécondation, pour opérer cette élimination, sinon que c’est par allophagie, c’est-à-dire par digestion sélective de corps étrangers. C’est l’observation du phénomène chez le ver microscopique Caenorhabditis elegans qui a permis d’en savoir un peu plus sur le sujet, les processus biologiques fondamentaux étant en général d’occurrence évolutive ancienne, puis bien conservés ensuite.

Ce qui se passe juste après la fécondation, c’est l’apparition, tout autour des mitochondries d’origine paternelle, d’un récepteur appelé Allo-1. Celui-ci se lie à des molécules mitochondriales qu’il reconnaît et auxquelles il se fixe. Ces molécules sont elles-mêmes déjà «marquées» par des ubiquitines, des protéines chargées d’indiquer les composants qui doivent être éliminés. Des phagosomes se forment alors tout autour des organites à éliminer. Il s’agit de petites vésicules nées des replis internes de la membrane cellulaire qui font, d’une certaine façon, office de poubelle. Des enzymes apparaissent alors, reconnaissent Allo-1, auquel elles se fixent. La dégradation progressive peut alors commencer, au terme de laquelle les mitochondries paternelles sont intégralement dégradées et recyclées. Il ne reste plus alors dans l’ovule fécondé que les organites énergétiques d’origine maternelle. C’est net, propre et ça permet surtout d’éviter tout conflit ultérieur de voisinage… 

Nat Cell Biol. 2018 Jan; 20(1):81-91. doi: 10.1038/s41556-017-0008-9


Allez hop, papy, à vélo !

Il est généralement admis que l’âge induit, tant chez la femme que chez l’homme, une fonte musculaire avec, chez certains d’entre eux au moins, une compensation par du tissu adipeux. Cela paraît à première vue évident, fût-ce sur soi-même si on a atteint et dépassé la cinquantaine. Mais rien n’attise davantage l’esprit scientifique que l’évidence et des chercheurs ont récemment voulu savoir s’il n’y avait pas une autre raison que l’âge pour expliquer cette réduction du volume et sans doute aussi du métabolisme musculaire.

Ils ont par conséquent suivi une centaine de cyclistes plutôt sportifs âgés de 55 à 79 ans. Ils ont en particulier porté leur attention sur un muscle de la cuisse, spécialement sollicité par la pratique cycliste: le muscle «vaste latéral», une partie du quadriceps. Ils ont étudié le type de fibre présent, sa taille et sa concentration en «fuel» cellulaire (l’ATP, ou adénosine triphosphate) pour ne citer que les principaux paramètres pris en compte.

Parmi les éléments étudiés, le seul sur lequel l’âge semble avoir une prise est le nombre de capillaires par unité de volume musculaire. Mais tout le reste est équivalent à ce qui peut être identifié chez un individu plus jeune, suffisamment sportif. Il y a tout de même une condition: pour que le muscle ne subisse pas l’effet de l’âge, il est nécessaire de parcourir à vélo plus de… 150 km par semaine (100 miles), soit plus de 600 km par mois !

L’information est certes intéressante mais on conviendra que même si on aime le vélo, on ne se sent plus forcément motivé, au-delà de la soixantaine, à satisfaire à une telle pratique qui revient, en moyenne, à rouler plus de 20 km chaque jour, en toute saison, par tous les temps et sur tout type de terrain.

La vraie conclusion tirée par les auteurs de l’étude, outre que le muscle change peu avec l’âge si on l’entretient suffisamment, est que c’est le goût à l’effort soutenu et surtout répété que l’âge modifie; la motivation, pour faire court. Même quand on a l’esprit sportif, c’est une réalité à laquelle on échappe difficilement, en particulier parce que quelques signaux, en particulier articulaires, rappellent qu’il faut modérer l’effort.

Et tant mieux si certains ainés peuvent dépasser allègrement les 150 km hebdomadaires si cela correspond à leur attente et surtout, à leur plaisir. Et pour les autres, une «petite sortie» de temps en temps, à défaut de maintenir le muscle en l’état, fait tout de même beaucoup de bien aussi !  

Aging cell10.0000/acel.12735 (2018)

Science, 360: 46


Le physicien quantique et la biologie

Si vous avez lu la rubrique chimie, vous savez déjà de qui il s’agit. Dans un tout autre domaine que la physique quantique, Erwin Schrödinger signait, en 1944, Qu’est-ce que la vie ?, un ouvrage compilant une série de conférences données à Dublin sur le thème de l’ADN. Et alors ? Erwin Schrödinger n’était pas du tout biologiste et reconnaissait lui-même n’avoir jamais été réellement intéressé par la matière. Son domaine d’excellence ? La mécanique quantique. Il a d’ailleurs été lauréat du prix Nobel de physique de 1933, en partage avec Paul Dirac.

Exilé en Irlande suite à l’annexion de l’Autriche par les allemands, il s’y est intéressé au vivant pour lequel il a fourni des théories qui ont été assez rapidement démontées par de «vrais» généticiens qui ont relevé toutes les erreurs et appréciations du physicien. À l’époque, on ignorait par exemple encore la structure de l’ADN (découverte en 1953 par Crick et Watson) et la façon dont les gènes pouvaient être transposés en caractères phénotypiques. Et Schrödinger était de ceux qui pensaient que seule une protéine très complexe était en mesure d’assurer cette fonction. On sait aujourd’hui ce qu’il en est.

Pourquoi alors évoquer un ouvrage publié il y a près de ¾ de siècle et bourré d’erreurs ? Tout simplement parce qu’aborder les réalités du code génétique ou autres matières de la biologie avec un regard différent, même «innocent», permet parfois de faire émerger quelques réalités qu’on ne voit pas lorsqu’on a un regard trop spécialisé et l’esprit trop imprégné de concepts précis et acquis. La génétique pourrait bénéficier d’un tel regard à une époque où, en marge de toutes les propriétés qu’on lui connaît, l’ADN est de plus en plus investi d’autres dimensions, en particulier électrique et magnétique. Cela reste controversé, mais «ouvrir des portes», c’est aussi ouvrir de nouveaux possibles. Et allez savoir si les tentatives d’explication de Schrödinger ne donneront pas, dans les années à venir, naissance à un de ces possibles, ignoré jusqu’ici. N’est-on pas de plus en plus convaincus aujourd’hui que nous ne sommes pas réductibles aux seuls gènes ?

Nature, 2018; 560: 548-550

Nature, 2018; 561: 6

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