Qui est-ce?

Emmanuelle
Charpentier

Jacqueline Remits • jacqueline.remits@skynet.be

©AFP, ©Emmanuelle Charpentier «Picture by Hallbauer&Fioretti», Braunschweig

 
Je suis…

Une microbiologiste, généticienne et biochimiste française. J’ai grandi dans la région parisienne avec mes parents et mes 2 grandes sœurs. Mon père est responsable d’espaces verts et ma mère travaille dans un hôpital psychiatrique. J’apprends le piano et suis des cours de danse classique, bref, je connais une enfance heureuse dans un environnement stimulant. Studieuse, j’aime l’école, poser des questions, apprendre et comprendre. J’ai, au fond de moi, quelque chose de très fort et je me disais: «Je vous montrerai cette force intérieure.» Ainsi, j’ai su que je voulais aller à l’université dès l’âge de 6 ans, quand j’ai vu ma sœur aînée y entrer. J’ai choisi la biochimie et la microbiologie, mais j’aurais aussi bien pu étudier la médecine, la philosophie ou la sociologie. Après mes études à l’Université Pierre et Marie Curie à Paris, j’obtiens mon doctorat à l’Institut Pasteur. En 1996, à 27 ans, je quitte la France pour les États-Unis où j’entame différents post-doctorats à New York, à l’Université Rockefeller, au Centre médical universitaire de l’Université de New York, au Skirball Institute, ainsi qu’au St Jude Children’s Research Hospital à Memphis. En 2002, j’obtiens un contrat de chef de groupe de recherche en tant que professeure invitée, puis assistante professeure à l’Université de Vienne. J’y resterai 7 ans avant de m’envoler pour la Suède et l’Université d’Umea, où je suis nommée professeure associée et prends la tête d’une équipe de recherche. Le vent me portera ensuite à la Faculté de médecine de Hanovre et au Centre for Infection Research de Brunswick en Allemagne. Jusqu’en 2014 où je cofonde la société Crispr Therapeutics avec Rodger Novak et Shaun Foy. Nous levons 25 millions de dollars de fonds pour développer l’édition génétique basée sur la technologie CRISPR-Cas9 à des fins thérapeutiques. En 2015, je suis nommée directrice de l’Institut Max Planck de biologie des infections à Berlin et depuis 2018, je suis directrice du Centre de recherche Max Planck pour la science des pathogènes. Je travaille sur la régulation de l’expression des gènes et sur les bases moléculaires de l’infection. Je m’intéresse également à la manière dont les bactéries luttent contre les agents pathogènes.

J’ai commencé la génétique bactérienne il y a des années dans l’espoir de trouver un mécanisme utile à des fins thérapeutiques. J’ai travaillé dans de nombreuses institutions et labos, qui m’ont amenée à déménager dans 5 pays et 7 villes. Avoir bougé me donne un sentiment de liberté. Je me suis toujours mise dans une position assez risquée où il fallait tout reconsidérer, soi-même, son équipe, ses projets. Cela a été très enrichissant pour me différencier professionnellement et m’a obligée à affronter diverses cultures, différentes manières de travailler. Cela m’a appris que rien n’est impossible. La science est toute ma vie. Je regrette la discrimination positive dans les universités lors de l’engagement des chercheuses. Je suis scientifique avant d’être femme. Je n’ai pas d’enfant, j’ai été happée par mon travail et je me suis rendu compte que ça n’allait pas me manquer.

 
À cette époque…

Le 21 décembre 1968, j’ai 20 jours quand la mission Apollo 8 s’envole avec, à son bord, les astronautes Frank Borman, James Lovell et William Anders. Ils allaient être les premiers humains à survoler et à tourner 10 fois autour de la Lune. Le 7 mai 1995, alors que je suis sur le point d’obtenir mon doctorat à l’Institut Pasteur, Jacques Chirac devient Président de la République française, succédant à François Mitterrand. Je connaîtrai ensuite Nicolas Sarkozy, François Hollande et aujourd’hui, Emmanuel Macron. Outre Atlantique, en novembre 2008, Les États-Unis connaissent un événement historique: le démocrate Barak Obama est élu Président au terme d’une élection très serrée face à son adversaire républicain John McCain. C’est la première fois dans l’histoire du plus puissant pays du monde qu’un homme d’origine africaine (kényane plus précisément) est élu.  

 
J’ai découvert…

J’ai identifié et déchiffré les mécanismes moléculaires du système immunitaire bactérien CRISPR-Cas9. En collaboration avec ma consœur américaine Jennifer Doudna, j’ai mis au point «une méthode d’édition des gènes, avec un outil pour réécrire le code de la vie», comme l’a souligné le jury du Nobel à Stockholm en annonçant que nous étions lauréates. Cet outil, apte à éliminer et à ajouter des fractions de matériel génétique avec une extrême précision, révolutionne le domaine de l’ingénierie génétique. Sorte de «ciseaux moléculaires», ce procédé permet de faire de la «chirurgie» de haute précision sur l’ADN. Si la thérapie génique consiste à insérer un gène normal dans les cellules ayant un gène défaillant, comme un cheval de Troie, afin qu’il puisse faire le travail que ce mauvais gène ne fait pas, CRISPR va plus loin. Au lieu d’ajouter un gène nouveau, l’outil modifie un gène existant. Le but ultime de cette technique «révolutionnaire» est de corriger des maladies génétiques humaines. Facile d’emploi, peu coûteux, cet outil permet aux scientifiques d’aller couper l’ADN exactement là où ils veulent pour, par exemple, créer ou corriger une mutation génétique et soigner des maladies rares. Ce mécanisme est utilisé comme un outil génétique puissant permettant de modifier le génome de nombreuses sortes de cellules et organismes, y compris de cellules humaines. Cette technologie fonctionne comme un «couteau suisse», elle coupe des gènes, colle des fragments d’ADN sur un génome, corrige des mutations, change l’expression des gènes. Elle est polyvalente. La raison pour laquelle cet outil a été adopté très rapidement par la communauté scientifique est sa facilité de conception. Pour cette découverte, j’ai reçu plusieurs prix prestigieux, dont dernièrement ce prix Nobel de chimie. J’ai encore du mal à y croire.

 

Saviez-vous que…

Avec ce prix Nobel de chimie 2020, la Française Emmanuelle Charpentier, 51 ans, et l’Américaine Jennifer Doudna, 56 ans, deviennent les 6e et 7e femmes à remporter un Nobel de chimie après Marie Curie en 1911, sa fille Irène Joliot-Curie en 1935, Dorothy Hodgkin en 1964, Ada Yonath en 2009 et Frances Arnold en 2018.

Les applications potentielles de cette technologie sont innombrables en biotechnologie ou en médecine. Il sera possible de prélever les cellules malades du patient pour corriger la mutation et réimplanter les cellules saines. À partir de là, tout est possible, le traitement des maladies génétiques, l’amélioration de la résistance des cellules immunitaires qui luttent contre le cancer, la fabrication d’organes humains, la désactivation de certains virus, leur éradication… mais aussi le pire comme des manipulations sur des embryons non viables. Il sera possible de cultiver des plants de maïs résistant à la sécheresse, des racines plus solides pour le coton, des céréales plus résistantes aux virus, parasites, prédateurs, etc. 

Depuis qu’elle a découvert ce «couteau suisse» de la génétique, Emmanuelle Charpentier a accumulé plus d’une trentaine de prix et honneurs. Elle est docteur honoris causa de différentes universités, notamment de la KUL en 2016 et de l’UCL en 2018. «Je n’imaginais pas que je pourrais un jour faire une telle découverte. Ce qui me rend heureuse, c’est d’obtenir des résultats avec mon équipe. Je fais de la recherche parce que j’ai envie de savoir.»

Distinguée par le Prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et les sciences, c’est aux jeunes filles qu’Emmanuelle Charpentier a tout de suite pensé lorsqu’elle a reçu son prix Nobel. «C’est un message très fort pour elles. Je n’ai pas rencontré d’obstacles dans ma carrière parce que je suis une femme. Mon principal problème était d’être étrangère et de ne pas faire partie de la ‘famille’ dans les différentes institutions pour lesquelles j’ai travaillé.»

   

Naissance 

11 décembre 1968, Juvisy-sur-Orge (Essonne, France)

Nationalité

Française

Situation familiale 

Célibataire sans enfant