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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

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L’eau, c’est l’énergie

L’eau est indispensable à la vie, à bien des égards. Nous en sommes composés à raison de 65-70% sans jamais nous noyer (intérieurement), ce qui signifie que cet élément-là, sous des formes variées, est très étroitement associé aux molécules qui assurent l’essentiel de nos fonctions, ADN compris. Dans un registre différent, nous avons aussi la chance, dans notre pays, de recevoir par les pluies récurrentes un quota d’eau que d’autres pays moins nantis de ce point de vue nous envient. La nature du sol aidée de cet apport fréquent permet, bon an mal an, d’assurer une production agricole satisfaisante, voire remarquable.

Mais il existe une «qualité» de l’eau de pluie à laquelle on n’a jusqu’il y a peu, guère prêté attention: c’est le fait qu’elle soit génératrice d’impact. Quelques milliards de fois au cours de la plus banale des pluies, les gouttes d’eau produisent, au contact du support sur lequel elles s’écrasent, des charges électrostatiques, certes faibles, mais qui ne sont jamais prises en compte dans la perspective d’une récupération durable.

Des chercheurs chinois se sont récemment émus de la chose et ont commencé à tester des dispositifs simples permettant de récupérer cette énergie gaspillée. Il serait un peu long de détailler l’appareillage conçu qui est, du reste, en évolution permanente. Il est fait d’une surface en téflon chargée négativement, couvrant une seconde surface, de charge inverse. Un système de récupération permet, grâce à des connecteurs judicieusement placés, de récupérer en fin de course l’énergie électrique générée. La conception même du système permettrait d’accroître la qualité d’impact: le téflon, matériau souple, renvoie à chaque fois la goutte d’eau qui l’a heurté, laquelle peut retomber une seconde fois sinon davantage. Un effet trampoline, en somme. Au final, même si l’énergie électrique récupérée est faible, les concepteurs chinois du procédé à l’étude affirment que celui-ci pourrait tout de même permettre de recharger utilement de petites batteries, voire les dispositifs divers qui requièrent une énergie rapide: téléphones portables, lampes de poche, etc.

On est évidemment loin de ce que produit une centrale nucléaire, c’est sûr. Mais quand on est loin de tout, et que la batterie du téléphone est vide, on pourrait être ravi même en camping de voir arriver une bonne pluie salutaire !

   Nature, 2020; 584: 499


Pourquoi les criquets forment-ils des nuages ?

On a tous vu une fois au moins, des images des dégradations opérées par des nuages de criquets migrateurs qui, en peu de temps, peuvent anéantir les espoirs de récoltes sur des kilomètres carrés. Cela se passe dans les plaines d’Afrique de l’Est et les seules armes de lutte que les agriculteurs locaux sont à même de brandir sont de bien modestes branches agitées. Une autre arme a aussi été employée: les pesticides diffusés en aérosols. Cependant, non seulement ils peuvent s’avérer rémanents, mais ils portent indistinctement sur tous les types d’insectes, y compris ceux qui sont utiles comme les butineurs.

Une des dernières évolutions de la recherche pour lutter contre ces attaques massives du Schistoceca migratoria est l’identification d’une phéromone qui pourrait bien être étroitement impliquée dans l’agrégation de ces insectes normalement solitaires. La formation des «nuages» dévastateurs repose en effet sur une série de transformations du criquet qui commence par un changement de couleur, passant du vert au noir. On a identifié la substance vraisemblablement responsable: il s’agit d’un neuropeptide, sans doute une phéromone. L’insecte se met alors à produire du phénylcétonitrile qui, transformé en cyanide, en fait une sorte de machine de guerre anti-prédateurs.  

Les chercheurs ont identifié 35 substances émises par l’insecte. Parmi celles-ci, 6 ont une production augmentée chez les formes grégaires et l’une d’entre elles, le 4-vinylanisole, pourrait bien être celle qui favorise le rassemblement. On a même pu établir qu’il suffit d’accumuler 4 ou 5 criquets noirs dans l’air ambiant pour que le rassemblement soit initié. La suite logique consiste à identifier les récepteurs spécifiques au niveau des antennes. 35 des 141 récepteurs connus ont été testés et OR35 semble se montrer hautement sélectif à la phéromone.

Et après ? Une idée pourrait être de produire un antidote spécifique au récepteur. Une seconde – déjà mise en œuvre – serait de produire des criquets mutants (par la manipulation Crispr-Cas9, souvent évoquée) qui, mêlés à la population naturelle, réduiraient l’impact de la phéromone et donc aussi l’importance des rassemblements. Encore faut-il s’assurer que le 4-vinylanisole est la seule substance favorisant le regroupement. Ce n’est pas encore certain. Il n’empêche que la connaissance évolue en laboratoire…

   Nature, 2020; 528-530 et 584-588

Un cousin douillet ?

L’image que rendent nos lointains parents Neandertal est celle d’individus massifs, plutôt trapus, costauds. Leur front fuyant ne leur confère pas un look d’intellectuel, même si on sait qu’à bien des égards, ils avaient une culture avancée. Leur volume crânien était aussi un peu plus grand que le nôtre, mais on sait que c’est le nombre des interconnexions neuronales, les synapses, qui fait toute la différence en matière de cognition. La seule image que ne nous rendent pas ces cousins-là, c’est celle d’êtres délicats. Ils ne devaient pas l’être moins que nous a priori, même si ils ont dû composer, pendant longtemps, avec des conditions difficiles, comme ont dû le faire aussi nos ancêtres sapiens jusqu’il y a 11 500 ans environ et la fin de la période glaciaire.

La découverte de vestiges d’Homo neandertalensis bien conservés et les moyens techniques offerts aujourd’hui pour en extraire l’ADN et l’analyser ensuite nous offre, par publications interposées, la possibilité d’en savoir un peu plus sur ce qu’ils étaient et sur ce que pouvait être leur métabolisme. Une des surprises récentes est que ces individus qui traduisent une certaine rudesse présentaient 3 mutations du gène NaV1.7, qui code pour une protéine impliquée dans la perception de la douleur. Or, ce gène se retrouve aujourd’hui dans notre propre génome puisque Neandertal et Cro-Magnon ont eu l’idée de faire cause reproductive commune, ce qui nous vaut cet héritage génique. Et forcément, il se trouve aussi des contemporains pour posséder un des mutants, ce qui ne leur rend pas vraiment service puisqu’ils ressentent davantage la douleur que les autres.

Était-ce le cas aussi pour ceux qui nous ont transmis ces mutations ? Sans doute, mais ce n’est pas sûr; tout dépend en effet des connexions nerveuses en aval et du système d’analyse central. On peut, jusqu’à preuve du contraire, tout de même penser que c’était le cas. Cela le servait-il ou était-ce un handicap ? Difficile à dire. Mais il ne faut pas oublier que ressentir plus finement une douleur sert aussi de prévention: plus tôt on ressent l’effet d’une chaleur intense, plus on est prudent lorsqu’il est question d’approcher sa main du feu. Mais si on ressent déjà une douleur, la ressentir plus intensément n’est pas un cadeau; surtout pour Neandertal, quand il n’y avait pas d’analgésique disponible.

Il reste donc, dans son cas, à spéculer dans l’attente d’autres identifications géniques peut-être compensatoires. Quant aux contemporains porteurs d’une des 3 mutations en question, il nous reste à les plaindre…

   Nature, 2020; 583: 665

 
Arbre généalogique chamboulé ?

Ce que l’on sait de Neandertal, c’est qu’il a peuplé le territoire de l’actuelle Europe, mais aussi l’Asie centrale ainsi qu’une bonne partie de l’Asie. S’il est si souvent question de lui dans cette chronique, c’est que cette espèce est celle dont nous sommes la plus proche, mais aussi et sans doute surtout parce ce que les moyens qui nous sont offerts par la technique d’aujourd’hui permet de décoder les fragments de son ADN vieux de plusieurs dizaines de milliers d’années au moins, ce qui nous mène à en savoir un peu plus sur lui, mais aussi sur ses migrations éventuelles et sur les legs génétiques laissés aux autres Homo, dont nos ancêtres directs. Entre autres études, on a confronté certains segments bien préservés de son ADN à celui d’humains contemporains afin de voir comment ses gènes ont été reçus par différentes populations actuelles, plus de 30 000 ans après sa disparition. Plus de 2 500 séquences d’ADN issues de 26 groupes géographiquement définis ont été analysées, dont celles d’un peu plus de 500 Africains. S’il apparait que les Asiatiques autant que les Européens détiennent 2% environ de matériel génétique de leurs lointains cousins, les chercheurs ont constaté que chez les Africains, on en retrouvait aussi à hauteur de 0,5%. C’est inédit.

Plusieurs explications sont bien entendu possibles et celles qui sont d’origine technique ne sont pas exclues. Mais celle qui semble la plus crédible tiendrait au retour de quelques sapiens vers la terre de leur lointaine origine, l’Afrique, après qu’ils aient eu le temps de s’hybrider avec Neandertal. Cette époque pourrait se situer il y a 70 ou 80 000 ans. Jamais jusqu’ici, un tel scénario n’avait été envisagé. Neandertal était euro-asiatique exclusif et Homo sapiens était censé n’avoir jamais pris le chemin du retour vers l’Afrique. Ce qu’il semble donc avoir pourtant fait. Depuis la disparition de ce lointain cousin, il y a plus de 30 000 ans, sapiens a bien bougé. Parti du Nord-Est de la Sibérie après s’être peut-être hybridé avec un autre cousin évolutif (Denisova), c’est le même sapiens qui a colonisé le continent américain, où de l’ADN néandertalien est forcément retrouvé là aussi, du nord au sud.

Il ne faut donc pas attendre notre ère pour voir l’homme moderne bouger. Il ne s’est pas privé de le faire bien avant. Et il nous réserve sans doute encore quelques surprises.

   Médecine/science, 2020; 4: 421-423 

Un seul suffit, mais lequel ?

La tradition populaire sait rappeler, à bon escient, qu’il n’en faut qu’un… Mais un quoi ? Un spermatozoïde pour féconder l’ovule, celui qui, nanti de ce génome additionnel, va pouvoir mener à la naissance d’un enfant. Cette conception est déjà à revoir. Excepté dans le cadre de la méthode de fécondation assistée en laboratoire, il faut plus d’un seul gamète mâle pour féconder la cellule féminine. Une première cohorte de cellules mâles est en effet destinée à disperser le nuage cellulaire qui entoure la cellule à pénétrer. Ce n’est que quand ces cellules sont dispersées et retenues par une gangue de mucopolysaccharides, que les cellules qui ont la possibilité de féconder l’ovule peuvent alors entrer en jeu. En conditions physiologiques, on estime que le nombre minimal nécessaire à la fécondation de l’ovule oscille entre 250 et 300.

Est-ce pour autant que le premier arrivé au cœur de la cellule féminine est «le bon» ? Pour la fécondation, sans doute. Pour la suite du développement, c’est moins sûr. La raison ? Une erreur de programmation génétique d’une des 2 cellules fondatrices, ovule ou spermatozoïde. On sait depuis longtemps qu’une fausse-couche sur 2 est due à une erreur chromosomique majeure; que 8% environ des gamètes mâles et 25% des ovules en sont porteurs, cette proportion allant en grandissant avec l’âge. Il faut savoir que toutes les anomalies apportées à la fécondation n’aboutissent pas à un arrêt tardif de la grossesse en cours. La plupart passent totalement inaperçues et donnent lieu à une résorption précoce de l’embryon mal programmé.

Tout ça, on le sait depuis des années. Ce qui change, c’est l’évolution technologique qui permet de connaître plus précisément ce processus. La technique récemment mise au point a permis de «screener» plus de 30 000 spermatozoïdes issus de 20 donneurs en bonne santé. Ce qui précède la formation des cellules sexuelles, c’est une division en 2 étapes spécifique: la méiose. C’est elle qui permet de redistribuer, juste avant une possible fécondation, les caractères issus de la mère et ceux du père. Cela se fait par l’échange de bras de chromosomes, appelé crossing-over (jambage), qui peut ne pas se passer à la perfection lors de la 1e des 2 divisions. Résultat: des anomalies au sein des cellules formées. Sur les 31 228 spermatozoïdes étudiés, 8 913,122 crossing-overs ont été identifiés; dont 787 aneuploïdies, soit autant d’anomalies de nombre de chromosomes. Cela porte entre 0,01 et 0,05 le nombre de ces aneuploïdies par gamète. C’est évidemment peu; tant mieux. Mais encore faut-il que la loterie de la fécondation ne table pas précisément sur les anormaux. Ne peut-on imaginer qu’un spermatozoïde auquel il manque un morceau de chromosome est plus léger et plus véloce qu’un spermatozoïde normal ?

C’est à voir. Mais que l’on se rassure: la loi du nombre offre tout de même davantage de chance aux autres d’accéder en premier à l’ovule. Et si des anomalies majeures surviennent, elles risquent de forcer le tout jeune embryon à un rapide arrêt de croissance, suivi d’une élimination. Cela ne vaut, on l’a dit que pour le spermatozoïde. Reste l’ovule qui, l’âge aidant, présente un risque de transmission d’anomalie plus élevé. Mais ça, on le sait aussi.

   Nature, 2020; 583: 259-263 


BIO ZOOM

Ce jeu de Mikado géant a été découvert à 300 m sous terre, dans une grotte au nord du Mexique en 1999. La mine de Naica contient des cristaux de gypse les plus grands au monde, certains mesurant plus de 11 m  de long sur 1 m de large ! Ils ont environ 600 000 ans, jusqu’à ce que leur croissance cesse il y a 30 ans, lorsque l’eau de la mine a été pompée pour extraire plomb, zinc et argent. Il y règne une température élevée: entre 44 et 58 °C, ce qui explique que des éléments chimiques comme le calcium et le soufre se combinent pour former des cristaux de gypse (structure en couches entre lesquelles se logent des feuillets d’eau) et non d’anhydrite. 

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