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Jean-Michel DEBRY • j.m.debry@skynet.be

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Des arbres sentinelles

Il suffit de parcourir les villes et les campagnes pour constater à quel point des ravageurs peuvent en peu de temps venir à bout d’essences, qu’il s’agisse de feuillus ou, comme récemment avec les scolytes et les araignées rouges, de résineux. Les conditions climatiques peuvent se montrer favorables à l’éclosion de densités élevées de populations d’insectes locaux qui, rapidement, peuvent provoquer d’irrémédiables dégâts. Mais aujourd’hui bien plus qu’auparavant, les insectes savent aussi profiter des transports intercontinentaux pour infiltrer des niches nouvelles où ils peuvent, alors que ne les y attend pas, provoquer des dommages considérables.

D’où l’idée émise par des scientifiques de planter, bien loin de chez eux, des arbres de leur région qui pourraient servir de témoins d’attaques possibles par des nuisibles d’ailleurs. Que cela signifie-t-il en pratique ? Que des arbres européens ou américains soient plantés par exemple en Chine et inversement. Si des parasites locaux – chinois, par conséquent – deviennent parasites de chênes, de hêtres ou de toute autre essence d’intérêt économique, ils doivent être identifiés d’abord puis ramenés en laboratoire pour étudier leur comportement, les dommages qu’ils occasionnent et voir comment lutter efficacement contre leur propagation.

C’est tout le principe de la sentinelle déjà mis en pratique depuis longtemps avec des ganglions dans l’émergence de maladies graves chez les humains. L’idée maîtresse est donc d’anticiper dans le cas présent toute attaque massive de végétaux, à condition de prendre le temps d’aller voir, là où sont les arbres sentinelles, s’ils sont atteints et de quelle façon ils le sont.

C’est aussi l’occasion de mettre un embargo sur toute importation momentanée d’essences qui seraient les hôtes des nuisibles en question. À condition bien entendu que des contrôles efficaces existent tant au départ qu’à l’arrivée. On sait par ailleurs que les parasites ne sont pas forcément les mêmes sur des sujets jeunes et âgés; ce qui signifie que les contrôles devront être envisagés dans la durée et que des exploitants locaux n’aient pas l’idée d’exploiter à leur profit des essences exogènes attractives.

   Science, 2020; 367: 1417

Quel est le plus vieil animal peint au monde ?

On ignore encore ce qui a bien pu pousser nos lointains ancêtres sapiens à peindre sur les parois des grottes dans lesquelles ils se sont aventurés, mais ce qui est clair c’est que dès qu’ils l’ont fait, c’est avec une maîtrise évidente. Non seulement les contours sont-ils souvent nets, les pigments judicieusement choisis, mais les bosses et les creux des parois ont souvent été mis à profit pour donner une impression de relief. C’est d’autant plus surprenant que ces particularités-là n’ont été mises en évidence qu’à la lueur de lampes de poche judicieusement orientées, alors que les artistes originaux ne disposaient que de lampes à huile ou graisse assez sommaires. 

 

Pour ce qui concerne la culture picturale européenne, c’est dans le sud de la France qu’il faut rechercher les sites les plus emblématiques: Lascaux dans le Périgord, Cosquer du côté de Marseille et Chauvet près de Vallon Pont d’arc en Ardèche. Beaucoup d’autres existent, bien que moins richement décorées que ces 3 «chapelles Sixtine de la préhistoire».

Les spécialistes ont bien entendu établi une datation de ces trésors picturaux. Les premières occupations dateraient de 19 000 ans pour Lascaux, 27 000 pour Cosquer et 37 000 pour Chauvet, probablement la plus ancienne d’Europe dans l’état actuel des connaissances. Mais lorsqu’on se souvient à quel point la découverte de ces merveilles a été accidentelle, on peut suspecter que d’autres trésors sont encore à trouver. Ces sites français sont-ils les plus anciens ? Dans ce registre chronologique à rebours, Chauvet se positionne plutôt bien, mais est désormais dépassé par une grotte asiatique de Sulawesi, où une des peintures les plus remarquables vient d’être datée de 45 000 ans, ce qui constitue pour le moment le record du monde en la matière. En attendant mieux, comme d’habitude. Et que représente la peinture en question ? Un cochon en taille réelle et plus vraisemblablement un babiroussa, l’espèce de porcins des Célèbes.

Ce qui surprend en première analyse, c’est que cette trace culturelle la plus ancienne soit identifiée sur une île, alors que la logique aurait dû la situer sur le continent. C’est sans compter avec le mouvement des mers et océans, dont le niveau suit la fonte et l’apparition cyclique des glaces. Une terre isolée aujourd’hui ne l’était pas forcément lors d’une période de glaciation et en particulier celle de Würm (115 000 à 12 000 ans d’ici). L’entrée de la grotte Cosquer, dans une calanque de Marseille ne se trouve-t-elle pas à plus de 30 m sous le niveau de la Méditerranée, depuis la fin de cette dernière période de froid profond ?

Le babiroussa des Célèbes serait donc le plus vieil animal peint du monde. Mais pour le moment seulement. Ce genre de record n’est en effet souvent que transitoire.

   Science, 2021; 371: 248

De la conscience des oiseaux

Il n’a pas encore été déterminé si les geais présentaient les mêmes dispositions que la corneille noire ou le pigeon

Avec René Descartes au 17e siècle et sa compréhension du vivant – surtout animal – la vie a été ramenée à sa seule dimension mécanique. Si l’humain s’est favorablement sorti de cette perception «cartésienne» un peu basique grâce à ce qui constitue ses aptitudes intellectuelles, les animaux n’ont pas eu cette chance, ce qui leur a valu d’être «explorés» sur un mode anatomique immédiat par le philosophe-chercheur et quelques-uns de ses successeurs; le caractère immédiat signifiant ici que pour observer de près les fonctions métaboliques, les manipulateurs n’ont pas hésité, le cœur léger, à étriper vifs les candidats désignés pour ces expériences cruelles.

Les temps ont heureusement et favorablement évolué vers ce qu’il est convenu d’appeler le bien-être animal et plus aucun laboratoire digne de ce nom n’entreprendrait dans notre pays une expérimentation animale sans rechercher une alternative d’abord, réduire le nombre d’animaux nécessaires ensuite, viser à atténuer (ou éliminer) la souffrance enfin.

Il est également vrai qu’avec le temps, il est apparu que les animaux supérieurs – comme les mammifères, nos proches parents évolutifs – sont dotés d’une conscience leur permettant de s’identifier dans un miroir grâce à une marque colorée posée entre les yeux. Une «conscience d’être» en somme, sans doute encore éloignée de celle dont nous sommes dotés, mais qui rend tout de même à l’animal une altérité dont il est conscient et qui devrait lui valoir le respect des humains avec lesquels il partage tout de même parfois plus de 98% de ses gènes.

Ce qui est vrai pour les mammifères commence à l’être de plus en plus aussi pour les oiseaux et même quelques poissons. On sait la corneille noire apte à s’identifier dans un miroir. Le pigeon le fait aussi, ce qui a mené des neurophysiologistes et neuroanatomistes à s’intéresser d’un peu plus près au cerveau de ces volatiles dont on sait la taille réduite. Ils en ont étudié la structure fine, ce qui a permis de dégager des ressemblances structurelles avec le néocortex des humains. Des électrodes ont ensuite été placées à des endroits déterminés par l’imagerie cérébrale, qui ont confirmé l’impression première. D’une façon sans doute éloignée de ce dont l’humain est capable, ces oiseaux et probablement beaucoup d’autres sont donc «pensants» et dotés d’un conscience. Cette dernière serait par conséquent d’émergence ancienne, au moins contemporaine de notre ancêtre commun, il y a 320 millions d’années.

Voilà donc les oiseaux valablement requalifiés. On notera au passage que certains d’entre eux, les migrateurs, ont une perception du magnétisme terrestre, grâce à des organites cellulaires spécialisés dans la rétine, un prolongement du cerveau. Ces organites semblent répondre, soit encore précisé, aux lois de la physique quantique. Ces propriétés, les humains ne les possèdent pas, ou plus.

Nous sommes environnés d’un monde animal étonnant. Il est temps de le découvrir dans toutes ses aptitudes, parfois exceptionnelles… autres qu’alimentaires ! 

   Science, 2021 (370): 1407

Du mouvement des spermatozoïdes

On sait que depuis une cinquantaine d’années, la fertilité des mâles humains connaît une régression, perceptible assez directement à l’examen du sperme: les cellules germinales mobiles sont moins nombreuses, leur morphologie est affectée et la qualité de leur mouvement progressif est altéré, le tout à géométrie hautement variable d’un homme hypofertile à l’autre. À quelques exceptions près, il n’y a pas grand-chose à faire sinon, dans la perspective d’une recherche de conception, à faire en sorte d’exploiter au mieux ce qui est disponible. Par bonheur, les procréations assistées (PMA) peuvent être mises à profit et la plupart des hypofertilités de l’homme y trouvent une compensation efficace. 

 

Cela n’empêche pas de chercher à connaître la cause de ces altérations et en particulier celles qui affectent le mouvement. Pour le spermatozoïde, c’est le flagelle qui est responsable de la progression, un long cil normalement animé d’un mouvement oscillant qui ressemble à celui d’une anguille. Il s’agit d’une structure hautement spécialisée, mais dont on retrouve la base dans les cils vibratiles qui tapissent nombre de nos conduits internes. Cette structure est aussi la même que celle que l’on retrouve chez des animaux uni- ou pluricellulaires simples, preuve que la spécialisation est évolutivement très ancienne et a été fidèlement préservée. Elle n’en est pas moins complexe, faite de faisceaux de fibres de tubuline, dont la contraction différentielle est assistée de l’activité d’enzymes. Dans le flagelle du spermatozoïde, ces fibres se retrouvent dans de petites structures, les bras de dynéine dont l’absence, même partielle, signe l’immobilité de la cellule.

Pour entrer dans la nécessaire dynamique contractile, les fibres de tubuline doivent connaître une modification biochimique, la glycylation. Celle-ci est sous le contrôle de 2 enzymes spécialisées au moins, TTL3 et TTL8. Afin de vérifier si ces enzymes sont indispensables au mouvement, des chercheurs ont produit des souches de souris pour lesquelles ces 2 substances sont inactivées. Si les cils vibratiles des voies respiratoire et digestive ne semblent pas altérés, les flagelles des spermatozoïdes évalués ont mené les cellules à progresser de façon anormale, souvent circulaire; ce qui témoigne par conséquent d’une capacité au moins diminuée à s’approcher d’un ovule et à le féconder. Ce mouvement anormal fait également partie de ceux que l’on identifie en cas d’hypofertilité chez l’homme.

Cette découverte est-elle importante dans le traitement futur des infertilités humaines ? Vraisemblablement non; les PMA continueront à apporter leur contribution. Au mieux pourra-t-on peut-être identifier le responsable de l’altération des spermes humains dont on pressent qu’il appartient au groupe des perturbateurs endocriniens. En revanche, on en sait un peu plus sur l’initiation du battement ciliaire et sur l’interaction des protéines qui composent cette structure complexe. Et comme toute acquisition de biologie fondamentale, il est presque certain qu’il lui sera trouvé une application pratique !  

   Science, 2021, 3781: 114

Parkinson et protéine kinase

 

La maladie de Parkinson est une affection neurodégénérative qui affecte plus d’un million d’Européens dont 30 000 Belges environ, surtout âgés de plus de 50 ans. Les signes de la maladie sont connus: tremblements de la tête, des mains ou de tout le corps, rigidité musculaire surtout perceptible au niveau des membres, lenteur dans les déplacements aussi avec le temps, ainsi que perte partielle d’équilibre. Ces symptômes sont évolutifs mais peuvent être atténués par un traitement compensatoire.

L’origine de la maladie ? La perte progressive d’une cohorte de neurones, ceux qui produisent un neuromédiateur, la dopamine. Cette dernière tient un rôle important dans la coordination du mouvement, notamment liée à l’activité musculaire. On ignore encore les causes de cette atteinte spécifique de neurones situés dans quelques aires précises du cerveau. Dans l’état actuel des traitements, l’intention vise surtout à réduire la progression de la maladie en pourvoyant le corps en un analogue de la dopamine. Un suivi régulier et des exercices spécifiques permettent à chaque patient concerné de profiter d’une mise au point personnalisée.

La recherche de traitement continue, évidemment, et une des avancées récentes concerne une protéine connue depuis longtemps qui intervient dans la signalisation cellulaire. C’est la protéine kinase B (PKB) encore appelée Akt1. Elle intervient dans de nombreux processus d’origine cellulaire et en particulier dans celui de l’apoptose. Ce processus physiologique régulateur est connu sous l’appellation plus habituelle de «mort cellulaire programmée». Quand l’ADN d’une cellule présente par exemple une anomalie majeure que les enzymes pourtant affectées à cet effet ne peuvent spontanément réparer, elle entre en dégradation plutôt que s’engager dans le sens d’une activité trop anormale. Cette dégradation suit une démarche par étapes qui mène à la récupération de nombreux composants et à l’élimination de ce qui ne peut être immédiatement recyclé.

Cette implication particulière d’Akt1 a donné l’idée à des chercheurs de vérifier si l’inhibition de cette protéine ne pourrait pas réduire, sinon interdire, la disparition des neurones producteurs de dopamine. Les expériences ont été menées sur des modèles murins de la pathologie et les résultats se sont avérés concluants: réduire la production de cette protéine spécifique réduit aussi la progression de la maladie. Or des inhibiteurs naturels existent: il s’agit d’antioxydants comme l’acide chlorogénique, un dérivé (polyphénolique) de l’acide caféique présent, on l’aura compris, par exemple dans le café.

Il reste maintenant à valider les effets de cette inhibition sur des patients humains. Déjà, des mesures post-mortem effectuées sur le cerveau de patients parkinsoniens a reproduit ce qui a été observé chez la souris. Comme à chaque fois qu’une étape est franchie dans la compréhension d’une pathologie, on sait qu’il y a peu de chance que l’on ait trouvé la «poule aux œufs d’or». Mais on a trouvé une piste à explorer et ça, c’est une perspective qui ouvre à tous les possibles. 

   Science Signaling  22, Dec 2020: Vol. 13, Issue 663, eaax7119 

 

BIOZOOM

Il est si mignon qu’on aimerait le prendre dans nos bras. Le tardigrade est un microscopique animal (0,1 à 1,5 mm) qui vit aussi bien sur terre que dans l’eau, partout dans le monde. Sous ses airs de petit ourson, privé d’eau et de nourriture, ce panarthropode a le super-pouvoir de mettre sa vie au ralenti (cryptobiose). Durant cette période d’hibernation, qui peut durer plusieurs années, il est capable de résister à de très basses ou hautes températures (du 0 absolu à 150 °C), à une énorme pression (6 000 bar) , au vide, à une dose massive de rayons X et même au temps. Il revient ensuite à la vie avec des fonctions vitales intactes.  

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