Qui est-ce?

Özlem Türeci

Jacqueline Remits • jacqueline.remits@skynet.be

©BIONTECH

 
Je suis…

Fille de parents turcs arrivés d’Istanbul en Allemagne. Mon père, chirurgien, est engagé dans un hôpital près de Cloppenburg, en Basse-Saxe. Née dans ce pays et influencée par mon père, j’entreprends des études de médecine à l’Université de la Sarre, à Hombourg, que je poursuis avec un doctorat portant sur l’identification et la caractérisation de molécules antigènes tumorales et sur le développement d’immunothérapies pour lutter contre le cancer. Je rencontre alors celui qui deviendra mon mari, Ugur Sahin, médecin oncologue. S’il est né en Turquie, sa famille émigre en Allemagne alors qu’il est encore enfant. Son père trouve du travail comme ouvrier aux usines Ford à Cologne. Nous partageons une passion commune pour la recherche médicale, plus particulièrement en oncologie. Même le jour de notre mariage, nous sommes vissés dans notre labo ! Nous rêvons de trouver de nouveaux traitements contre le cancer. En 2000, nous rejoignons l’Université Johannes Gutenberg à Mayence, où je reçois mon habilitation en médecine moléculaire. J’y enseigne depuis lors en tant que Privatdozent et aujourd’hui encore, nous habitons à Mayence.

Je remarque, au cours de ma carrière, que la recherche scientifique n’arrive pas toujours jusqu’au patient. Pour rendre plus rapidement disponibles des formes innovantes de thérapie, Ugur et moi fondons en 2001 la société Ganymed Pharmaceuticals. Notre but est de développer des anticorps monoclonaux comme traitement contre le cancer. Spécialiste en médecine moléculaire et immunologie et professeur d’université à Mayence, mon mari n’a jamais arrêté la recherche ni l’enseignement. Quant à moi, je suis nommée présidente de la Fédération européenne d’immunothérapie contre le cancer. Grâce à des financements obtenus auprès de sociétés de capital-risque, nous créons en 2008 une autre société, BioNTech. En 2016, nous vendons Ganymed à la société pharmaceutique japonaise Astellas Pharma. Avec BioNTech, notre principal objectif est de mettre au point un vaccin contre le cancer en utilisant la technique de l’ARN messager. Dans le milieu de la recherche sur le cancer, avec cette approche thérapeutique innovante, notre start-up fait rapidement parler d’elle. Début 2018, la société rassemble 270 millions de dollars, soit la plus grande levée de fonds jamais réalisée alors pour une entreprise biotechnologique allemande. En 2019, elle est introduite en Bourse sur le Nasdaq. En 2020, je prends la tête du département de développement de nouveaux produits en tant que médecin-chef, tandis que mon mari est le PDG de la société.

À cette époque…

En 1967, année de ma naissance, le professeur français Christian Barnard greffe le premier cœur sur un Sud-Africain, qui succombera moins de 3 semaines plus tard à une infection des poumons. Plus tard, le 10 novembre 1989, alors que je suis étudiante en médecine, je vis un moment historique: la chute du mur de Berlin. Jamais l’écroulement d’un mur n’aura fait, à juste titre, autant de fracas. En 2008, quand nous créons BioNTech, la faillite de la banque américaine Lehmann Brothers marque l’accélération d’une crise financière mondiale née un an plus tôt aux États-Unis avec l’effondrement du marché des prêts immobiliers à risque (subprime).

J’ai découvert…

Avec mon mari et notre équipe, en particulier Katalin Kariko (voir Athena n° 350) et Drew Weissman, spécialistes de la modification de l’ARN, nous avons planché sur la mise au point d’un vaccin à ARN messager contre la Covid-19. Alors que l’OMS (Organisation mondiale de la santé) signale l’existence d’un groupe de cas de pneumonies à Wuhan, en Chine, Ugur tombe sur un article de la revue médicale The Lancet. Il comprend vite que ce virus,  même s’il n’a pas encore envahi la planète, va entraîner une pandémie. Dès janvier 2020, nous cessons nos travaux de recherche en cancérologie pour lancer un programme d’urgence visant à développer rapidement un vaccin contre ce coronavirus. En juillet, nous signons un partenariat avec la société pharmaceutique américaine Pfizer. Pour 2 raisons. D’une part, les essais cliniques sont bien trop onéreux et ardus à organiser pour une start-up comme BioNTech. D’autre part, nous sommes trop petits pour produire et distribuer les doses nécessaires à la planète entière. Mi-septembre, nous rachetons à l’entreprise pharmaceutique Novartis une très grande usine de production à Marbourg, dans la Hesse, à 120 km de notre siège social à Mayence. Nous y lançons la construction d’un autre bâtiment dédié à la production d’un vaccin dès la fin de l’année. Nous mobilisons une quarantaine de personnes à qui nous offrons des heures supplémentaires bien rémunérées pour mener à bien des recherches. Très vite, celles-ci se révèlent productives, une dizaine de vaccins potentiels sont trouvés. Le développement de l’un d’eux mène au résultat que l’on connaît. Nous avons eu la chance de n’avoir rencontré aucun problème majeur. Début novembre 2020, notre société BioNTech et Pfizer annoncent que notre vaccin contre la Covid-19 réduit de 95% le risque de contracter ce virus. Et il y a un après Covid-19 car les promesses de la technologie ARN messager sont immenses. Elle peut être utilisée pour d’autres vaccins, dans des traitements contre le cancer ou les maladies auto-immunes… Christina Krienke, une autre chercheuse de chez BioNTech, Ugur et moi, avons publié un article en ce sens dans la revue Science du 8 janvier 2021. L’histoire de l’ARNm ne fait que commencer.

Saviez-vous que…

Selon Mathias Kromayer, membre du conseil d’administration de la société de capital-risque MIG AG, en dépit de leurs réalisations, les 2 médecins-chercheurs sont toujours restés humbles et modestes. «Il n’est pas rare de croiser Sahin en jean lors de grosses réunions, avec son casque de vélo et son sac à dos», rapporte le quotidien français Libération.

Quant au professeur Ulrich Förstermann, qui a rencontré le couple il y a 20 ans lors de son installation à Mayence, il reste «très sûr que le couple n’est pas principalement intéressé par gagner de l’argent. Ce sont de vrais chercheurs très gentils, très approchables, pas du tout arrogants, dont le moteur est de progresser scientifiquement et médicalement. Ugur Sahin enseigne toujours à l’Université de Mayence et Özlem Türeci a signé son contrat de professorat. Le couple travaille comme des fous, ils font des journées de 14 h. Et tout ça se passe à un moment où la pandémie frappe l’Allemagne comme jamais et ça rend tout plus difficile», déclarait-il en décembre 2020 à France Inter.

D’après l’hebdomadaire allemand Welt am Sonntag, Ugur Sahin et Özlem Türeci figurent désormais parmi les 100 Allemands les plus riches du pays. Fin 2020, la valeur de BioNTech atteignait 21,6 milliards de dollars au Nasdaq, contre 4,6 milliards un an plus tôt. Après l’annonce de Pfizer, l’action BioNTech a explosé et la start-up a terminé la journée avec une valorisation de près de 25 milliards de dollars !

En mars 2021, le couple a reçu la Grand-Croix du Mérite avec étoile, une des principales distinctions allemandes en présence du président allemand Frank-Walter Steinmeir et de la chancelière Angela Merkel. «Dès janvier 2020, vous et vos collègues y travailliez jour et nuit, à une époque où de nombreuses personnes en Allemagne se serraient encore la main, s’embrassaient et vivaient dans l’insouciance», a déclaré le président allemand, qui a rappelé que «la start-up du couple de chercheurs d’origine turque emploie aujourd’hui 2 000 personnes». BioNTech a produit 50 millions de doses du vaccin anti-Covid en 2020 et en produira 1,5 milliard en 2021.

  

  

Carte d’identité

Naissance 

6 mars 1967, à Lastrup
(Basse-Saxe, Allemagne)

Nationalité

Allemande

Situation familiale 

Mariée à Ugur Sahin

 

 Diplôme 

Médecine à l’Université de la Sarre

Champs de recherche 

Oncologie, immunologie

Distinctions 

Grand-Croix du Mérite de la République fédérale d’Allemagne (2021); prix des Asturies de la recherche scientifique et technique (2021); prix international de Catalogne (2021)

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