Qui est-ce?

Wally FUNK

Jacqueline REMITS• jacqueline.remits@skynet.be

©Blue Origin

 
Je suis…

À 82 ans et depuis peu, la personne la plus âgée à avoir été dans l’espace. Pour y arriver, j’ai toujours dû batailler. Née à Las Vegas, au Nouveau-Mexique (à ne pas confondre avec Las Vegas au Nevada), j’ai grandi à Taos, petite ville du même État. Avant moi, ma mère s’était vue refuser une carrière dans l’aviation, son père et son mari lui ayant alors fait comprendre qu’elle devait avant tout être une bonne épouse et une bonne mère. Moi aussi, j’ai toujours été limitée dans mes ambitions, mais je n’ai jamais renoncé à mes objectifs. À 5 ans, je rêvais déjà de voler et j’ai sauté de la grange avec une cape de Superman ! Heureusement, une botte de foin était là pour amortir ma chute. Passionnée d’aviation dès mon enfance, j’ai reçu ma première leçon de pilotage à 9 ans. Par contre, au lycée, on m’interdit de suivre les cours de mécanique, alors réservés aux garçons. Qu’à cela ne tienne, je quitte le lycée à 16 ans pour entrer au Stephens College de Columbia (Missouri), puis à l’Université d’État de l’Oklahoma, reconnue pour son programme d’aviation. J’y suis diplômée en sciences et y obtiens ma licence de pilote et d’instructrice de vol. À 20 ans, aviatrice professionnelle, je décroche mon premier emploi à Fort Sill en Oklahoma, en tant qu’instructrice civile de vol auprès des sous-officiers et officiers de l’armée américaine. À l’époque, je suis d’ailleurs la seule à occuper ce poste dans tous les États-Unis. Au début des années 1960, j’intègre un programme novateur baptisé Mercury, qui vise à envoyer le premier Américain dans l’espace. Plusieurs hommes sont sélectionnés par la Nasa pour être soumis à des tests et… aucune femme. Un médecin ayant participé à l’élaboration de ces épreuves, William Randolph Lovelace, également président du comité consultatif spécial de la Nasa sur les sciences de la vie, décide tout de même de faire passer les tests à des femmes dans sa clinique privée. La tranche d’âge est fixée entre 25 et 40 ans. En 1961, je me porte volontaire, j’ai alors 21 ans et suis donc la plus jeune. Sur 26 femmes sélectionnées dont 19 inscrites, nous serons 13 à réussir, donnant ainsi son surnom au programme Mercury 13, qui bénéficiera du soutien de la Nasa. Comme les autres participantes, je suis soumise à des tests physiques et mentaux très durs. «Ils nous poussaient dans nos retranchements, j’ai enduré beaucoup de douleurs, comme je l’ai rappelé dans une interview de 1999, publiée par le service historique de la Nasa. Mais cela me rapprochait de l’espace, et c’était là que je voulais aller.» Lors de ces tests, par exemple, l’on nous a injecté de l’eau très froide dans les oreilles pour provoquer une sensation de vertige, fait ingérer des tubes en caoutchouc, de l’eau radioactive et subi l’exercice de fortes pressions… Je me suis même retrouvée enfermée dans une cuve à l’isolation phonique totale, remplie d’une eau à température corporelle, afin que je ne sente plus rien dans le noir. Je suis longtemps restée sur le dos, flottant dans cette eau, sans pouvoir utiliser mes 5 sens. Hélas, tout cela n’a servi à rien puisque le programme sera annulé, la Nasa n’en veut finalement pas. Pourtant, j’ai fait le travail mieux et plus vite que n’importe quel homme. Comme je l’ai déclaré en 1999, «C’était plutôt intéressant, le fait que nous aurions pu le faire et qu’ils ne nous ont juste pas laissé. Un chien l’a fait. Un singe l’a fait. Un homme l’a fait. Les femmes aussi peuvent le faire». Après l’annulation du programme Mercury 13 et même si mon objectif reste de devenir astronaute, je deviens Ambassadrice de bonne volonté, parcourant plus de 300 000 km à travers le monde. Je fais partie des «Flying Aggies» et je reçois plusieurs trophées.

 
À cette époque…

En 1959, année où je deviens aviatrice professionnelle, 2 singes sont envoyés dans l’espace depuis Cap Canaveral, enfermés dans l’ogive de la fusée américaine Jupiter, ils reviennent sains et saufs. Deux ans plus tard, en 1961, quand je me porte volontaire pour le programme Mercury 13, le cosmonaute Youri Gagarine est le premier homme à aller dans l’espace lors de son départ le 12 avril à bord du vaisseau Vostok I de la base de Baïkonour. En 1974, quand je suis nommée enquêtrice de la sécurité aérienne pour le NTSB (National Transportation Safety Board), le Président américain Richard Nixon est contraint de démissionner suite au scandale du Watergate. Deux Belges reçoivent par ailleurs le Prix Nobel de médecine: Christian de Duve et Albert Claude.

 
J’ai découvert…

Qu’il ne fallait jamais renoncer. Je suis une pionnière. J’aime faire des choses que personne d’autre n’a faites. Je suis aussi très patiente. J’ai obtenu la qualification d’instructrice de vol aux États-Unis pour la Federal Aviation Administration (FAA). Je suis la première femme à terminer l’Académie des inspecteurs de l’aviation générale en 1971, la première inspectrice de la FAA et aussi, la première enquêtrice de l’agence américaine NTSB en 1974, en charge notamment des catastrophes aéronautiques. J’y ai traité plus de 450 accidents jusqu’à ma retraite en 1984. En 1995, lorsque l’astronaute Eileen Collins est devenue la première femme à piloter une navette spatiale dans l’espace, j’étais alors trop âgée pour me qualifier comme pilote spatiale. Mais j’ai continué de rêver d’aller dans l’espace. En 2012, j’ai acheté le ticket pour l’un des programmes suborbitaux de Virgin Galactic, le vaisseau du Britannique Richard Branson qui s’est envolé le 11 juillet dernier. L’argent du vol provenait des droits du livre que j’ai écrit et du film que j’ai réalisé, ainsi que de ma famille. Entre-temps, le 1er juillet 2021, le milliardaire Jeff Bezos m’a informée que je participerai au premier vol suborbital, avec la fusée New Shepard de sa société Blue Origin. J’ai accepté car, à ce moment-là, ce n’était pas encore sûr que Virgin Galactic s’envole à la date prévue. Nous avons décollé le 20 juillet 2021 et atteint la ligne de Karman qui marque, selon la convention internationale, le début de l’espace, à 100 km au-dessus de la terre. Jeff Bezos, son frère Mark, le gagnant d’une mise aux enchères et moi-même avons pu flotter en apesanteur durant 4 minutes et observer la courbure de la Terre. Puis la capsule a entamé une chute libre pour revenir vers notre planète, freinée par 3 grands parachutes et des rétrofusées avant d’atterrir dans un désert de l’ouest du Texas. Soixante ans après avoir rejoint un programme privé dans l’espoir de devenir un jour astronaute, à 82 ans, j’ai enfin réalisé mon rêve d’enfance et suis à ce jour, la personne la plus âgée à l’avoir fait. Il y a longtemps, on m’avait pourtant assuré que l’espace, ça n’était pas pour les femmes !

Saviez-vous que…

Wally Funk compte, à son actif, 19 600 heures de vol. En tant qu’instructrice de vol professionnelle, elle a accompagné plus de 700 étudiants et environ 2 000 pilotes privés et commerciaux.

Quatre fois, elle a postulé pour devenir astronaute à la Nasa. Quatre fois, sa candidature a été refusée, notamment parce qu’elle n’avait pas de diplôme d’ingénieur et n’avait pas suivi de programme de vol sur un avion de chasse militaire, ce qui était impossible pour une femme à cette époque. Il aura fallu attendre 1983 pour que la première Américaine, Sally Ride, vole dans l’espace. 

Wally Funk ne s’est jamais mariée. «J’étais mariée avec l’aviation», a-t-elle déclaré. Elle vit désormais à Roanoke, au Texas. Elle, à qui on a assuré pendant des années que l’espace n’était pas pour les femmes, n’a jamais abandonné son rêve de devenir astronaute. En 1999, interrogée sur sa plus grande réussite, elle répondait: «Si je peux me rendre dans l’espace, ce sera ça». Vœu exaucé le 20 juillet 2021, à 82 ans, grâce à Jeff Bezos, big boss d’Amazon, via sa société Blue Origin. Il n’existe aucune limite d’âge pour aller dans l’espace… ni pour réaliser ses rêves d’ailleurs !

 

 

Carte d’identité

Naissance 

1er février 1939, Las Vegas (Nouveau-Mexique, États-Unis)

Nationalité

Américaine

Situation familiale 

Célibataire

 Diplôme 

Sciences à Université d’État de l’Oklahoma

Champs de recherche 

Aéronautique, spatial

Distinctions 

Women in Aviation, docteur en sciences honoris causa de l’Université d’État de l’Oklahoma (2007)

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