Mathématiques

Quand les PROBAS s’invitent à KOH-LANTA !

©TF1

Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez le soir du 19 avril ? Peut-être étiez-vous, tout comme 4 millions d’autres téléspectateurs, rivés à votre écran de télévision pour connaître le dénouement du tant attendu face-à-face entre Colin et Louana dans le toujours difficile épisode des Ambassadeurs… 

  

Pour ceux qui ne sont pas des aficionados de l’émission, rassurez-vous, je vous explique tout ! Les Ambassadeurs sont une épreuve mythique de l’aventure dans laquelle 2 candidats (appartenant à des équipes opposées) doivent décider d’éliminer communément un membre d’une des tribus. La joute est verbale et les tentatives de manipulation sont nombreuses. S’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord et à proposer conjointement un nom à l’emblématique présentateur de la série Denis Brogniart, ils prennent alors le risque de procéder à un tirage au sort qui exclura définitivement un des 2 ambassadeurs: Colin ou Louana dans l’épisode qui nous concerne.

Bien qu’il n’y ait pas eu de tirage au sort puisque Colin a fini par céder en éliminant un de ses propres équipiers, ce sont surtout ses règles qui nous intéressent ici. Habituellement, chacun des 2 ambassadeurs doit piocher une boule dans un sac totalement opaque. Chaque sac contient 2 boules: une blanche et une noire. Si les 2 boules sorties sont de la même couleur, on recommence le tirage. Sinon, c’est le malheureux candidat de la boule noire qui est exclu de l’épreuve sur le champ. Pour se consoler, il aura toutefois la fierté d’annoncer aux siens qu’il n’a livré personne en pâture et qu’il est fier d’être éliminé pour le salut de son équipe. Les autres exprimeront alors leur désolation tout en étant bien heureux de s’en tirer indemne. 

Une conclusion trop hâtive

Mais cette fois, le fichu tirage au sort n’était pas tout à fait équitable pour les 2 candidats puisque le pauvre Colin avait subi le sort du totem maudit au cours d’une épreuve précédente. Celui-ci se retrouvait donc avec un sac qui contenait non pas une boule blanche et une noire mais bien 1 blanche et 2 noires ! Damned ! Il était donc entendu que si Colin persistait à ne pas éliminer un candidat de sa propre équipe, ses chances seraient plus grandes d’être lui-même éliminé. Cependant, à l’image de ses aventuriers, Denis a voulu se montrer plus téméraire que ce qu’il n’aurait dû puisqu’il a bravement clamé durant l’émission: «50% de risque de tirer la boule noire pour Louana, 66% pour Colin, soit un gap de 16%». Et c’est ainsi que subitement, ma chronique bimestrielle était toute trouvée.

S’il y a bien un raisonnement mathématique dont je me méfie plus que de raison, c’est d’un raisonnement probabiliste. Martin Gardner, un maître en matière de jeux mathématiques, avait d’ailleurs écrit en 1959 dans la revue Scientific American que «dans aucune autre branche des mathématiques, les experts ne peuvent se tromper aussi facilement que dans la théorie des probabilités». Cette fois, le bon raisonnement à adopter n’est pourtant pas hors de portée. Dans le dangereux raccourci proposé par Denis, il oublie de considérer que si les boules sont de même couleur, alors il y a remise et nouveau tirage. Et ça change tout. Une judicieuse façon d’aborder ce problème est donc de répertorier les différents scénarios possibles. Assez facilement, vous en compterez seulement 4:

1) Colin et Louana piochent chacun une boule noire

2) Colin et Louana piochent chacun une boule blanche

3) Colin pioche une boule blanche et Louana une boule noire

4) Colin pioche une boule noire et Louana une boule blanche

Les situations 1) et 2) nous intéressent moins puisque dans ces cas, on procède à un nouveau tirage. Et bien sûr, puisque chaque tirage est indépendant, les probabilités n’en seront pas modifiées. Pour calculer la probabilité de l’événement 3),  il suffit de calculer la probabilité que Colin pioche une boule blanche (1/3) et de la multiplier par la probabilité que Louana pioche une boule noire (1/2). Soit 1/6. Interprété dans le contexte de l’aventure, ce résultat signifie donc que Louana n’a qu’1 (petite) chance sur 6 d’être exclue de l’édition 2022. En revanche, la reproduction de ce raisonnement pour calculer la probabilité de l’événement 4) nous révèle alors que Colin a tout de même 2 chances sur 6 d’être éliminé. Autrement dit, Colin a 2 fois plus de (mal)chance que Louana de quitter l’aventure, ce qui est bien loin du gap de 16% annoncé par Denis durant l’émission ! Pour les plus visuels (ou les plus méfiants) d’entre vous, le simple tableau à double entrée ci-contre devrait achever de vous en convaincre.

Pour les plus visuels (ou les plus méfiants) d’entre vous, le simple tableau à double entrée devrait achever de vous en convaincre.

Deux chèvres pour une Cadillac

Inévitablement, cette mauvaise interprétation du hasard de Denis Brogniart me fait penser à un autre problème légendaire. En 1963, sur le plateau des studios de la NBC en Californie, un présentateur du nom de Monty Hall animait un drôle de jeu télévisé qui allait inspirer un mathématicien américain, Steve Selvin. «Imaginez-vous face à 3 portes dénommées A, B et C. Derrière l’une d’entre elles, une rutilante Cadillac. Derrière les 2 autres, une chèvre. Monty Hall vous propose de choisir à l’instinct une porte et de l’ouvrir. Vous gagnez ce qui s’y trouve !»

Supposons qu’après réflexion, votre instinct vous guide vers la porte C. Monty Hall, qui connait le contenu de chaque porte, fait monter le suspense d’un cran en révélant ce qui se cache derrière la porte A: une chèvre ! Applaudissements appuyés du public qui salue votre précieuse intuition. C’est alors que l’animateur vous donne la possibilité de modifier votre choix de départ: restez-vous sur votre premier choix en ouvrant la porte C ou voulez-vous changer d’avis et ouvrir la porte B ? Si la question est simple, le dilemme l’est beaucoup moins. C’est justement là que réside tout le paradoxe. Un paradoxe qui a fait couler beaucoup d’encre jusqu’à faire les titres du New York Times le 21 juillet 1991: il est toujours préférable de modifier son choix initial. 

Mathématiques expérimentales

Pour vous en convaincre, n’hésitez pas à faire le test: un voisin, 3 gobelets opaques et un sucre feront largement l’affaire. Croyez-moi, vous risquez d’être très surpris, alors même que vous connaissez déjà la conclusion. Imaginez la stupéfaction du voisin. Plus vous réaliserez cette expérience, plus vous approcherez la proportion évoquée par Steve Selvin: il y a 2 fois plus de chances de trouver le sucre en changeant d’avis plutôt qu’en le maintenant. Et si vous n’avez pas de voisins sous la main, vous trouvez quantité de simulateurs sur Internet. Ce résultat est tellement contre intuitif que même de très grands mathématiciens n’ont accepté cette vérité qu’après avoir effectué un très grand nombre d’essais. Paul Erdös (1913-1996), sans doute le mathématicien le plus prolifique du 20e siècle, fut ainsi obligé de constater le fait avant de le comprendre. Qui oserait dire après ça que les mathématiques ne sont pas expérimentales ?

Plutôt que de vous démontrer rigoureusement les faits dans cette chronique, je vais vous en donner l’intuition. Imaginez les mêmes règles de jeu mais avec 100 portes. Une seule Cadillac et 99 chèvres. Vous déléguez alors à votre intuition le choix d’une porte particulière. Cette fois, vous n’avez donc qu’1 seule petite chance sur 100 de repartir avec la voiture. Et comme précédemment, après votre choix, Monty Hall ouvre 98 autres portes dont, bien entendu, aucune ne révèle la Cadillac. Vous revivez ce moment d’intense émotion: le gros lot est soit derrière votre porte fétiche, soit derrière l’autre. J’ai bien l’impression que comme par hasard, cette fois, vous allez changer d’avis presqu’instinctivement. Et vous avez raison. Avec 100 portes, c’est bien plus flagrant: vous avez 99 fois plus de chances de remporter la Cadillac en changeant d’avis ! En mathématiques, ça porte le nom d’un effet très étonnant et même surprenant. Un effet que moi, j’ai pris l’habitude d’appeler l’effet… Waooh ! 

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