Qui est-ce?

Linda BUCK

Jacqueline REMITS• jacqueline.remits@skynet.be

Courtesy of Linda B. Buck, The Royal Society

 
Je suis…

Une femme qui a du nez. En tant que spécialiste du système olfactif et des récepteurs olfactifs, quoi de plus normal ? Née à Seattle, dans l’État de Washington, d’un père ingénieur électricien féru de bricolage et d’une mère femme au foyer, je suis la seconde d’une fratrie de 3 filles. Nos parents nous ont élevées dans l’idée que nous étions capables de tout faire. Cette conviction m’a donné confiance en moi et m’a permis d’entreprendre des études scientifiques, domaine qui me passionnait, à une époque où c’était peu courant pour les filles. J’entre à l’Université de Washington à Seattle dont je sors diplômée en psychologie et en microbiologie en 1975. J’enchaîne par un doctorat en immunologie au centre médical de l’Université du Texas, à Dallas, que j’obtiens en 1980. La même année, j’entame des recherches postdoctorales à l’Institut de recherche sur le cancer à l’Université de Columbia de New York, sous la direction du Professeur Richard Axel, biochimiste et neurologue. Je suis loin alors de me douter que j’obtiendrai avec lui un prix Nobel de physiologie ou médecine en 2004 pour nos travaux sur le système olfactif et les récepteurs olfactifs. Dans les années 1980, la recherche sur les mécanismes de la perception des odeurs est au point mort, les techniques étant jusqu’alors insuffisantes. On imagine que la détection d’une odeur pourrait résulter de la liaison d’une molécule odorante à une protéine spécifique, appelée récepteur olfactif et présente à la surface d’une cellule nerveuse. Une odeur étant la somme de molécules odorantes, elle stimulerait autant de récepteurs olfactifs qui transmettraient le message à notre cerveau pour qu’il y soit déchiffré. Richard et moi avons alors une idée audacieuse. Au lieu de chercher à identifier les récepteurs sur l’épithélium des fosses nasales, nous essayons de trouver leurs gènes dans le génome. En effet, toute protéine est le produit d’un gène, le génome étant la somme de tous nos gènes. Et voilà qu’une technique révolutionnaire dans le domaine de la biologie moléculaire fait son apparition. Non seulement elle permet de localiser un gène spécifique dans un génome, mais également de le photocopier plusieurs millions de fois donnant ainsi aux chercheurs une quantité suffisante de gènes, et surtout les protéines nécessaires pour mener à bien leurs recherches. Nous mettons à profit cette révolution biomoléculaire. On savait déjà que les neurones olfactifs exprimaient aussi une protéine, différente des récepteurs olfactifs, connue sous le nom de protéine G. Or, il existe une famille de récepteurs intimement associés aux protéines G. Il s’agit de la famille des «récepteurs couplés à une protéine G» ou GPCR («G-protein coupled receptors»). Nous émettons l’hypothèse que les récepteurs olfactifs pourraient aussi faire partie de la famille des GPCR et ainsi restreindre notre champ d’action.

En 1991, je suis nommée professeure adjointe au département de neurobiologie à l’École médicale de Harvard où je crée mon propre laboratoire. Après avoir découvert comment les odeurs sont détectées par le nez, je publie mes conclusions en 1993 sur la façon dont les apports des différents récepteurs d’odeurs sont organisés dans le nez. Pour l’essentiel, mes principaux intérêts de recherche concernent la manière dont les phéromones et les odeurs sont détectées dans le nez et interprétées par le cerveau et les mécanismes de vieillissement chez un nématode (ver rond). Celui-ci est très étudié en neurosciences car il est l’un des organismes les plus élémentaires doté d’un système nerveux. En 1994, je rencontre Roger Brent, biologiste aussi, que j’épouserai en 2006. Membre de la Division des sciences fondamentales au Centre de recherche du cancer Fred Hutchinson, je suis professeure attitrée de physiologie et de biophysique à l’Université de Washington.

À cette époque…

J’ai 16 ans quand, le 22 novembre 1963, stupeur dans le monde, le Président des États-Unis John Fitzgerald Kennedy, 46 ans, est assassiné à Dallas, cible d’un attentat, peu avant la fin de la troisième année de sa présidence. Le 21 juillet 1969, je suis alors étudiante quand un autre événement mémorable survient: les premiers hommes marchent sur la Lune. Neil Armstrong et Edwin Aldrin y sont amenés dans le LEM Eagle, tandis que le 3e astronaute, Michael Collins, reste aux commandes d’Apollo 11.  Six cents millions de téléspectateurs de par le monde assistent à cette retransmission. Quatre ans plus tard, le 27 janvier 1973 exactement, l’accord de cessez-le-feu au Viêtnam est signé à Paris. S’il ne résout pas le problème vietnamien, il provoque un immense soulagement aux États-Unis. Dans les années 1980, l’apparition du SIDA, qui deviendra une pandémie, marque les esprits.

J’ai découvert…

En 1991, une nouvelle famille de gènes correspondant aux récepteurs olfactifs. Cette famille nouvellement découverte compte près de 200 membres. Et ce n’est là que la partie visible de l’iceberg. Chez certains mammifères comme le rat, le nombre de gènes codant pour des récepteurs olfactifs peut atteindre le millier ! La même année, Richard Axel et moi publions un article dans lequel nous expliquons que nous avons cloné des récepteurs olfactifs et montré qu’ils appartenaient à la famille des GPCR. À partir d’analyses de l’ADN du rat, nous avons estimé qu’il existait environ un millier de gènes différents codant les récepteurs olfactifs dans le génome des mammifères. Ces découvertes ont mis en lumière certaines caractéristiques surprenantes des neurones olfactifs. En effet, lors de dommages graves, ces neurones sont régénérés. Cette découverte va à l’encontre de l’idée admise jusque-là que les cellules nerveuses ne sont pas remplacées si elles sont détruites. On ignore encore comment s’opère cette régénérescence. Un autre domaine d’étude découle de ces découvertes, celui des phéromones, ces molécules inodores qui influent notre vie de manière très subtile. Au cours de mes recherches, j’ai découvert que les récepteurs des phéromones appartiennent aussi à la famille des protéines GPCR et possèdent une grande partie de leurs propriétés.

Saviez-vous que…

Les travaux de recherche de Linda Buck ont ouvert la porte à d’autres analyses génétiques et moléculaires des mécanismes de l’olfaction. Depuis lors, des dizaines d’équipes se sont engagées sur la voie des récepteurs du système olfactif ouverte par la scientifique américaine. Ainsi, on sait aujourd’hui que les récepteurs olfactifs appartiennent à une grande famille de protéines jouant un rôle, non seulement dans l’odorat, mais aussi dans la vision, le goût, et même la mobilité des spermatozoïdes, ou encore la communication sociale. L’odeur est l’un des meilleurs messagers du bonheur probable ou du danger à fuir. C’est ce qui fait affirmer à Linda Buck que l’odorat et le système olfactif constituent «une énigme merveilleuse et sans fin». 

Les phéromones sont émises par les animaux et agissent comme des messagers entre des individus de la même espèce. Elles jouent un rôle primordial lors des périodes d’accouplement pour attirer les sexes opposés. Chez certains insectes sociaux, tels que les fourmis ou les abeilles, elles sont indispensables au bon fonctionnement du groupe. Bien que produites en quantités infinitésimales, elles sont extrêmement actives et peuvent être détectées à des distances de plusieurs kilomètres.

Près de 1% de notre génome serait consacré à l’information génétique pour les récepteurs olfactifs, ce qui en ferait la plus grande famille de protéines connue à ce jour chez l’être humain.

  
 

Carte d’identité

Naissance 

29 janvier 1947, Seattle (USA)

Nationalité

Américaine

Situation familiale

Mariée

 

Diplôme 

Psychologie et microbiologie à l’Université de Washington et doctorat en immunologie au centre médical de l’Université du  Texas

Champs de recherche 

Système olfactif et récepteurs olfactifs

Distinctions 

Prix Gairdner (2003), prix Nobel de physiologie ou médecine (2004)

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